La
mode est à l'archéologie expérimentale : nous sommes accueillis sur
le site de La Madeleine, le seul où s'effectuent encore des fouilles
sous
la
direction d'un archéologue américain tombé amoureux de cette région,
par un guide
qui nous entraîne vers un pré pour essayer le tir de sagaies à l'aide
de propulseurs.
Le
premier étonnement passé (et les rires), et une fois testée la prise
en main de ce nouvel instrument, la sensation est très agréable. Contrairement
au
lancer
de
poids ou de javelot, où les muscles du bras, de l'épaule et du dos
sont très sollicités, l'ajout de ce bâton muni d'un petit crochet rend
le
geste beaucoup plus souple et facilite l'envoi de la flèche, qui va
d'autant plus loin qu'elle est courte et légère, et d'autant plus fort
et plus
précisément qu'elle est longue et lourde.
Notre guide nous fait remarquer
que cette "simple" invention remet en cause la répartition
des tâches
supposée entre l'homme chasseur et la femme cueilleuse durant
la préhistoire : en
effet, je trouve cet instrument très pratique, il augmente
considérablement
la puissance de tir, et j'imagine aisément qu'avec
un
peu d'entraînement, je pourrais atteindre la cible (fixe) qui
est devant moi. De là à imaginer que les femmes chassaient
elles aussi... Ce qui
est intéressant, c'est le raisonnement auquel ont dû procéder
les archéologues.
En
effet, tout ce qui est d'origine végétale ou animale
se décompose généralement
avec le temps, à part les os, les dents ou défenses,
et les cornes ou
bois de cervidés (sauf conditions particulières : enfouissement
dans la tourbe, la vase ou la glace). Il est probable que
les premiers instruments étaient en
bois, mais la plupart ont disparu. Les
archéologues ne disposent donc que des pointes de pierre, d'os
ou autre matière
dure,
dépourvues de
manche. Il a fallu qu'ils imaginent à quoi pouvaient
servir ces petits crochets, et ensuite, analyser comment ils pouvaient
être fixés à un manche, et à quoi ressemblait
l'instrument complet. Rien d'évident,
si ce n'est qu'ils se sont probablement inspirés de l'étude
des sociétés
dites "primitives" qui subsistent encore à l'heure
actuelle.
Comme
toujours, j'ai fait l'acquisition d'un bouquin pour me mettre dans
l'ambiance de la région à visiter. Il s'agit d'un
opuscule de Claudine Cohen, paléontologue, philosophe et historienne
des sciences, intitulé
"Un
Néandertalien dans le métro", très rapide à lire
et tout à fait passionnant.
Elle met en relief justement l'influence
des idées préconçues sur la capacité à appréhender
l'environnement, en l'occurence, des grottes ornées ou des ossements
de Néandertaliens.
Les peintures et gravures préhistoriques ont longtemps été confondues
avec des graffiti contemporains, les fossiles étaient considérés
comme des restes d'êtres "d'avant le déluge" (antédiluviens),
de l'époque des géants
(dinosaures), et les ossements de Néandertaliens comme ceux
de monstres dégénérés
ou d'hommes atteints de maladies déformantes. Pour y voir des
hommes préhistoriques, il fallait faire table rase des idées
imposées par
les religions, et en ce qui nous concerne, du concept de la création
divine de tous les êtres telle qu'elle est décrite dans
la Genèse de
la Bible,
et surtout de la certitude que l'humanité était unique
et réalisée
à l'image de Dieu (Adam et Eve).
Il
en est de même pour chercher les motivations de nos prédécesseurs,
notamment en matière d'art. Le
guide des grottes de Rouffignac insiste sur le fait que les artistes
qui ont gravé
les silhouettes de mammouths, chevaux ou bisons se trouvaient par endroits
dans des espaces si exigus qu'ils devaient s'allonger dans
les
bauges
d'hibernation creusées par les ours pour inciser le "plafond".
Cela ne les a pas empêchés de concevoir de véritables
compositions, certains sujets étant représentés
en taille réelle et parfaitement proportionnés. Situés à des
centaines de mètres de l'ouverture de
la grotte
dans le noir complet, ils s'éclairaient à l'aide de lampes à graisse
animale et privilégiaient les carrefours vers des accès
inférieurs et des cours
d'eau souterrains, bien que nous ayions vu également des couloirs entièrement
bordés de silhouettes tracées ou gravées (selon le matériau de la paroi),
et toujours composées, avec au centre deux animaux opposés et les autres
à la file indienne de part et d'autre. Se nourrissant quasi exclusivement
de rennes, ils n'en ont pourtant dessiné aucun
ici, occultant également
les carnivores, le paysage, ainsi que les humains. Pourquoi ?
On
a constaté en outre que
ces oeuvres ne semblaient pas destinées à être
vues régulièrement par
la tribu, mais que celle-ci y attachait suffisamment d'importance pour
entretenir un artiste qui ne devait pas être considéré comme
une bouche inutile...
Si les présupposés sont tellement prégnants que l'on n'arrive pas à en prendre conscience pour interpréter le monde qui nous entoure, pourquoi aurions-nous davantage raison sur tous les sujets que nos prédécesseurs : n'en avons-nous pas encore qui nous empêchent de comprendre la Terre et la marche de l'Univers ? Si la désacralisation du monde était importante pour que nous prenions un peu de recul, est-ce vraiment suffisant pour avoir un regard objectif sur ce monde qui nous entoure mais dont nous faisons partie intégrante et que nous percevons seulement avec nos sens, plus ou moins prolongés par les instruments que nous nous inventons ?
Illustrations : Tir de sagaie au propulseur - Archéologue au site de la Madeleine - Croix de templiers à une intersection de routes à la sortie de St Léon sur Vézère - Modillons d'église romane à St Geniès.
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Périgord noir |
Cathy et Jean-Louis, du 22 au 27 août 2007 |