Je n'en finis pas de m'étonner des capacités d'adaptation des plantes. Dans ce paysage semi-aride, à la géographie changeante puisque des canyons s'ouvrent et s'agrandissent en permanence, l'eau ruisselle sur l'argile imperméable, l'entraînant au passage vers l'aval, le sol s'ouvre au sens propre sous leurs racines, et elles s'entêtent à s'incruster en faisant parfois des acrobaties et des grands écarts pas possibles, pour chercher l'eau et les sels minéraux toujours plus loin.

J'aime particulièrement les graines d'arbustes qui germent derrière une grosse pierre ou un rocher, et arriment par la suite troncs et racines solidement autour pour ne pas risquer d'être délogées de ce site favorable à leur épanouissement. Je pense que les responsables des réserves des Bardenas devraient multiplier ces plantes tenaces, s'ils le peuvent, pour aider le sol à se maintenir davantage. A terme, celui-ci risque d'être si érodé et dégradé que plus aucune culture n'y sera possible, à moins que les couches de limon ne se renouvellent - en tout cas pas sur les parties surélevées - ?

J'adore également observer les petites bêtes, ou les traces du passage d'animaux plus furtifs. Je reste un moment à guetter au bord de la mare près des voitures les grenouilles invisibles nichées dans les herbes et qui semblent se moquer de moi. Dès que je m'approche de l'une d'elle qui coasse, elle se tait et une autre prend le relais, un peu plus loin : à croire qu'elles me narguent ! Je n'arrive à photographier que les minuscules, récemment métamorphosées, à peine plus grandes que les têtards qu'elles étaient il y a peu, et qui sautent partout pour se cacher dans le moindre interstice de terre. J'en vois aussi le lendemain, qui ne font pas plus d'un à deux centimètres de long, dans les mottes humides d'un champ labouré, en haut d'un plateau. Julien découvre avec ravissement l'enveloppe corporelle d'une libellule ou grosse sauterelle fraîchement muée, encore agrippée à sa tige par les crochets, et il l'emporte dans la voiture.

Des convois de fourmis traversent les chemins de terre, s'enfouissant par des trous entourés de petits monticules de boulettes d'argile. Il y en a de deux sortes, les ouvrières, petites, et les guerrières, pourvues d'une énorme tête armée de pinces, qui s'évertuent à transporter des charges dix fois plus volumineuses qu'elles. J'ai lu qu'en forêt tropicale humide, le poids sec des fourmis est environ quatre fois supérieur à celui des vertébrés terrestres (Francis Hallé, Le radeau des cimes) - leur nombre doit se compter en centaines ou milliers de milliards -.

Toute la science livresque du monde ne remplacera jamais l'expérience. Nous explorons cette région si différente de la nôtre en apprenant à prendre garde aux précipices qui peuvent s'ouvrir sous nos pieds ou aux pierres et blocs de terre qui peuvent nous dégringoler dessus. Monde en transformation permanente, il est plein de surprises. A trois heures dimanche, nous apercevons dans le lointain une mini-tornade près de la grande cheminée de fée où nous avons garé les voitures. La poussière s'élève en colonne tourbillonnante qui vacille un moment dans sa progression avant de s'évanouir en douceur comme un mirage ou un dessin qui s'estompe : elle aura duré quelques secondes à peine.

 

 

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Participants : Richard, Xavier, Max, Michèle, Julien, Jean-Louis B., Elisabeth, Pierre S., Rose, Jean-Louis, Cathy
Las Bardenas Reales
25 au 27 mai 2007