En
fin d'après-midi, nous arrivons à Foix, curieuse ville coincée
entre les montagnes, dont les voies ferrées et routières affligent
la vue et affectent le paysage. Je suis encore sous le charme de mon voyage
à Prague et je regrette que toutes les villes de France et de Navarre
ne soient pas pourvues d'un centre historique réservé aux
piétons et libéré du bruit, de l'agitation et de la
pollution engendrés par la circulation automobile. Nous visitons
le château bien
mis en valeur
par
des panneaux thématiques qui expliquent l'histoire, les anciens métiers,
la fiscalité, les relations entre les seigneurs et l'église,
entre l'église et les hérétiques cathares du XIème
au XIIIème siècle.
"Par exemple, vers 1002, Roger
le Vieux, comte de Carcassonne, partage son territoire entre ses enfants.
A
Bernard revient ce qui deviendra le comté de Foix, ainsi que le Couserans,
tandis que Pierre, évêque de Gérone, obtient les revenus
de l'abbaye de Saint-Volusien à Foix. C'est ainsi que se tissent
des relations très étroites entre les comtes et les abbés."
"Au XIIIème siècle, les religieux de l'abbaye ne peuvent considérer comme ennemis les parents ou connaissances passés à l'hérésie cathare. Un chanoine, Pierre de Suc, était croyant hérétique ; Agnès de Durban, soeur d'un abbé de Foix, était liée à l'hérésie ; Guilhabert de Castres, évêque cathare, vint prêcher à Foix."
"En
1168, l'abbé Pierre signe avec le comte Roger-Bernard un paréage,
qui est la mise en commun des revenus où tout est partagé
par moitié. L'abbé apporte les droits sur la ville et son
marché, rentes, taxes et revenus de justice. Le comte apporte les
droits sur l'extension de la ville, la majorité des taxes du pont
sur l'Ariège, les bénéfices du four banal (obligation
aux habitants de l'utiliser moyennant une redevance). Il inclut le pont
sur l'Arget, les moulins en aval et ceux prévus en amont. En contrepartie,
comte et abbé participent à l'organisation urbaine : entretien
du pont sur l'Ariège, réseau des fontaines."
Ces
quelques extraits des panneaux du château de Foix permettent de mieux
comprendre les relations étroites entre seigneuries et abbayes, l'étendue
des pouvoirs temporels, quasi seigneuriaux, des religieux chrétiens
à cette époque, et les raisons pour lesquelles l'hérésie
cathare avait fait tâche d'huile, gagnant la sympathie de toutes les
strates de la population. Information supplémentaire lue dans un
roman historique se situant à l'époque des Cathares non loin
de Narbonne, les Occitans n'avaient pas dans leurs coutumes l'institution
du droit d'aînesse, telle qu'elle existait au nord, chez les Francs.
La conséquence logique était le morcelage des héritages
dont une partie était souvent rachetée par l'Eglise qui s'enrichissait
aux dépens des seigneurs. Les cadets de leur nombreuse descendance
se trouvaient parfois réduits à vivre de rapine et de pillage,
accroissant
l'insécurité déjà forte en cette période
de féodalité et d'absence de pouvoir central, où la
"police" était assurée par les seigneurs et la "justice"
par les abbés. Si l'on considère la masse de ces châteaux
et bâtiments religieux fortifiés, sans parler de l'allure des
armes et armures, et le nombre de fois où des incendies (accidentels
ou provoqués)
ont
détruit les villes et villages presque totalement construits en bois,
je pense que l'inquiétude devait être permanente si l'on ne
possédait pas une bonne dose de fatalisme - et une foi en Dieu extraordinaire
-.
Nous profitons de notre présence
en ville pour prendre à l'office du tourisme la liste des logements
en chambres d'hôtes. Jean-Louis préfère téléphoner
depuis Foix pour se renseigner sur les disponibilités plutôt
que se diriger au hasard et faire du porte à porte. Nous sélectionnons
un village des alentours appelé Le Bosc. Ce que nous ignorons, c'est
qu'il se trouve à 900 mètres d'altitude. Nous suivons les
indications téléphoniques et arrivons à "La
vallée verte" au hameau de Madranque, sur la route du col
des Marrous, où
il n'y a plus que trois maisons occupées : encore un village (presque)
abandonné ! Heureusement ici, contrairement à Pano, l'eau
coule en abondance, il suffit de voir l'exubérance de la végétation
contre laquelle les propriétaires luttent pied à pied.
Outre
l'offre de quelques chambres, et d'une table fort bien garnie, le couple
propose des stages de tissage, tapisserie et teintures végétales.
Dès notre arrivée, le ton est donné : on nous présente
un couple de Lyonnais arrivés peu avant nous en leur demandant leur
prénom et on nous avertit que l'apéritif sera offert sur la
terrasse avant de dîner à la salle à manger au premier
étage, avec vue sur la montagne... Notre chambre est en rez-de-jardin,
un panorama superbe s'offre par la porte grande ouverte. Un couple de Belges,
des habitués qui reviennent chaque année, est traité
comme des amis de la maison, avec une grande familiarité. Nous faisons
connaissance avec l'homme de la maison qui se désigne comme "le
mari de la patronne" et nous fait la conversation avec une bonne humeur
communicative tout en nous servant à boire.
C'est
un vrai plaisir de recevoir un accueil aussi chaleureux :
quelle
différence avec les hôtels ! Et avec des prestations équivalentes,
sinon meilleures. Bien sûr, nous sommes à plus d'une demi-heure
de la ville, mais c'est plutôt un avantage.
Il paraît qu'on peut faire de
la raquette et du ski de fond dans les parages. Le chasse-neige dégage
la route régulièrement. Je m'enquiers des conditions de vie.
Au hameau, vit un couple avec deux jeunes enfants, un homme de 75 ans, et
nos hôtes qui ont une fille qui vient de passer le bac et va devenir
étudiante. Un ramassage scolaire est organisé dans toute la
ceinture de Foix (essentiellement des villages de montagne), où les
enfants sont pris directement à la porte de chaque maison. La jeune
fille a préféré cette année être pensionnaire
à Foix, mais elle aurait pu revenir sans problème tous les
soirs. Le "mari de la patronne" dit que le paysage a considérablement
changé en 30 ans. Lorsqu'ils sont arrivés, le village était
abandonné depuis peu, et leur présence a fait revenir leur
voisin et attiré le jeune couple. Il
reste cependant plusieurs maisons dans un état de délabrement
certain.
Lorsque
la montagne était peuplée, la pratique de l'élevage
avait nécessité l'entretien de prés et d'estives. Lors
de l'exode rural, la forêt a peu à peu repris ses droits et
elle recouvre maintenant la totalité des collines alentour, faite
de pins, sapins, bouleaux et hêtres. Nous, nous trouvons le paysage
magnifique. Il nous parle des inconvénients : par exemple, il a abandonné
l'idée de cultiver un potager. Je lui dis "Les sangliers ? -
Non, les biches et les cerfs ! Ils viennent tout me brouter, je n'arrive
à garder que les fleurs tout contre la maison ! A la place des tomates,
je suis obligé de manger du cuisseau de chevreuil !..." Nous
autres, citadins, idéalisons la vie à la campagne, ou à
la montagne, et nous n'imaginons pas que les habitants se retrouvent en
concurrence avec une nature végétale et animale envahissante.
Chaque maison abandonnée est envahie d'orties, dans les pentes, le
buis et les ronces se mêlent inextricablement, et les arbres descellent
les pierres des murets, démolissant les terrasses bâties avec
peine.
DEBUT | 2/5 |
![]() |
Les châteaux
cathares : une supercherie ? |
![]() |