Un
camion passe en trombe, nous couvrant de poussière. Il rouspète : "-
Devinez combien j'en vois par an : 400 ! Cette poussière,
c'est une vraie nuisance, elle m'a tué une vingtaine de moutons ! J'ai
demandé qu'on vienne arroser la route pour la réduire. Vous savez combien
de fois ils sont venus ces dernières années ? Deux fois ! C'est une
gravière, près du fleuve, vous êtes montée sur la jetée ? - Celle avec
le gros tuyau rouillé ? - Oh, le portillon, il suffit de le pousser.
On
a mis
plus de quatre ans à faire cesser son activité. Ils avaient tellement
raclé le fond de la Gironde, qu'ils atteignaient presque la nappe phréatique.
En plus, les pêcheurs se plaignaient, avant, les mouettes cueillaient
les poissons en masse à la surface, ce n'est plus le cas désormais.
En remuant la vase, ils ont aussi endommagé les naissains d'huîtres
un peu en aval. Ah, ça, de l'argent, ils ont dû s'en mettre plein
les poches !"
"A
propos de poussière, vous avez vu mon potager ? Mon voisin a passé
du désherbant alors que le vent soufflait vers chez ici, et le produit
a brûlé les trois-quarts de mes légumes !
Autrefois, il y avait un bois à cet endroit, et nombreux étaient les gens qui venaient s'y rencontrer, vous savez, ces gens de la ville, aux moeurs un peu... Un jour, mon amie se tenait là, au bord de la route, et moi de l'autre côté, et une de ces voitures s'est arrêtée, vous savez ? pour lui demander... Heureusement que j'étais là ! Il y en un qui arrive, et après, ils s'appellent tous par téléphone et se retrouvent à dix ou quinze voitures ! Des malades !"
"Il
y a beaucoup d'animaux sauvages par ici. Je suis obligé de mettre des
pièges à renards : ils viennent
me manger les poules le matin de bonne heure. J'ai réussi à en tuer
une vingtaine cette année. La région en est infestée. Comme la forêt
là-bas
au fond
est une zone protégée, ils viennent ici commettre leurs larcins et
ils se dépêchent de retourner s'y réfugier en sécurité après. Une année,
l'un d'entre eux m'a égorgé un agneau ! J'en ai vu passer un devant
moi, à travers le potager, et il a disparu tout d'un coup, je n'ai
aucune idée par où il a pu passer, par là peut-être ? Il y a aussi
des sangliers : ils doivent se vautrer dans le maïs, et le manger à
satiété" (un large sourire éclaire sa face burinée). "Les buses fondent
également sur mes poussins. Et il y a des fouines, des putois, des
visons, oui, en liberté, et toutes sortes d'autres animaux."
"Ah
! Votre mari est en séminaire au château ? Oui, il est aussi à mon
voisin, qui l'a acheté et l'a retapé.
C'est bien, ce qu'il a fait." L'intérieur est aménagé en plusieurs
salons et le premier étage donne sur une vaste terrasse qui fait le
pourtour du bâtiment carré, auquel on accède par un double escalier
à révolution. Des bureaucrates en costume sombre l'arpentent en
va-et-vient, soliloquant, le téléphone mobile pressé contre l'oreille.
Une vaste fresque orne le hall d'accueil dans l'entrée. A l'extérieur,
une piscine est presque terminée. Des haies de buis ont été plantées
en spirales symétriques devant son portail bas flanqué d'une
douche.
Un
massif de rosiers ne demande qu'à s'épaissir. Un parterre de fleurs
récemment
disposées
donne une
idée
de l'aménagement futur du parc. Une butte ombragée en bordure de la
Gironde a été fraîchement fauchée. Plus loin, un vaste parking a été
prévu pour une cinquantaine de voitures au moins. Depuis la route,
on passe entre deux grands piliers de pierre, pour emprunter une allée
rectiligne bordée de grands arbres. Seule ombre au tableau, les silos
sur l'autre rive qui gâchent le paysage.
Mon interlocuteur se décide à reprendre
ses activités. "Au bout de la route, la gravière vous empêchera de
passer, son accès est interdit et elle est entourée de hauts grillages
fermés par un portail. Mais vous pourrez entrer dans mes prés en enjambant
la clôture, ma chèvre l'a un peu défoncée. Après, vous rejoindrez facilement
le bord du fleuve et le château..."
![]() |
Page 2/2 |
![]() |
Rencontre girondine |
![]() |
![]() |
7 juillet 2005 Cathy et Jean-Louis |