Nous
sommes partis au-delà de nous-mêmes, à la rencontre de l'Autre, effaçant
les a-priori pour connaître l'essence même de la réalité et appréhender
une autre culture, une autre religion, une autre manière de vivre, sans
dénigrer ni mépriser, simplement approcher et tenter de respecter, d'aimer
l'inconnu et ce qui nous est étranger.
Le "passeur", ce fut notre guide
Hassan Zbaïr, fier Berbère
amoureux du Maroc et sans complexe vis-à-vis des Occidentaux, soucieux
d'échanges et d'enrichissements mutuels, tentant de réaliser une symbiose
harmonieuse entre les cultures du Nord et du Sud dans sa propre vie et
dans celle des
villageois que nous avons côtoyés pendant quelques jours.
Nous avons donc voyagé quatre jours à pied
dans les contreforts de l'Atlas, un peu au Sud du Toubkal, le point
culminant qui domine Marrakech, déjà légèrement
blanchi par les premiers frimas. Deux
minibus nous ont acheminés près d'Imizmiz, aux confins de
la vallée
du Haouz, nos bagages ont été chargés
sur des mules et nous avons marché de village en village au milieu
d'un paysage sans herbe, parsemé de rares arbres et de buissons
hérissés
d'épines
aggressives.
Partout
où s'étalait la terre nue, Hassan nous désignait
des "champs", étendues
désertiques en attente de pluie, soigneusement lissées
et débarrassées
des pierres, entourées de haies de branches d'épineux
entrelacées pour que les troupeaux de brebis ou de chèvres
(jamais abandonnés à eux-mêmes)
ne soient pas tentés de se précipiter
sur les futures pousses d'orge ou de blé. A flanc de collines, des
terrasses percées
de trous préfigurent
des forêts à venir ou des plantations d'oliviers dont
c'est la saison des récoltes, à coups de bâton sur les branches pour
les faire tomber sur le sol.
Estelle,
la "fiancée" lyonnaise de Hassan, intégrée d'office à notre groupe,
- et charmante -, nous raconte que sa mère, se promenant dans
un paysage semblable, a fait une chute et s'est cassé la jambe.
Dûment
soignée, une plaie purulente ne parvenait pas à se résorber, laissant
impuissant le chirurgien. C'est son généraliste qui a trouvé
la solution :
de
même que les jeunes enfants s'enfoncent des cailloux en tombant, sans
s'en apercevoir, une épine d'une dizaine de centimètres avait pénétré
profondément dans sa jambe, si fine que la peau s'était aussitôt refermée,
tandis que ses chairs tentaient
désespérément -
et en vain - de s'en débarrasser !
Anna-Oeil de lynx repère une tortue terrestre d'une douzaine de centimètres de diamètre sur le côté de la piste, bien que ses couleurs se fondent parfaitement dans l'environnement, puis, à quelques pas de là, une plus jeune tortue attaquée par une tique suceuse de sang que Hassan, patiemment, retire pour soulager la pauvre bête.
Chemin
faisant, il
nous explique les techniques traditionnelles de construction avec la
pierre, le pisé ou la terre battue extraite directement sur
place et tassée dans des cadres de bois de taille standard.
Si les murs présentent
des trous,
que ce
soit
les
murailles de Marrakech ou les petites maisons en terrasses, ils correspondent
tout simplement aux barres de bois servant à soutenir les banches
en planches servant de coffrage. Un matin, j'étais sortie avant
l'aube du deuxième gîte (Ait Ahmad, à 1200 m d'altitude),
et j'entendais des "frrr" répétés
dans le mur :
les
oiseaux avaient élu domicile dans les interstices et entraient
et sortaient sans arrêt en silence, fort affairés bien
que les rayons du soleil n'aient pas encore effleuré le sommet
des montagnes tandis que le ciel pâlissant effaçait une à une
les étoiles innombrables.
Une fois les murs montés, des poutres de bois
plus ou moins rectilignes (les arbres sont rares et maigrelets) sont
alignées
tous les mètres horizontalement et des tiges de joncs placées
dessus perpendiculairement pour servir de support au plafond-terrasse
en terre
ou en béton. Les Marocains (tout comme les Espagnols) remplacent
progressivement leur bois de construction traditionnel par l'eucalyptus
d'origine australienne, très bien adapté à la
sécheresse. La grande
terrasse du premier gîte à Ait Zitoun est fendue comme un lac
asséché en
mozaïque
au niveau des poutres qui ont bougé avec les changements hygrométriques. Quelques
murs de
briques de béton grises déparent parfois les villages
: ils sont plus rapides à monter mais avec un matériau
acheté en ville, moins
isolant sur le plan thermique et bien moins intégré
au paysage car il est la plupart du temps laissé nu, sans crépi.
L'intérêt de cette construction traditionnelle,
c'est qu'elle ne nécessite quasiment pas d'eau (mis à part
pour humidifier et tasser la terre) et elle peut être réalisée
par les villageois eux-mêmes avec des matériaux que l'on
trouve sur place. Les murs tiennent debout
tant que l'on entretient les terrasses (tous les ans ou les deux ans,
suivant l'intensité des pluies). Dans
chaque village, nous avons trouvé des maisons abandonnées,
aux murs délabrés et plafonds écroulés
: les villageois ont simplement rebâti à côté,
en récupérant dans les éboulis
quelques pierres ou poutres laissées intactes. J'ignore s'il
s'agit de familles qui sont parties en ville. D'après ce que
dit Hassan, les villageois demeurent le plus possible "au pays",
n'envoyant que quelques uns de leurs enfants travailler ailleurs, avec
charge pour eux d'entretenir
ceux qui restent avec une portion de leurs revenus. Réflexion faite,
il manquait effectivement une tranche d'âge pour les hommes entre 15
et 50 ans : seuls restent les vieux, les enfants et les femmes (à quelques
rares exceptions près).
A Ait Ahmad, nous
avons vu les femmes debout dans une pièce sombre de l'autre côté du
patio,
pliées
en deux au-dessus du récipient posé à même
le sol où cuit
le repas familial, sur un feu de bois dont les fagots ont été ramassés
dans la journée et apportés sur le dos (dans les paniers
de
la mule chez les familles plus
aisées). Les bébés et petits enfants circulent
autour malgré le danger,
sans que personne ne semble rien leur dire. La fumée
s'échappe
par les interstices, la porte, les
fenêtres sans vitres uniquement pourvues de volets et de grilles
métalliques
(qui remplacent les moucharabiehs de bois, devenus trop chers en raison
de la pénurie d'arbres) ou un trou dans le plafond servant de
cheminée
sans conduit.
Hassan nous
a fait des
recommandations strictes : ne rien offrir aux enfants (qui réclament
bonbons ou stylos) pour ne pas les habituer à la mendicité et
ne pas photographier les gens sans leur consentement. Du coup,
c'est à peine
si j'ose de temps en temps les prendre, car j'ai scrupule à traverser
ainsi le pays en les regardant vivre comme si j'étais dans
un zoo. C'est pourtant la façon la moins
aggressive de pratiquer le tourisme, arriver à pied (comme eux),
se faire
héberger chez
eux pour partager un tant soit peu leur mode de vie et communiquer
avec eux (en français, ou en berbère par le truchement de Hassan)
tout en leur apportant un complément de revenu.
Nous
trouvons la population très accueillante, chaque personne que
nous rencontrons, jeune ou vieille, nous salue en français,
en arabe ou en berbère, spontanément ou en réponse à notre bonjour.
Hassan fait de même, s'arrête pour palabrer un moment,
simple conversation de politesse ou requête pour nous présenter
des tranches de vie.
Nous passons devant des écoles, portes et fenêtres
ouvertes, d'où jaillissent les voix des élèves
et du professeur. Deux ou trois enfants traînent dehors,
au piquet, ou bien trop jeunes pour être scolarisés.
L'enseignement n'est pas encore obligatoire pour tous et
les enseignants en trop petit nombre partagent les élèves
en deux sections (comme au Brésil), ceux qui viennent en cours
le matin et ceux qui y vont l'après-midi. Nous voyons les enfants,
par groupe de deux ou trois, parfois accompagnés de leur mère,
qui reviennent cartable au dos à
pied, parcourant à midi les étendues désertiques
pour rejoindre le domicile.
A Ait Zitoun (900 m), le premier gîte, j'ai vu une petite fille, un grand carton du genre couvercle d'emballage de pizza à la main, en train de déchiffrer et ânonner sa leçon qu'elle a griffonnée dessus, tandis que deux petits garçons plus jeunes la rejoignaient et plaisantaient avec elle. Il n'était pas loin de 8 heures et ils s'apprêtaient, cartable au dos, à se rendre à l'école, à pied bien sûr.
Pierre et Rose, Xavier, Max, Michèle, Julien et Jérémy, Richard et Anna, Cathy, Jean-Louis et Jonathan | Maroc
2007 |
28 octobre au 3 novembre 2007 |