Nos
deux jeunes, Jonathan et Marianne, participent bien aux visites qu'ils
apprécient autant que nous, c'est d'ailleurs ce qui nous a motivés
pour faire ce long déplacement de six heures depuis Anglet en
voiture. C'est agréable de leur faire découvrir une histoire
qu'ils ignoraient et
de découvrir avec eux ces paysages bien différents du
Pays basque quoiqu'ils soient, assez curieusement, aussi verts, sauf
sur les hauts
plateaux exposés des Causses. Nous avons de la chance avec le
temps. Nous avons réservé avant de partir une balade
en canoë-kayak dans
les gorges du Tarn pour le lendemain de notre arrivée, et nous
aurons une journée extraordinaire, chaude et ensoleillée,
qui contrastera avec les averses violentes qui tomberont le lendemain
matin
jusqu'à
9 heures, se poursuivant par un temps gris propice à la visite
de musée.
Bonne
organisation donc, et nous commençons par un circuit des gorges
le matin, en parcourant en voiture celles de la Jonte et de la Dourbie,
avec incursion sur les causses entre les deux, et en canoë-kayak
l'après-midi
pour les gorges du Tarn. Moins spectaculaires que les falaises de la
vallée glaciaire d'Ordesa, elles ont cependant leur charme,
avec une luminosité plus méridionale et
beaucoup
de végétation, particulièrement de petits chênes.
Le
tronçon que nous avons choisi, du village des Vignes jusqu'à celui
du Rozier, est le plus ludique, avec des rapides qui
se succèdent avec régularité, entrecoupés de calmes relatifs où Jonathan
s'acharne à nous éclabousser ou à couler Marianne. Finalement, heureusement
que nous n'en faisons que l'après-midi, car il faut quand même pagayer
un peu et nos bras manquent d'endurance (surtout Jean-Louis qui, depuis
Puy de Cinca en Aragon, a montré son manque d'aptitude pour ce sport...).
Il
est vrai qu'au mois d'août, période d'étiage, il n'y a pas péril, le
niveau d'eau est faible et il nous faut parfois sortir de l'embarcation
pour la pousser sur les galets et rochers et la désenclaver, lorsque
nous n'avons pas su bien choisir notre voie. Même lorsque Jean-Louis
et moi nous retrouvons en travers ou carrément à l'envers, cognant
des rochers que nous n'avons pu éviter ou coincés dans une impasse
(nous ne sommes pas très doués), le canoë ne chavire pas et nous ne
nous blessons pas (contrairement à d'autres touristes plus malchanceux
durant la saison, nous raconte le chauffeur du minibus qui nous véhicule
jusqu'à
notre
lieu de départ et nous explique bien les écueils à éviter). Les kayaks
sont plus aisés à diriger, mais on y est assis moins confortablement,
nous échangeons donc à mi-parcours nos embarcations, et Jonathan et
Marianne se retrouvent ensemble sur le canoë tandis que Jean-Louis
et moi prenons chacun notre indépendance sur les kayaks. C'est pas
mal, de varier ainsi les plaisirs.
La
région a une riche histoire et conserve de nombreux quartiers, maisons,
églises ou châteaux moyenageux. Millau nous déçoit un peu, mais les
petits villages sont plus intéressants, avec des murs de pierre et
des toits de lauzes ou, comme à Bayonne, ces constructions de bois
et de torchis dont chaque étage déborde sur le précédent jusqu'à presque
arriver à l'aplomb
du
centre de la ruelle (maison
à colombage). Cette technique permettait de disposer de
davantage d'espace aux étages, mais également de protéger les murs
de torchis des intempéries. J'aime aussi les formes arrondies de certains
murs de pierre bien plus chaleureux au regard que nos maisons modernes,
bien que j'ignore si elles dispensaient un confort meilleur. Quoique
les toits soient à deux pans, j'apprends dans ma lecture parallèle
du livre des Adralhans que les maisons de pierre sont pourvues de voûtes
à tous les étages, y compris pour des caves, des granges ou des greniers,
dans les exploitations agricoles. Utilisant la pierre de carrières
locales, dont les performances sont moindres que dans d'autres régions,
les
constructeurs ont fait appel à des techniques spéciales de consolidation.
Par
exemple, un linteau de porte ou de fenêtre est protégé par un arc de
pierres pour éviter qu'il ne se fende à cause de la surcharge. D'autre
part, les murs étaient souvent consolidés par des contreforts qui contrecarraient
la poussée induite par les voûtes. La pause des lauzes (pierres plates)
sur le toit était aussi très technique, puisque leur poids sur la voûte
risquait de la faire s'effondrer, les pierres les plus épaisses étaient
donc disposées en bas, à l'appui des murs, et s'amincissaient vers
le haut, mais pas trop, puisqu'il fallait qu'elles puissent lutter
contre l'action du vent qui risquait de les soulever. Je vois aussi
par endroit l'influence de l'Aragon dans la facture des cheminées monumentales
qui m'avaient tellement plu là-bas.
Bien qu'il y ait de nombreux châteaux, églises et abbayes, sans parler de mégalithes en nombre plus important qu'en Bretagne, paraît-il, nous disposons de trop peu de temps pour tout explorer. Nous préférons visiter le musée qui a été réalisé après le succès du film Microcosmos et qui s'appelle, par miroir, Micropolis. Il est situé à Saint Léons, village natal de Jean-Henri Fabre, entomologiste très célèbre mort en 1915, dont nous visitons également le petit musée installé dans une pièce de la maison parentale et que nous assortissons d'une petite randonnée botanique guidée par un passionné des plantes petites ou grandes de la région. Nous découvrons que les insectes ne sont que les petites bêtes à six pattes et deux paires d'ailes, et que tous les autres animaux (crustacés, araignées, mille-pattes...) n'en sont pas ! Six pattes, c'est le nombre idéal pour une stabilité parfaite et une locomotion sur tous terrains, cette aptitude a d'ailleurs inspiré les techniciens de l'aéronautique pour la construction des modules d'exploration lunaires ou martiens !
Nous
apprenons aussi les différences de performance suivant les ailes
: l'hélicoptère des insectes, c'est la mouche, qui
a remplacé la paire
d'ailes postérieure par deux appendices qui lui servent de
balancier et lui permettent des zigzag acrobatiques à toute
vitesse, contrairement aux
autres insectes,
obligés d'effectuer de longues orbes pour changer de direction.
Un accroissement des performances aériennes est aussi obtenu
avec la fixation des ailes sur le même tronçon de corps
qui les actionne de façon coordonnée.
Je découvre que les insectes n'ont pas de "nez",
mais qu'ils respirent par de multiples orifices percés dans
l'abdomen et que très peu d'insectes ont une tête mobile.
Les yeux immenses à facettes
des
mouches leur offrent une vision à 360° qui explique la
difficulté
à les surprendre. Le musée, pour illustrer ces particularités,
présente
de très esthétiques silhouettes de femmes-insectes, chacune
dotée d'une
caractéristique différente (yeux, pattes, mandibules...),
qui mettent en évidence les différences de proportion
par rapport aux organes humains correspondants. Le jeune guide, un
étudiant licencié en entomologie probablement, nous fait marcher "sur
de l'eau" (en fait, des matelas remplis d'eau) et nous demande comment
certains insectes arrivent à se déplacer à la surface des mares et
des eaux calmes des rivières. Leur gracilité et leur légèreté est,
certes, un atout, de même que la tension superficielle de l'eau les
aide (c'est à dire une meilleure cohésion des molécules d'eau en surface,
qui constituent une sorte de "peau"), mais ils disposent d'un système
très étonnant : sous leurs pattes sont
situées
de petites
vésicules
qui
émettent
des
gouttes
huileuses.
Chacun
sait que l'huile est hydrophobe, elle ne se mélange pas à l'eau et,
de surcroît, est moins dense, donc elle flotte. CQFD
! Le corps du gerris (ou punaise aquatique), bien stable sur ses six
pattes, glisse donc en un ballet de patinage artistique où il croise
ses congénères
sans
jamais
les
cogner, en quête permanente d'une proie facile, un autre insecte dépourvu
de ces atouts, en train de se noyer.
Le
musée est également un centre d'élevage, avec
des salles d'incubation et des espaces de vie dotés de panneaux
transparents pour que nous puissions mieux nous rendre compte de l'organisation
d'une fourmilière
ou d'une ruche. Par contre, ils sont obligés d'importer chaque
semaine des papillons exotiques car chaque chenille se nourrit d'un
végétal
spécifique,
et
le centre ne pourrait disposer d'une serre composée de toutes
ces plantes différentes, qui ne sont pas les mêmes que
celles qu'affectionnent les papillons qui en sont issus après
leur métamorphose. Nous
faisons, Jean-Louis et moi, provision de livres écrits par
Jean-Henri Fabre, qui s'exprime dans une langue tout à fait
remarquable,
à la fois poétiquement et avec beaucoup de précision,
sur sa vocation et l'Harmas,
la maison
où il a fini sa vie dans le Vaucluse, ainsi que sur les insectes
et leurs comportements infiniment divers, dont les observations le
font
réfléchir sur notre propre évolution...
Jonathan, Marianne, Jean-Louis, Cathy | Gorges du Tarn |
20 au 23 août |