Certains lieux inspirent davantage le recueillement que d'autres. Nous avons vu plusieurs églises sur le chemin, et pu pénétrer dans certaines d'entre elles. Nous nous étions arrêtés à Hontanas pour y déjeuner, petit village lové dans un repli de la meseta. L'Italien en robe de bure était là, assis, en train de retirer ses chaussures pour soulager ses pieds endoloris. Il était trop tôt pour manger, nous avons commandé des cafés et acheté des gâteaux secs à la camionnette du boulanger annoncée par de nombreux coups de klaxon. Puis la tenancière, habillée sur son trente et un, nous a averti qu'elle fermait le restaurant un moment et qu'elle allait revenir. C'est alors que nous avons vu tout le village (pas plus d'une trentaine de personnes) pénétrer dans l'église pour fêter la Toussaint : les femmes assises devant, les hommes debout au fond, près de la porte, pas très concentrés, en train d'échanger parfois quelques plaisanteries à voix basse, le visage buriné et beaucoup moins apprêtés sur le plan vestimentaire que les épouses.
Dans l'église de Población de Campos, pourtant pas considérée comme une des plus remarquables du chemin, de la musique religieuse en sourdine s'élevait vers les entrelacs de pierre tandis que nous évoluions hors du temps, saisis par la beauté du lieu, intime malgré la hauteur de ses colonnes et la majesté de ses proportions. Accrochées aux parois de pierre, des têtes sculptées rappellent avec beaucoup de réalisme des personnes des siècles passés. Dans une abside reposent deux gisants derrière une grille. Nous y resterions bien plus longtemps, d'autant que, pour la première fois, une pluie fine commence à tomber. En sortant, nous revêtons nos capes, mais le nuage passe très vite et elles ne nous servent bientôt qu'à nous protéger de la bise.
La superbe église romane de San Martín dans le village de Frómista nous touche également par son architecture pure et ses chapiteaux sculptés. Aussi belle à l'intérieur qu'à l'extérieur, j'admire sous tous ses angles son dôme hémisphérique de pierre claire. Curieusement, deux autres églises sont bâties à proximité, de facture postérieure, les goûts ayant sans doute changé, heureusement qu'ils n'ont pas détruit la première. Dans la foulée, nous visitons un musée du fromage, avec des anciens instruments intéressants à voir et un vélo flanqué de deux bidons à lait. Un feu brûle dans une cheminée ouverte, dommage que la jeune femme éteigne les lumières, il faut sortir et retrouver l'air froid du dehors.
Pour terminer, je repense à un lieu tout à fait anecdotique que nous avons croisé le second jour au beau milieu de la meseta. Certainement très fréquenté en été, un panneau promet piscine, sauna, fontaine et gîte frais dans un bâtiment partiellement peint en bleu et flanqué d'une petite coupole surmontée d'un drapeau, érigé près d'un bois de peupliers aux feuilles frémissantes. Une artiste du village a orné les murs de fresques d'inspiration multiple, aussi bien religieuse que fantastique ou historique, du plus curieux effet. L'accueil y est simple et chaleureux, mais les occupants n'appartiennent visiblement pas au type traditionnel du pèlerin. Celui qui nous offre le café tient le gîte depuis six mois. Les mains enfarinées, il prépare les pâtes fraîches du déjeuner. Un gars plutôt débraillé émerge du dortoir attenant à la cuisine minuscule dépourvue d'évier (vaisselle à la fontaine ou dans la piscine ?) pour nous dire qu'il réside ici depuis plusieurs jours car la tambouille est bonne (!!!). Un ou deux autres restent allongés après un vague bonjour.
Il faut dire que le régime habituel des "albergues", c'est tout le monde au lit à dix heures au plus tard, et les premiers levés émergent à 6 heures, les lits devant être débarrassés à 8 heures dernier délai. L'intérieur de la coupole est aussi orné d'une fresque originale, d'instruments de musique et d'objets d'art rustiques, un banc circulaire invite à la méditation oecuménique tandis qu'un globe terrestre avec des continents en relief se balance dans un angle. Des étoiles sont vaguement dessinées sur fond bleu sombre, sans recherche de réalisme. Si l'ensemble n'était pas si négligé et sale, ce serait presque un endroit sympathique (si l'on aime l'éloignement de toute agglomération).
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Richard, Max, Jean-Louis B., Cathy et Jean-Louis | Sur les chemins de St Jacques
de Compostelle |
Mardi 31 octobre au vendredi 3 novembre |