"Millau,
au coeur du Parc Naturel Régional des Grands Causses : venez découvrir
les caves de Roquefort, le causse du Larzac, les Gorges du Tarn... et pour
les sportifs et amateurs de sensations fortes, parapente, canyoning, escalade,
Via Ferrata, randonnées pédestres, équitation, VTT,
canoë kayak !... sans oublier le viaduc !"
Si
je suis venue passer quelques jours dans les Causses, c'est grâce à l'enthousiasme
de
Jean-François
Terrasse qui m'a donné envie de venir les découvrir.
En ce qui le concerne, sa passion dure depuis ses jeunes années,
lorsqu'il réalisait avec son frère des
films documentaires animaliers qui passaient à l'émission
de François
de la Grange et qu'il militait en faveur de la réintroduction
du vautour. Il est parvenu à ses fins, au sein de la LPO (Ligue
de Protection des Oiseaux) dont je ne sais plus s'il est l'initiateur,
et nous en voyons
des vols nombreux au-dessus des gorges de la Jonte
que nous longeons avant de retourner par celles de la Dourbie qui nous
ramènent à notre point de départ, au moulin d'Aguessac,
près de Millau
à l'entrée des gorges du Tarn.
A
Errota Handia (le Grand Moulin), sa réserve naturelle régionale d'Arcangues,
il me montre trois livres
qui lui sont dédicacés, réalisés par les membres très attachants
d'une association basée à Millau intitulée "Los
Adralhans" dont le sujet de prédilection est plutôt le rapport
de l'homme avec la nature, et l'intégration harmonieuse de celui-ci
dans les Causses, du point de vue de l'architecture, de l'agriculture,
de l'élevage, de la gestion de l'eau, etc. En
même temps que je découvre ces paysages et visite les villes et villages,
je lis leur livre intitulé
"Les paysans, Vie quotidienne, bâti traditionnel", véritable plongée
dans les temps qui ont précédé la mécanisation et l'invention du
béton, ce qui me permet de mieux comprendre la région et d'interpréter
ce que
je vois.
Par
exemple, comme partout ailleurs en Europe, les cultures en terrasse
sont abandonnées, les murets de pierre sèche non
entretenus s'écroulent, la terre patiemment enrichie de
fumier pelletée après
pelletée s'écoule par les interstices et les flancs
escarpés
du relief usé s'érodent inexorablement. Les vignes, arbres
fruitiers et petits potagers qui y prospéraient grâce
au labeur intense des paysans ont
disparu et la nature reprend ses droits sur les espaces libérés.
Par contre, tout autour des villages subsistent de petits jardinets
divisés
en carrés traversés de sillons, plus ou moins soignés
et cultivés suivant
le savoir-faire, le goût et le loisir de leur propriétaire.
En arrivant au moulin d'Aguessac, notre pied-à-terre pour deux jours,
le terre-plein qui sert de parking à l'aplomb
du ruisseau embaume l'anis, effluves émises par le fenouil odorant
aux tiges élancées
en désordre
où s'accrochent les ombelles légères composées
de petites fleurs jaunes, qui a pris racine a l'abri d'un muret et
en haut du talus qui plonge dans le ruisseau, indifférent à la dureté
du remblai, sa pauvreté et sa sécheresse. Salades et tomates sont à portée
de main près
de l'allée qui contourne le bâtiment et mène à notre chambre,
de plein-pied avec vue sur le pré et le village de Compeyre accroché
à la colline rocheuse. Les bergers n'arpentent plus les causses, les
paysans
ne fauchent plus
l'herbe des dolines, de grands champs plantés de fourrages standardisés
alimenteront le bétail peu visible, comme ailleurs.
Nous
avons fait escale à Albi pour déjeuner et faire une pause
avant de continuer jusqu'en Aveyron (qui avoisine le département du
Tarn
à l'Est et du Gard à l'Ouest). La vieille ville est très
bien aménagée
pour la promenade piétonne, maisons et monuments présentent
des façades
immaculées, et nous avons le plaisir de découvrir la basilique
Sainte Cécile, très imposante de l'extérieur
et extraordinairement peinte sur toute sa surface intérieure,
magnifique. Construite de 1282 à 1480, elle est fortifiée
et cette démonstration
de pouvoir s'effectue à l'époque du renouveau catholique
après l'hérésie cathare. La peinture du Jugement
dernier, sous l'orgue, impressionne beaucoup les visiteurs qui en font
la remarque à haute voix. La
voûte est également très originale et attire l'oeil
par la luminosité
et la vivacité de ses couleurs.
La
plupart des personnes qui montent à l'orgue (signale Wikipédia)
savent que la cathédrale d'Albi recèle dans les trompe-l’œil
(façon marbre veiné à l'intérieur de multiples
losanges) de son triforium sud, un ensemble étonnant, illisible
de la nef, d'anamorphoses érotiques plus réjouissantes
les unes que les autres, un peu comme un secret antidote à la
négation absolue du corps et de la jouissance par la mystique
fort rigide de l’« hérésie » environnante.
A côté,
s'élève le non moins remarquable Palais de la Berbie,
palais épiscopal
dont
les
débuts
de
la construction
sont
antérieurs
à ceux
de la cathédrale d'Albi et du Palais des Papes d'Avignon.
Les évêques
d'Albi profitent de la reprise de leurs prérogatives, grâce à l'action
concertée du pape Calixte II et du comte Raymond V de Toulouse
dans la croisade
contre les Albigeois, pour récupérer
sur les laïcs
les dîmes, impôt qui servait théoriquement à faire
vivre les prêtres dans leur paroisse et à faire la charité aux
pauvres, mais qui a permis d'investir dans ces deux oeuvres monumentales
dressées côte à côte. Parallèlement,
ce même pape est l'initiateur
du pèlerinage à Saint
Jacques de Compostelle dont il lance la construction
de la cathédrale. Cette
bataille, qui durera 40 ans, avec divers protagonistes, ôtera à l'Aragon
l'influence qu'il avait sur cette région au bénéfice
de la couronne de France, et l'Inquisition extirpera tous les "reliquats"
d'hérésie parmi la population.
Il est difficile, en admirant ces bâtiments sévères (la basilique est le plus haut édifice de brique du monde), de se remettre dans l'ambiance d'une époque où les questions religieuses primaient et servaient de levier au pouvoir politique (ou initiaient sa chute). La vie monastique était celle qui était considérée comme la plus enviable et la plus digne d'admiration, et si des déviances induisaient des critiques qui conduisaient à un renouveau (parfois hérétique, mais souvent reconnu par le pape et soutenu par lui), pendant tout le Moyen Age elle a été source de réflexion, d'inspiration et elle a engendré une modification profonde des mentalités, dans le sens d'une protection des faibles et du rejet du droit du plus fort, vers l'instauration d'un état qui assure la paix civile et la protection sociale.
Jonathan, Marianne, Jean-Louis, Cathy | Gorges du Tarn |
20 au 23 août |