Un
chien se réveille brusquement au milieu de la nuit : dès
les premiers aboiements, tous les autres chiens du village font chorus.
L'un d'eux,
à la voix geignarde, semble à chaque fois se faire étriper
et ses hurlements stridents excitent la meute. Le silence revient. J'essaie
de me rendormir.
Soudain le boucan recommence, j'ai l'impression d'être dans le dessin
animé des 101 Dalmatiens. A l'aube, les coqs s'éveillent à leur
tour, tandis que les chiens s'endorment peu à peu. Nous sommes
dans la vallée
de Chistau, à San Juan de
Plan, petit village étagé sur la berge droite de la Cinqueta,
abrupte mais bien ensoleillée et à l'abri des vents violents
qui descendent des
cols des
montagnes environnantes.
Bien
que la faible population se compose en grande partie de vieillards, les
villageois perpétuent leurs traditions : le Carnaval, la langue
autochtone "el chistabín", l'élevage -
dans des appentis attenant à leur maison est entreposé le fourrage
pour le bétail -
et le chauffage au bois qui déborde des auvents. En nous promenant
dans une ruelle pavée en son milieu de galets inégaux,
notre regard plonge dans une cour en contrebas entourée de hauts
murs où vont
et viennent comme fauves
en cage quatre chiens au milieu
de leurs excréments. Sans doute des chiens de chasse, enfermés
en permanence, comme on le faisait autrefois en France. Voilà une
partie des responsables de ma première nuit difficile (les boules
Quiès
me permettront de récupérer les nuits suivantes). De
petits potagers plus ou moins
soignés et arrosés suivant les forces de leur propriétaire
(je suppose) nous laissent perplexes : nous savons mieux reconnaître
les fleurs des jardins que les légumineuses. Le cuisinier nous
fera découvrir la saveur ancienne de la bourrache, sans doute cette plante
à larges feuilles dentelées qui pousse dans un jardinet. Tous les légumes
qu'il emploie proviennent d'ailleurs du potager familial, et dégagent
une saveur succulente inhabituelle à nos palais peu exercés.
Un
grand noyer ombrage le parking de l'église à l'entrée
du village où il est presque impossible de circuler en voiture.
Face
à l'entrée se trouve un ancien cimetière très
fleuri de plantes en plastique déposées
sur les mamelons de terre oblongs devant les stèles
verticales gravées de noms.
La
plus ancienne mention de San Juan (San Chuan ou San Xuan) remonte à 1020.
L'abbaye, restaurée
et transformée
en musée ethnologique en 1983, porte la date de 1595. Un couple
de Français qui a pris la peine de le visiter rapporte que la cuisine
est étonnante, avec une cheminée monumentale située en son centre, et
ouverte de tous les côtés, j'imagine. Plus haut, une fontaine - abreuvoir
et peut-être
aussi lavoir, bien que la longue gouttière me semble trop étroite
et peu pratique - glougloute
d'une eau constamment limpide et fraîche. Elle est adossée
au mur de soutènement d'une placette curieusement ornée
au sol d'une grande croix basque (pas la gammée, mais celle aux
courbes arrondies en gouttes) qui sert de cour à l'école
aménagée dans une belle maison traditionnelle de pierres recouverte
d'ardoises.
Les
toits très pentus sont munis de picots : les hivers doivent être
rudes ici, et bien
enneigés. A ce propos, un internaute qui apprécie comme
nous cette vallée
relativement préservée évoque avec inquiétude
le projet de création d'une
station de ski.
L'entrée
de l'hostal Casa de la Plaza est plongée dans l'ombre : ici, tout
le monde se calfeutre en été pour
éviter la chaleur et les mouches,
envahissantes. Nous y sommes accueillis gentiment, et l'on
nous mène à nos chambres situées sur le même
palier mais orientées vers trois points cardinaux et toutes différentes,
spacieuses et aménagées avec goût. Des photos de
famille anciennes ornent les murs : on
y voit des femmes en longue robe noire, notre hôtesse,
adolescente, en train de danser en habits de fête traditionnels,
ou bien se tenant avec ses parents et son jeune frère. En plus
des touristes de passage, français ou espagnols, trois générations
habitent là :
les parents, qui tenaient probablement l'auberge avant et continuent
d'aider comme ils le peuvent leur fils, cuisinier, et leur fille, qui
accueille et sert à table, mariée et mère d'une
fillette et d'un bébé qui
crapahute à quatre pattes.
Si
les autochtones sont aussi âgés et répartis entre
une kyrielle de minuscules villages (qui ne dépassent
pas parfois la dizaine d'habitants permanents), c'est que le Sobrarbe
a été victime
de sa principale richesse : l'abondance de l'eau (probablement gratuite
à San Juan, vu la façon dont ils laissent couler les chasses d'eau...). Sous
Franco, dans les années 50-60, des vallées entières
ont été vidées
de leurs occupants afin
d'y ériger des barrages, créer des réserves d'eau
et des centrales hydroélectriques. Ils n'ont été ni
avertis
ni
consultés, et n'ont reçu que des indemnisations dérisoires
en compensation de la perte de leurs champs et de leurs maisons. Sans
aucunes ressources, ils ont dû refaire
leur vie à Barcelone ou Saragosse. Ceux qui restaient n'osaient
même
plus investir ni entreprendre, sous l'épée de Damoclès
d'une inondation possible de leurs terres. Enfin, les bénéfices
de ces travaux n'ont été attribués
ni à la région, ni à l'Etat, mais seulement
à
quelques
intérêts
privés.
Le
tourisme en progression depuis quelques années - et le changement
de politique - offre une seconde chance au
Sobrarbe. Le problème, c'est que les habitants actuels, trop âgés
et disposant de trop faibles revenus issus de l'exploitation du bois
ou
de l'élevage, ne peuvent pas effectuer la plupart du temps ce
tournant.
Ce
sont des investisseurs qui bâtissent à tour
de bras des hôtels,
appartements et maisons de location, avec des moyens variés et
une insertion pas toujours très heureuse dans
l'environnement local. La pierre ne manque pas aux alentours, mais j'imagine
que la construction traditionnelle est plus onéreuse que la brique
ou les
dalles
de béton. Les murs sont recouverts
de cette mousse jaune qui sert d'isolation extérieure très
souvent en Espagne, puis d'un enduit quelconque peint, ou alors ils sont
camouflés
par un placage de
pierres
aux larges joints de ciment que je ne trouve pas aussi beaux que les
authentiques murs de pierre.
Photos : Maisons à Gistain, église et paysage depuis San Juan de Plan, borda et paysage sur le sentier de l'ibon (lac) des Millares, cascade sur de la pierre ferrugineuse.
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El valle de
Chistau (Aragon oriental) |
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Cathy, Jean-Louis, Richard, Max, Elisabeth et Jean-Louis
B. |
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