D'ordinaire,
lorsque nous prévoyons de grandes balades, nous préférons
partir à la
fraîche et revenir avant
l'orage qui sévit souvent en fin d'après-midi au mois d'août.
Mais cette fois, les conditions sont différentes : d'abord, une
pancarte dans l'entrée
de l'auberge annonce que les petits-déjeuners (pantagrueliques)
sont servis entre 9 et 10, et les dîners (cuisine familiale copieuse
et succulente) entre 20h30 et 22h. Nous décidons par conséquent
de faire
les
emplettes
pour le pique-nique de midi avant 9 h. Le premier jour, pas de problème,
Elisabeth et moi, désignées volontaires, nous rendons en voiture au village
voisin de Plan dont la boutique ouvre à 8h15,
mais le soir, en allant prendre une bière désaltérante au petit bar-restaurant
voisin, nous découvrons
qu'il y a aussi une épicerie à San
Juan, mais elle ouvre à 9 h. Qu'à cela ne tienne, nous
déjeunerons avant, puisqu'il
n'y a pas de trajet à faire. A 9 h15 (et quelques), j'arrive avec
mon cabas et trouve porte close.
Une
femme entre deux âges est assise sur la murette (où elle était
déjà la
veille au soir) et me renseigne : elle va bientôt arriver, elle
est allée
lever un malade ! Si vous voulez, allez devant la porte au coin de
la
rue et appelez Neta ! Je m'y rends et tape timidement sur le vantail
de bois (pas de sonnette ni d'interphone bien sûr). Rien ne se
passe, puis une petite vieille toute percluse ouvre et me demande ce
que je
veux. Je lui explique que le magasin est fermé, et il faut en
plus que je lui
énumère la liste de ce qui m'est nécessaire. Elle
finit par se décider
à chercher un gros trousseau de clés et me précède
en marmonnant qu'elle va faire de son mieux et qu'elle ne sait pas
si elle pourra tout me
servir ! Pendant ce temps, la commerçante (sa fille sans doute)
a fini de soigner l'oncle dans une rue voisine et la
pipelette se dépêche de la héler du plus loin qu'elle
la voit pour lui annoncer qu'elle a une cliente. Evidemment, le boulanger
n'est pas
encore
passé
: il ne
va pas
tarder...
(sans pouvoir me préciser le moment précis de son arrivée,
il doit
être en train de faire le tour des popottes).
Nous
préférons finalement
prendre la voiture et aller chercher nous-mêmes le pain à Plan.
En choisissant la vallée de Chistau, j'espérais que les balades y seraient moins difficiles qu'en vallée de la Maladeta un peu plus loin, où nous avions fait du parapente dans un décor grandiose et vertigineux. En outre, nous avons la possibilité ici de varier les plaisirs en allant de l'autre côté de la route principale pour visiter le canyon d'Añisclo et la vallée de Pineta (qui donne sur le Mont Perdu, le grand sommet d'Ordesa). Il y a quand même une vraie collection de 3000 tout autour de San Juan (pics de 3000 m d'altitude et plus), puisque nous sommes dans les Pyrénées centrales. Nous optons d'abord pour une balade vers le lac (ibon) de Millares, avec pour option le col des Eristes et le pic de la Forqueta qui le domine et culmine à plus de 3000. Nous espérons manger tous ensemble au bord du lac, mais il s'avère rapidement qu'Elisabeth va décidément beaucoup plus lentement que nous et peine dans les montées.
Jean-Louis
B. reste avec sa femme, nous leur laissons leur part de pique-nique
et nous poursuivons à un rythme plus soutenu directement jusqu'au
col où
règne un vent en rafales violentes et bien fraîches. Seul
Max réussit
à grimper jusqu'au sommet du pic de la Forqueta en "mettant
les mains" et
en descendant
à toute vitesse. Richard est très déçu
de ne pouvoir le suivre jusqu'au bout : lorsqu'il se retourne
après quelques minutes d'ascension, il prend conscience du vide
qui l'entoure, la peur le saisit et il se retrouve bloqué,
obligé de redescendre.
Quant à Jean-Louis,
il dit qu'il aurait bien suivi Max, mais, arrivé plus tard (avec
moi), il n'a pas osé se lancer seul malgré les encouragements
de Richard.
En
ce qui me concerne, les 1500 m de dénivelé jusqu'au col
me suffisent largement, et j'ai déjà eu peur
pendant toute la fin du trajet tant la pente était raide et le
terrain glissant et instable, alors...
Nous faisons un détour en redescendant par le lac, mais ici aussi rien n'est facile : de ce côté, il est surmonté d'un chaos de rochers sur une pente verticale avec un ou deux cairns, puis plus rien, nous ne savons par où passer. Max et Jean-Louis s'y engagent quand même, tandis que Richard et moi retournons sur nos pas pour reprendre le chemin balisé. J'en profite pour prendre quelques photos, notamment de cet arbre au tronc et aux branches vrillés, phénomène aux causes encore mal connues et qui n'arrive que pour certaines espèces. Comme il est mort, l'écorce disparue a découvert les fibres enroulées.
Le
lendemain, repos, nous allons au canyon d'Añisclo, beaucoup plus
touristique, que nous allons longer sur un sentier bien ombragé de
buis odorant, de hêtres aux troncs énormes et aux chênes
plus malingres, rejoignant de temps à autre le lit du torrent
où se forment de petites
plages bien sympathiques. Encore une fois, nous nous sommes donnés
un but trop
élevé, Elisabeth n'en peut plus de remonter ce torrent,
et nous rebroussons chemin en cherchant une aire de pique-nique pas trop
fréquentée en bordure
de l'eau.
Nous finissons par trouver la perle rare et traversons à gué pour
nous isoler sur l'autre rive qui donne sur une grande cascade. Richard
ne résiste pas, et malgré
les panneaux d'interdiction (nous sommes dans le parc national), il s'immerge
dans l'eau glaciale quelques minutes, suivi de Jean-Louis B.
Sieste,
partie de mus (Jean-Louis et moi suivons assidûment les cours donnés
par Richard et Max), lecture (pour Jean-Louis B. et Elisabeth), l'heure
est au calme et à la détente. En revenant, Max et Jean-Louis
me font remarquer de curieuses plantes sur la paroi rocheuse, parsemées
d'insectes
morts : ce sont des Grassettes à grande
fleur (Pinguicula), petites plantes
carnivores qui pallient l'absence de nutriments azotés par
le piégeage
des insectes.
Les
feuilles, d'un vert brillant, sont recouvertes de glandes
pédicellées qui s'effondrent sous le poids de l'insecte,
formant une petite fosse au fond de laquelle des glandes sessiles dégagent
un liquide contenant des enzymes
qui digèrent la proie et la transforment en nutriments assimilables
par la plante. Plus l'insecte se débat
pour s'extraire du piège, plus son corps entre en contact avec
le liquide mortel qui se répand aussitôt la glande touchée.
S'il a atterri en bordure, la feuille s'enroule autour très
lentement (en deux jours), non pour l'attraper mais pour augmenter le
contact avec
les glandes
digestives.
Les
insectes sont sans doute attirés par les reflets sur les gouttes
de mucilage (le liquide) et
par l'odeur de leurs congénères en décomposition.
Contrairement à la
Drosera, qui émet un parfum et constitue un piège passif, le
piège de la Pinguicula est dit semi-actif. Elle pousse
dans les anfractuosités
humides des roches ou bien sur les tourbières acides dans tout
l'hémisphère
nord. J'aime bien ces détails
qui montrent les limites des classifications en espèces distinctes
auxquelles ont procédé toutes les sociétés
humaines et dont le précurseur
scientifique a été Carl von Linné (1707-1778), le
célèbre naturaliste
suédois. J'adore aussi l'incroyable
capacité d'adaptation
des plantes qui ne possèdent
ni nos cinq sens, ni notre système nerveux, ni notre cerveau,
mais sont capables de manipuler à leur profit d'autres espèces
(champignons, fourmis, abeilles, arbres...) pour survivre et se multiplier,
le plus spectaculaire étant le mimétisme des orchidées
qui trompent les insectes persuadés de féconder leurs femelles
et piégés dans
les fleurs qui "souhaitent" être pollinisées.
Le
troisième jour, nous choisissons le lac (ibon) de Plan, ou "basa
de la Mora", qui n'est "qu'à" 800 m de dénivelé.
Le petit détail, c'est que la montée est quasiment verticale
tout du long, et nous distançons de nouveau rapidement Elisabeth
et Jean-Louis B. qui parviendront à peu près à mi-parcours
et auront quelque peine à trouver un endroit confortable pour manger
en pleine pente. C'est dommage, car ce sentier
en sous-bois est une véritable
beauté, avec des échappées sur
des falaises claires où nichent les vautours. La vallée
de Chistau est véritablement très verte, et l'exploitation
forestière extensive
se décèle seulement par quelques arbres couchés
de loin en loin, aucune aire visible de plantations, les forestiers choisissent
simplement les arbres les plus hauts et les plus droits.
Je
me demande bien comment ils arrivent à les descendre (peut-être
tirés
par des chevaux, à l'ancienne ?).
Lorsque nous débouchons sur un
plat relatif, j'ai l'impression d'être au paradis, après
cette ascension
éreintante où je transpirais en continu. C'est un petit
bois clairsemé
de pins au
tronc rouge piqués sur une pelouse douce et rase d'où émergent
des bouquets d'iris violets. Quelques roches gris clair curieusement
striées
me rappellent
le paysage près du lac de Gaube avant le petit
Vignemale.
Un
peu plus loin, quelques bouses fraîches annoncent des vaches
en très petit nombre qui ruminent à l'ombre des fourrés
et lèvent à peine le muffle à notre passage. Enfin, le lac apparaît,
dans un écrin
de montagnes,
avec bien sûr Richard dedans depuis un bon moment : l'eau est
bien meilleure qu'à Añisclo, malgré l'altitude, car elle est peu profonde
et stagnante, sans alimentation par un torrent glaciaire. De grandes
herbes poussent sur le fond, et nous
préférons nager bien à l'horizontale, sans poser
les pieds dans ce magma qui paraît
vouloir nous entraîner vers des abysses inhospitalières. Des
isards broutaient à l'autre
extrémité à son arrivée, mais ils ont fui
depuis longtemps avec l'afflux de randonneurs bruyants (surtout les
Espagnols).
Photos : Lac de Millares, Richard à Añisclo, falaises autour du lac, vue depuis le col des Eristes sur le Posets, arbre vrillé sur le trajet vers le lac de Millares, Añisclo, plante carnivore et petite truite, le sous-bois vers l'ibon de Plan, la basa de la Mora, vautour.
![]() |
El valle de
Chistau (Aragon oriental) |
|
Cathy, Jean-Louis, Richard, Max, Elisabeth et Jean-Louis
B. |
||
![]() |
![]() |