Evidemment,
on ne peut pas contenter tout le monde dans un grand groupe comme le nôtre.
Marcher aussi peu, et se reposer autant, cela fatigue Jean-Louis qui décide
de redescendre l'Irubela jusqu'à Bidarray (à condition que quelqu'un
vienne le chercher, bien sûr).
Il entraîne avec lui Yann et son fils Florian, ainsi que Pascale et
sa fille aînée. Après le repas, Sabah, Michèle
et Isabelle restent tranquilles à deviser tandis que nous montons jusqu'au
sommet voisin de l'Irubela.
Nous
semons quelques compagnons en cours de route, découragés par
l'ascension un peu raide, et arrivons en petit comité au cairn.
L'Irubela est une montagne intéressante
par sa constitution en forme de crête rocheuse, semblable au dos d'un
stégosaure dont la colonne vertébrale pointe ses os en forme
d'écailles hérissées de la nuque à la pointe de
la queue. Le regard plonge d'un côté sans obstacle jusqu'au fond
de la vallée tandis que les vautours surgissent du vide aspirés
vers le haut le long de la falaise ; de l'autre côté, la pente
plus douce est couverte d'herbes longues encore vertes, lieu de prédilection
des pottoks et des moutons dont nous voyons les traces qui jonchent le chemin.
Il faut faire attention, la sente se perd
au milieu des roches branlantes, parfois
un trou s'ouvre sous nos pas, franchi d'un bon par Casimir,
mais
que les autres préfèrent contourner prudemment. Par grand vent,
il ne doit pas faire bon s'y promener, le précipice n'est jamais bien
loin et les bourrasques rendent le pied moins sûr. Aujourd'hui, ce n'est
pas le cas et nous progressons facilement.
Ce que j'aime, dans les Pyrénées,
c'est la variété des paysages. Je n'ai pas souvenance d'une
impression semblable dans les Alpes où les espaces sont beaucoup plus
grands et, me semble-t-il, plus monotones.
Ici, suivant le degré d'érosion, nous passons d'une époque
à l'autre et, si je savais lire la roche comme un géologue,
je saurais reconnaître les restes de la barrière corallienne
remontant à l'époque tropicale antérieure à l'érection
des Pyrénées, les replis basaltiques des laves d'anciens volcans,
les
ammonites fossilisées dans les calcaires, sédiments de mers
anciennes, les grès roses et gris et le poudingue
qui
garde en son sein des galets de torrents antédiluviens.
Nous laissons le petit groupe de marcheurs
s'éloigner et faisons demi-tour pour récupérer au fur
et à mesure les lambeaux de notre groupe dispersés dans la montagne.
Tandis que passent les vautours au-dessus de nos têtes, enchantement
permanent de leur vol majestueux, nous découvrons que les filles ont
inventé un nouveau jeu. De
ces plantes aux feuilles particulières qui poussent dans les tourbières
en bouquets de longues pointes vertes acérées, elles tressent
des couronnes dont Cha-Cha ceint Xavier, son maître d'école,
avec application.
Nous apprenons en revenant sur le lieu du
pique-nique qu'Isabelle s'est sentie mal tout à l'heure, et que c'est
la raison pour laquelle elle a préféré se reposer au
lieu de nous suivre jusqu'au sommet de l'Irubela. Il
est vrai qu'il fait très chaud : elle a bien fait de rester tranquille
à l'ombre des grands hêtres. Après une nouvelle petite
sieste, nous remontons aux voitures. Sans trop nous en apercevoir, nous avions
descendu une longue pente qu'il nous faut maintenant gravir.
Sans
entraînement, certains peinent et c'est le tour de Sabah de ne pas se
sentir très bien. Dans ces cas-là, l'important, c'est de ralentir
et d'aller à son rythme, bien respirer et prendre son temps. Richard
et Michèle restent à ses côtés pendant que je m'en
vais tenir compagnie à Dominique et Isabelle.
Comme toujours, les enfants sont loin devant.
En groupe, rien ne les rebute, sinon l'ennui de marcher simplement. Ils sont
peu sensibles à la beauté du paysage et attachent plus d'importance
à leurs compagnons du moment. Je pense que ce qu'ils auront préféré
de la journée, c'est l'exploration du petit bout de forêt derrière
la butte du pique-nique. Anna
est grimpée sur la branche, tout comme Jonathan, pour ensuite s'y suspendre,
tandis que les jumeaux tour à tour s'escrimaient à coup de bâtons
répétés à faire tomber une grande branche morte
restée suspendue à mi-hauteur dans l'arbre.
Florian
tentait d'imiter les plus grands, de même que Sammy, tandis que Lola
et Charlie d'un côté, Mahalia et Charlotte de l'autre, regardaient
avec circonspection cette agitation. Cécile, surprise dans sa progression,
a glissé sur les feuilles mortes qui tapissent le sous-bois et s'est
retrouvée par terre sans savoir s'il fallait rire ou pleurer.
Pendant
ce temps, le petit groupe de randonneurs progresse dans la longue descente,
raide et malaisée, de l'Irubela, puis la remontée très
éprouvante après Xumus pour se diriger enfin par la petite route
vers Bidarray. Florian, dont la motivation principale était de se baigner,
se trempe totalement (y compris les vêtements) dans le ruisseau et marche
vaillamment jusqu'au bout en ne se plaignant (presque) pas. A ses joues rouges
et son air un peu perdu, je décèle sa grande fatigue : du haut
de ses 10 ans d'âge, il s'est montré bien plus volontaire que
nombre d'adultes. Il a bien gagné son "Monaco" qu'il boit
tandis que nous dégustons avec lenteur une bière à la
pression merveilleusement fraîche. J'ai oublié de préciser
que c'est moi qui suis allée chercher ces "dissidents" à
Bidarray (une heure de route depuis le Gorra Makil, puisqu'il fallait redescendre
jusqu'à Espelette sur la route de Cambo,
aucune
route directe ne menant à Bidarray en raison de la conformation particulière
des vallées pyrénéennes, toutes perpendiculaires à
la chaîne).
Sur la route du retour, nous assistons à
une scène pénible. Un chien a entrepris de traverser la voie
très fréquentée. En
sens inverse, un camion s'est pratiquement arrêté puis, changeant
d'avis, le chauffeur a redonné un coup d'accélérateur,
bousculant la pauvre bête qui a roulé sous le véhicule,
très probablement tuée sur le coup. Nous étions horrifiés
et dégoûtés de la sottise du chauffard, de son absence
de coeur, et de la facilité avec laquelle une vie peut être ôtée.
Finalement, nous arrivons à la maison
avant le grand groupe. Yann et Florian, enfermés dehors, attendent
le retour d'Isabelle et Cécile chez nous, devant une boisson fraîche.
Il
faut dire que les autres n'ont pas démarré de suite, réunis
nonchalemment autour d'un fond de bouteille de vin bien "chambré"
au fond d'un sac à dos, suivi d'un "petit dernier" à
La Pitxurri, une des ventas de Dancharia : ils n'arrivaient plus à
se quitter...
Balade tranquille (29 mai 2003) |