Séjour
en vallée d'Aure |
Du 21 au 24 Août
2003 |
Participants : Cathy,
Jean-Louis et Jonathan, Richard et Anna, Xavier, Fereydoun, Jean-Marc,
Béatrice, Sylvie, Jean-Luc, Julien, Diana et Luc. |
La Vallée du Moudang |
Nous
ne sommes pas très nombreux pour cette petite escapade en vallée
d'Aure, seulement 14 personnes, et encore, en comptant bébé
Luc et Béatrice qui ne partagera avec nous que la matinée du
dimanche. Cela nous fait drôle, surtout lorsque nous nous comptons pour
le départ : seulement deux voitures, avec respectivement quatre et
deux personnes jusqu'à la sortie de Bayonne où Fereydoun se
joint au petit groupe.
Jean-Luc,
Sylvie et leurs trois enfants nous rejoignent directement au gîte à
l'heure du déjeuner, de même que Jean-Marc qui arrive le soir
seulement. La jeune et jolie hôtesse du "Barbajou", à
Aragnouet-Fabian, après Saint Lary sur la route du tunnel de Bielsa
et de Piau-Engaly, nous offre un accueil chaleureux et volubile. Les chambres
sont propres, la cuisine bien agencée et la salle à manger spacieuse
et claire. Il y trône un énorme soufflet de forge, et aux murs
sont suspendus une ancienne fourche à foin en bois et les premiers
skis de la dame (en bois, avec des attaches rudimentaires, et qu'il fallait
farter avant usage si l'on avait quelque peu l'intention de glisser...). Son
emplacement en bordure de route n'est pas trop gênant car la circulation
est faible la nuit. Par contre, les volailles (poules, coqs, oies et pigeons)
et les chiens de berger du voisin d'en face font un boucan du diable dès
l'aube, mais avec toute l'activité que nous déployons, notre
sommeil n'est pas trop perturbé.
Comme
nous ne disposons que de l'après-midi pour marcher le premier jour,
Richard nous propose d'aller voir les granges du Moudang. Les enfants ne sont
pas très enthousiastes. Par contre, le parcours "Aventure"
les tente beaucoup. Il est situé justement au départ de la balade,
dans un cadre superbe au milieu des arbres et au-dessus du torrent. Ils s'imaginent
tout-à-fait dans la peau de Tarzan (pour Jonathan et Julien) et Jane
(pour Anna) et s'en donnent à coeur joie. Nous les observons un moment
depuis le sentier qui domine un des passages où ils sont accrochés
à tour de rôle à un filin tendu en travers de l'étroite
gorge et précipités à une trentaine de mètres
contre de gros matelats pneumatiques rouges qui amortissent le choc et évitent
la rencontre brutale avec la falaise. Le soir, tous crottés, ils nous
raconteront, enthousiastes, les pommettes rougies d'excitation et les yeux
brillants, leurs exploits et leurs impressions aux passages les plus périlleux.
Bien entendu, ils étaient tout le temps assurés par un mousqueton
et ne risquaient rien d'autre que quelques échymoses.
La
moitié de la randonnée s'effectue en sous-bois, à l'ombre
de hêtres aux troncs élancés et aux branches largement
étalées à l'horizontale. La gorge étroite suit
le cours du torrent bondissant de roche en roche que nous entendons de plus
en plus faiblement en contrebas, au fur et à mesure que nous progressons
en altitude, vers le fond de la vallée. Le temps est incertain. Des
passages nuageux nous font craindre la pluie, mais Jean-Luc et Sylvie se félicitent
de la température clémente, à cause du bébé.
Il est d'ailleurs très heureux sur son sac à dos porté
par son père et s'endort, bercé par le balancement des longs
pas réguliers. Sylvie profite de la pause pour exposer ses idées
sur les origines de la vie et de la lignée humaine ; Jean-Louis et
Richard, grands lecteurs devant l'Eternel, et fort renseignés sur les
hypothèses les plus récentes, la poussent gentiment dans ses
retranchements, piqués au vif par l'originalité de certaines
de ses thèses.
Lorsque
les montagnes s'écartent, la forêt s'interrompt pour laisser
place aux pâturages. Le torrent erre sur un vaste lit de galets gris,
aujourd'hui mince filet d'eau entouré de marécages où
le pied se sent aspiré par la terre imbibée dont l'eau dégorge
comme d'une éponge trop pleine. Ce paysage ressemble à celui
qui s'était offert à nos regards lorsque nous avions pris le
Chemin de la Mâture, en vallée d'Aspe, et que nous avions débouché
sur les hautes pâtures qui communiquaient par le col d'Ayous avec la
vallée d'Ossau.
J'aime
la qualité particulière du silence dans ces vastes espaces.
Il semble que l'oreille en sonde le volume et que les quelques pépiements
d'oiseaux dont l'écho résonne curieusement et le craquellement
des graminées sèches dans le vent qui se heurte aux montagnes
permettent d'en prendre la mesure. Chacun ressent au plus profond de lui-même
l'extrême petitesse de l'humanité au sein de l'univers infini,
mais également un intense sentiment d'appartenance à la Nature
avec laquelle nous communions.
Les
moutons bêlent au loin, agglutinés pour la plupart autour des
fameuses granges. Ils sont très laids, affublés d'une énorme
tache de peinture bleue sur le dos, ou bien naturellement bicolores bruns
et gris crème, comme des vaches. Eternels épuisés, ils
dorment dans des positions invraisemblables, debout, ou bien assis, la tête
vaguement appuyée entre les interstices des pierres disjointes, ou
encore la tête enfoncée dans l'ombre de la berge ravinée
du torrent. Pourtant leurs grappes de crottes noires sont répandues
jusqu'aux plus hauts sommets et je me dis souvent, en mon for intérieur,
que, s'ils sont parvenus jusque là, il n'y a pas de raison que je n'y
arrive pas également.
Fereydoun,
qui marche au même rythme que moi, loin derrière Jean-Louis,
Richard et Xavier qui avancent comme d'habitude au pas de charge, se lamente
amèrement. Il a laissé son sac à dos auprès de
Sylvie, installée à l'abri du vent pour allaiter son petit,
et il a oublié de prendre sa caméra. Il regrette de ne pouvoir
imprimer sur la pellicule le panorama grandiose (quoique un peu terne, à
cause des nuages poussés par un vent de plus en plus froid et violent)
et le petit groupe de ces granges de pierre au toit d'ardoise assemblées
en un village sans église. Il s'agit d'ailleurs de véritables
maisonnettes qui ne servent pas qu'aux bergers mais également à
des gens venus jusque là en voiture pour y résider quelque temps.
Je
m'attarde un peu à prendre quelques photos et, délaissée
par mes compagnons qui se sont lancés à corps perdu dans la
résolution d'une devinette posée par Richard et avancent sans
se retourner, j'en profite pour m'arrêter à chaque fois qu'un
détail insolite attire mon attention. Je repère plusieurs zones
où les mottes d'herbe ont été arrachées et retournées,
signe caractéristique de la présence de sangliers. Je cherche
les racines en bulbes dont ils sont friands mais ne trouve qu'un petit champignon
fraîchement arraché. J'adore ces enclos cernés de murs
de pierres grossièrement assemblées, dont certaines, de taille
impressionnante, semblent avoir été soulevées par des
géants. Les genévriers, qui ont également souffert de
la sécheresse, cachent au milieu de leur feuillage épineux leurs
baies noires.
De
retour dans la forêt, je vois Jean-Louis qui remonte la pente : il s'est
brusquement rappelé mon existence et s'est inquiété de
ne pas me voir derrière. Il ne résiste pas à l'envie
de me poser la devinette de Richard qui les a tant captivés et dont
il n'a pas encore réussi à découvrir la clé. Voilà
ce dont il s'agit : "Un homme, aveugle, entre dans un restaurant, commande
un plat de crabe, en avale une bouchée, se lève, sort du restaurant
et se suicide. Et maintenant, reconstituez son histoire et trouvez une explication
logique à son geste." On a le droit de poser autant de questions
que l'on veut, et si on n'avance pas, on peut avoir quelques indices. Jean-Louis
m'indique où ils en sont : L'homme en question effectuait une croisière
en bateau avec son épouse et d'autres gens. Le bateau, dérouté
par une tempête, s'est drossé contre les récifs d'une
côte, provoquant la disparition de l'épouse...
De
retour au gîte, alors que nous sommes presque assoupis dans une sieste
récupératrice, Jean-Marc arrive. Une partie de Jenga acharnée
s'engage dans la salle commune, pour ne pas réveiller le bébé
qui a longtemps lutté pour s'endormir. Jeu suédois astucieux,
il faut retirer des planchettes de bois empilées par groupe de trois
en quinconce et les reposer sur le sommet de la tour constituée initialement
de 20 étages. Le record de Richard est de 32 étages, sera-t-il
battu ? L'heure avance. J'ai réservé une table dans un petit
restaurant familial, un kilomètre plus bas à Eget, qui est réputé
pour sa garbure. Dans la hâte, j'oublie Fereydoun qui se repose dans
sa chambre. Fort heureusement, il n'est pas rancunier et fait contre mauvaise
fortune bon coeur, s'asseyant à la table de Sylvie et Jean-Luc qui
l'invitent à leur popote dans le gîte. Lorsque nous nous en apercevons,
encore assis à table dans l'attente du second plat, Richard et Xavier
se rendent au Barbajou, mais il a déjà fini son repas. Une heure
après, je rentre tête basse, tout penaude. Il faut dire à
ma décharge que j'étais fatiguée et que Jean-Marc, arrivé
plus tôt que prévu, m'a troublée dans mes comptes puisque
j'avais bien les 7 personnes prévues pour le dîner. Le lendemain,
Fereydoun prend bien garde de ne pas se faire oublier !
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