St Bertrand de CommingesJe m'étonne toujours de ces vogues qui parcourent les populations, faisant fi des frontières, puis disparaissent et laissent place à de nouveaux engouements. Depuis la fin du XIXème siècle - début XXème, les esprits se sont tournés vers cette ancienne hérésie du Moyen-Age que l'on a appelée catharisme en Rhénanie, Bourgogne, Suisse, Lombardie et Occitanie, mais qui a débuté quelques dizaines d'années auparavant en Bulgarie (qui englobait alors la Macédoine, incluse aujourd'hui dans la Grèce) et dont les adeptes s'appelaient les bogomiles. St Bertrand de CommingesEvidemment, ce "retour aux sources" ne s'est pas fait sans dévoiement et ces idées ont été récupérées par des mouvements aussi divers que le "méridionalisme postromantique de Napoléon Peyrat, les sociétés secrètes, le wagnérisme, l'anthroposophie de Rudolf Steiner et même l'occultisme nazi" (Pyrénées Magazine, Entretien avec Francesco Zambon, professeur de philologie et de littérature romane à l'université de Trente - Italie).

Pire même, ce nouvel intérêt pour les Cathares est actuellement exploité à outrance sur le plan commercial pour la vente du vin des Corbières en Languedoc à travers de grandes affiches publicitaires qui arborent un château en ruine perché au sommet d'un roc austère, figure emblématique des soit-disant "châteaux cathares". Toutes les régions où a sévi peu ou prou cette hérésie en profitent pour organiser des visites sur ce thème dans tout vestige de château, d'abbaye ou village, sans trop se préoccuper de la vérité historique. St Bertrand de CommingesBien sûr, est proposée (accessoirement ?) à la vente une multitude d'objets aussi divers que variés, livres, revues, vêtements "moyenâgeux", armes, artisanat du bois, de la poterie, du verre, cadrans solaires, j'en passe et des meilleurs. St Bertrand de CommingesMême le cadre des salles de restaurants et les menus proposés se mettent à l'heure cathare, ou tout au moins moyenâgeuse, mêlant sans vergogne le roi Arthur, les anciens pressoirs, et les tableaux mettant en scène les bûchers de l'Inquisition.

Pourtant, d'après les rares sources écrites laissées par ces précurseurs du protestantisme, et les comptes-rendus des procès qui les condamnaient, nous pourrions encore à notre époque nous inspirer de leur pensée et y trouver un enrichissement spirituel. J'ignore encore presque tout du catharisme, mais j'en ai retenu certains traits qui m'ont plu. En tout premier lieu, cette église était parfaitement mixte : les prêches, ainsi que les sacrements, étaient administrés aussi bien par des femmes que par des hommes. Le château de MauvezinLes religieux étaient intégrés au sein de la population, s'exprimant dans sa langue (au lieu du latin), travaillant pour vivre, souvent en formant des ateliers de tissage, et continuaient d'avoir des relations de parenté, de voisinage, de commerce, bien qu'ils fussent regroupés en petites communautés (de femmes ou d'hommes). Programme de l'Escola Gaston FébusIls tâchaient de se comporter le mieux possible en suivant la lettre de l'ancien et du nouveau testament (ils étaient appelés "les Bons Hommes" et "les Bonnes Femmes"). Rejetant la plupart des rites, sacrements et ajouts divers effectués depuis le millier d'années qui s'était écoulé depuis la mort de Jésus-Christ, cette église (qui se disait chrétienne) prônait la pauvreté, le jeûne et le partage, préceptes qui allaient à l'opposé du comportement de l'église dirigée par le Pape. Ce qui me plaît moins, c'est l'idée de dualisme (qui était rejetée très fortement par l'église papale), selon laquelle (si j'ai bien compris) l'esprit relevait de Dieu et la matière (le corps) du Mal : il me semble qu'ils rejetaient ainsi l'essence même de la vie.

Le village de MauvezinJ'aime me promener dans une région en essayant d'en comprendre l'histoire. Je ne pense pas que cela serve à grand chose de regretter que les vaincus n'aient pas été les vainqueurs. Notre civilisation actuelle et notre mode de vie sont le résultat de toutes ces batailles passées que nous ne pouvons effacer ni nier mais qu'il importe, je crois, de comprendre.

Après avoir déposé Jonathan et ses amis au camp de vacances de Saint Pé de Bigorre, près de Lourdes, où il s'apprêtait à pratiquer rafting, canoë, spéléologie, découverte du parc national des Pyrénées, escalade et "escalad'arbres" Mauvezin, tour de guet(j'en oublie peut-être), nous avons poursuivi notre périple en direction des Pyrénées Orientales. Comme nous ne sommes que tous les deux, Jean-Louis et moi, nous n'avons aucune contrainte et nous nous laissons aller à notre inspiration. Mauvezin, le guetteurEmpruntant la petite route, très jolie mais étroite et sinueuse, qui suit les circonvolutions de la montagne et traverse tous les villages, nous mettons un temps infini à progresser vers l'est. Nous faisons une première halte pour déjeuner dans l'enceinte de l'ancien château fort de Mauvezin (cliquer dessus pour accéder au site internet) aux murailles bien restaurées. L'Escola Gaston Fébus a pris en charge l'animation et propose un programme bien sympathique. Des palissades de bois forment une double ceinture ponctuée de petites tours de guet, également en bois, dont les ouvertures sont closes de volets qui s'ouvrent par le bas, pour permettre au garde de tirer sur l'assaillant et dont l'accès n'est possible qu'à l'aide d'une échelle amovible.

Comme notre route passe non loin de Saint Bertrand de Comminges, nous faisons un petit crochet pour visiter le village et son église. Le nom du lieu ne m'était pas inconnu, mais j'ignorais ce que j'allais y trouver. Du théâtre romain, il ne reste que quelques murs bâtis à flan de colline en arc de cercle. L'église est plus belle, vue de l'autre côté depuis le versant opposé aux parkings. Elle possède un magnifique orgue et un curieux choeur central en bois composé de 66 stalles qui isolait les chanoines des pèlerins. Le village a quelques maisons moyenâgeuses pittoresques.

Nous entrons dans la librairie attenante à l'église, installée dans les murs d'un superbe ancien bâtiment religieux, et j'apprends au passage, en visitant une des salles d'exposition de sculptures et panneaux explicatifs, l'origine du mot "trophée". Il s'agissait "d'un tronc d'arbre ébranché qu'une armée victorieuse érigeait à l'issue d'une bataille et chargeait des armes et des dépouilles des vaincus. Transposé dans la pierre et le marbre, ce symbole, né de l'art triomphal et religieux de la Grèce antique, s'intègre à de nombreux monuments commémoratifs de la Rome républicaine et impériale. Trois trophées ont ainsi été érigés dans les Pyrénées : l'un au col de Panissars (Le Perthus), l'autre à Saint Bertrand de Comminges, et le troisième, qui nous avait intrigués lors d'une randonnée au-dessus de Saint Jean Pied de Port, est à Urculu. Ce sont les vestiges d'une "tour située aux frontières du Pays Basque (Aquitaine) et de la Navarre (tarraconaise) qui célèbrerait la soumission des populations d'Aquitaine après les campagnes d'Agrippa en 38 et de Messala en 27 avant notre ère". C'est amusant de trouver deux ans plus tard la réponse à une question de façon inattendue et dans un lieu incongru.

Après Saint Bertrand de Comminges, nous apercevons une ou deux heures plus tard sur une colline des silhouettes monumentales qui s'élèvent d'un petit village dont j'ai oublié le nom. Pendant que Jean-Louis mange une pomme et lit un livre, assis à l'ombre d'un arbre du parking, je grimpe la colline pour jeter un oeil sur l'église de pierre au clocher de brique qui me rappelle un peu la facture de l'église de Saint Cernin à Toulouse, que j'aime beaucoup.

 

 
1/5

 

Les châteaux cathares : une supercherie ?