Le
col, ce n'est pas le sommet, non-non. Nous nous ravitaillons en eau à
la fontaine d'Otxo-Meaca (otxo, c'est le loup en basque), en espérant
que les troupeaux ne l'ont pas polluée. Avec ce soleil, nous buvons
énormément et nous avons vidé nos provisions de boissons.
A la sortie de la hêtraie, nous remontons dans l'herbe en pente, l'horizon
barré d'un long muret de pierres, "le mur d'Hadrien" nous
déclare Jean-Louis B., toujours empli de culture anglo-saxonne. Il
s'agit du mur construit par les Anglais à la frontière de
l'Ecosse pour empêcher leurs voisins belliqueux de les harceler sans
cesse. Evidemment, il s'agit sans doute ici plutôt d'un de ces innombrables
enclos pour enfermer les brebis à l'abri des prédateurs, mais
comme il n'est pas entretenu, des pans entiers ont disparu ou bien s'écroulent.
Christine
désespère : "Il faut vraiment monter là-haut ?"
Désormais, nous marchons sur les crêtes, et elle n'imagine
même plus qu'il puisse y avoir une descente, bien que je l'assure
que si. Nous atteignons le sommet, où j'immortalise cet instant mémorable,
et à partir de là, tous les éclopés vont commencer
à souffrir sérieusement : monter, ce n'est rien, c'est la
longue descente qui est dure pour les genoux et les tendons. Je marcherais
bien à reculons, mais ce n'est pas très pratique sans rétroviseur.
Je regrette de ne pas avoir d'ailes comme ces vautours qui planent sans
peine au-dessus du précipice. J'adore les voir évoluer et,
malgré mon retard, je les guette pour tâcher de les prendre
au plus près.
La
lumière a changé progressivement en cours de journée.
Les ombres s'allongent, une brume légère de chaleur s'élève
des montagnes à l'ouest, adoucissant les rayons obliques du soleil.
L'écobuage a déjà commencé. L'incendie fait
rage en contrebas de la falaise que nous dominons. J'avoue que je ne vois
pas l'intérêt de laisser se propager si haut le feu : si j'ai
bien compris, il sert à dégager des zones de pâturages
et à brûler les ajoncs dont les épines acérées
blessent les brebis jusqu'à provoquer parfois leur mort. Mais, contrairement
aux chèvres sauvages, elles n'escaladent pas les rochers et préfèrent
les pentes douces.
Je
trouve dommage de détruire ainsi délibérément
et sans objet la végétation et les petits animaux qu'elle
abrite.
La
montagne se pare d'ocre, puis de pourpre, la fraîcheur commence à
se faire sentir et un curieux silence envahit les crêtes dans la lumière
déclinante. Nous resterions bien ici à nous laisser imprégner
de la paix vespérale, guettant la disparition du soleil derrière
les cimes. Serge nous en dissuade : "Il va faire froid cette nuit !"
Nous nous engageons dans l'ombre et nous hâtons lentement. Nous partageons
nos dernières victuailles, pomme, orange, chocolat au lait et aux
noisettes (mmmmm...) et rejoignons enfin le groupe de tête qui n'a
pas voulu nous attendre, "de peur de nous retarder" (oui-oui,
c'est vrai !), car Jean-Marc souffrait d'une sérieuse tendinite,
Xavier de son genou (mais en silence), et Richard de son épanchement
de synovie. Qu'est-ce que cela aurait été s'ils avaient été
pleinement valides !