Le plus dur pour nous, c'est le manque d'eau. D'abord, le problème de la sécheresse ambiante, qui nous abîme les muqueuses, du nez, des yeux, de la gorge, impose une lumière éblouissante sitôt le soleil levé, qui se réverbère sur le sol nu et les roches et nous fatigue la vue. Comble du luxe, à chaque pique-nique, Hassan prépare deux petites bassines d'eau flanquées d'un savon pour que nous puissions faire nos ablutions avant le déjeuner. Si nous sommes accoutumés à nous "débrouiller" dans la nature lors de nos balades dominicales, il en est tout autrement lorsqu'à chaque gîte le problème du manque d'eau courante se pose.

L'eau est puisée au puits (pas toujours très proche), manuel ou pourvu d'une pompe, par les femmes et jeunes filles de la maison, ramenée dans des jarres en terre cuite déjà très pesantes à vide, qu'elles portent sur le dos soutenues à l'anse par deux doigts - avec parfois un récipient de plastique ou une deuxième jarre à l'autre main - pour emplir les réservoirs de la maison, l'un pour la cuisine, l'autre pour le hammam.

Un seau empli d'eau assorti d'une tasse en plastique sert de chasse d'eau dans les cabinets à la turque (où il est totalement déconseillé de jeter des papiers, sinon tout se bouche !) - bien entendu, il n'y a pas de tout à l'égout -. Pour boire, nous mettons des pastilles dans nos bouteilles emplies au robinet d'eau ou nous achetons des bouteilles d'eau minérale vendues dans chacun des gîtes. Plusieurs d'entre nous auront quand même des problèmes de santé peut-être liés à l'eau, ou à l'inconfort.

J'ai d'abord pris les hammams pour des fours à pain. Il s'agit de constructions oblongues accolées aux maisons, avec un trou à la base où l'on place des branchages que l'on enflamme pour chauffer l'eau située dans une réserve à l'intérieur. Dans la maison, une sorte de sas permet de se changer et de suspendre les affaires à des clous, puis on ouvre une petite porte et l'on pénètre dans une atmosphère de four humide. Un robinet permet d'avoir aussi de l'eau froide pour tiédir le sol carrelé (sinon gare aux brûlures à la plante des pieds !) et la mélanger à l'eau chaude dans un récipient vide afin de s'asperger parcimonieusement le corps avant de se savonner avec une pâte verdâtre et se laver les cheveux (quelle galère pour se rincer avec juste une tasse que l'on verse sur la tête, on frotte, une nouvelle tasse, etc. jusqu'à ce qu'on ait la sensation d'être un peu plus propre...).

La douche de l'hôtel à notre retour à Marrakech a été sacrément appréciée, surtout en sachant que ce n'était pas une jeune fille qui avait fait la corvée d'eau pour emplir le réservoir ! On a vu un hammam en construction dans un jardin : c'était une structure de roseaux entrelacés qui devait être ensuite recouverte de terre.

C'est dans le deuxième gîte (Ait Ahmad), dont l'aïeul était un imam très traditionnaliste (mais très accueillant à notre égard) que nous avons le plus ressenti ce problème d'absence d'eau courante. Une toute jeune fille de moins de 15 ans se trouvait seule à devoir chercher de l'eau pour 18 personnes supplémentaires le soir de notre arrivée et nous avons compris qu'il fallait mettre la main à la pâte. Nos hommes se sont portés volontaires, y compris les trois jeunes, ce qui a d'abord étonné, puis totalement réjoui la jeune fille qui riait de bon coeur et ne se faisait pas prier pour fournir jarres et récipients.

A chaque aller-retour, les réflexions masculines allaient bon train : ils s'étonnaient de la facilité avec laquelle la jeune fille relevait le seau plein depuis le fond du puits et balançait d'un geste souple la lourde jarre dans son dos. Max a essayé d'en faire autant et il s'est trempé tout le tee-shirt - elle aussi était mouillée, il a vérifié - en fait, la jarre était un peu fendue, l'extérieur se mouillait à chaque fois qu'on la remplissait et le bouchon peu étanche laissait l'eau déborder à chaque pas. Ils ont même vu une femme qui suspendait la jarre dans le dos à l'aide d'une cordelette tandis qu'elle en saisissait deux autres dans chaque main : de vraies bêtes de somme ! Le lendemain matin, par contre, la jeune est retournée seule de nouveau chercher de l'eau, les hommes sont vaguement allés dans la direction où ils l'avaient vue disparaître, mais ils n'ont jamais trouvé le puits, plus éloigné que la veille au soir et probablement enfermé dans un des bâtiments (peut-être le premier puits avait-il été vidé par cette ponction inhabituelle ?).

Pendant ce temps, l'excellent cuisinier Mohammed préparait le repas avec l'aide de Hassan et des muletiers en utilisant les aliments emportés à dos de mules (les villages n'avaient pas la capacité de nourrir ponctuellement un groupe si important de personnes supplémentaires, j'imagine). On nous a distribué les matelas portés au-dessus de nos bagages pour compléter ceux mis à notre disposition par notre hôte et nous les avons posés à même le sol dans les deux chambres. Comme chaque soir, avant de nous coucher, nous sommes sortis admirer la Voie Lactée dont nous distinguions même les branches, ce qui est impossible sur notre Côte Basque, et les étoiles dans un ciel d'une pureté extraordinaire, si nombreuses et brillantes que nous n'arrivions pas à reconnaître les constellations, légèrement décalées par rapport à notre ciel nordique. Deux fois nous avons vu des étoiles filantes, dont l'une a traîné si longtemps qu'elle devait presque être de la taille d'une météorite.

Depuis Ait Zitoun, on voyait à l'horizon les lumières rougeoyantes de Marrakech diffuser en demi-sphère sur la ville et se refléter sous un nuage lenticulaire d'humidité poussiéreuse planant à faible altitude. A Ait Ahmad, toute la nuit, l'âne en chaleur s'est plaint de sa solitude et de son infortune, et sur le matin, les coqs du village ont pris le relais. Heureusement que j'avais les boules Quiès ! C'est dans ce deuxième gîte que nous avons dû prendre froid, car nous étions à 1200 mètres d'altitude, avec des fenêtres sans vitres, uniquement obturées par des volets laissant passer les courants d'air - et pas de chauffage, bien sûr -. J'ai dû me rhabiller au milieu de la nuit avant de me refaufiler dans mon sac de couchage étroit. Richard, lui, dormait avec le bonnet de ski sur la tête!

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Pierre et Rose, Xavier, Max, Michèle, Julien et Jérémy, Richard et Anna, Cathy, Jean-Louis et Jonathan
Maroc 2007
28 octobre au 3 novembre 2007