Errota
Handia, le Grand Moulin, se montre sous ses meilleurs auspices aujourd'hui.
Par cette journée de printemps ensoleillée, chacun des
visiteurs
retrouve ses yeux d'enfant et la capacité de s'émerveiller
et s'émouvoir
à la
vue
des
trésors dévoilés
par Jean-François
Terrasse avec
une passion communicative. Propriétaire à Arcangues d'un
petit vallon d'une dizaine d'hectares fermé par une digue qui
retient l'eau d'un
ruisseau
sur le tiers de la surface, il a souhaité pérenniser
son oeuvre de restauration de cette zone humide en la faisant d'abord
classer comme
réserve
naturelle volontaire en 2001, puis comme réserve naturelle régionale
en 2005. A ce titre, la gestion du site effectuée par le Conservatoire
Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine (CREN) s'inscrit dans
la politique menée
par le ministère français qui regroupe assez curieusement
l'écologie,
l'énergie, le développement
durable et la mer. Presque une énumération à la
Prévert ! - Photo : le canal déversoir
-
Il
en découle une kyrielle de services étatiques
subalternes qui se chevauchent, s'entrecroisent,
se superposent
en un
entrelacs de
structures
dont
je n'ai pas réussi à faire
le tour, à laquelle il faut ajouter les prérogatives
accordées
au département
et à la région, sans
compter les multiples établissements, syndicats et associations
qui en dépendent.
Bref, en Aquitaine, il n'existe que cinq réserves naturelles
régionales
qui sont intégrées dans
le réseau français de l'Association des réserves
naturelles (au nombre de 327) régies
par le code de l'environnement. Aquitaine
Nature est un réseau secondaire qui figure sur le site
de la Région
Aquitaine à la rubrique du développement durable,
distincte, et c'est
à remarquer, des trois autres rubriques qui devraient lui être
assujetties, l'économie, l'éducation et l'aménagement
du territoire... Ce vice de forme originel qui calque l'organisation
au plus haut niveau de l'Etat provient de causes
historiques
(l'introduction très progressive d'une politique de l'environnement)
et induit des incohérences qui seront soulevées dans
les lignes qui suivent. - Photo : Le
haut de la maison avec la lunette derrière la fenêtre sous le toit
pour observer les oiseaux
de la retenue d'eau. -
Nous nous
engageons derrière
la maison où réside Jean-François Terrasse, bâtie
en aval du barrage sur une butte derrière le moulin désaffecté.
Cet ancien chemin rural
était emprunté jusqu'au milieu du XXe siècle par
les paysans qui apportaient les sacs de
grains à dos
de mule et repartaient avec la farine. La haie de thuyas qui le bordait,
jugée
peu intéressante
par son propriétaire, a été dépouillée
de ses branches, les troncs laissés comme tuteurs pour les
jeunes pousses issues de graines récoltées çà et
là qu'il a jetées à leur pied, noisetier,
houx, viorne, ronces : succès
garanti, désormais la haie bruit de mille pépiements,
elle abrite des nids de bouvreuils, sert de garde-manger et de
reposoir au verdier, et même
de lieu de disputes,
à la saison des amours. - Photo : Iris
faux acore -
A
quelques pas de là, le naturaliste nous montre le grillage et
ses poteaux rabattus sur le sol par la dernière
crue catastrophique des 3 et 4 mai 2007. Les intempéries
avaient causé le débordement du
lac de retenue par-dessus la digue, en une lame liquide énorme
d'un mètre cinquante d'épaisseur qui avait descellé
les imposantes pierres de taille, afouillé les
fondations sur plus d'un mètre de profondeur et emporté tous
les obstacles, branches ou troncs qui se trouvaient sur son passage.
Sa maison n'avait pas été épargnée, heureusement,
il était absent
cette nuit-là. Même
la route était partie, il y avait des trous d'un mètre
de profondeur, que la municipalité a fait reboucher
en l'espace de deux mois : autrefois, c'était
un chemin qui menait à
la lande
pour
faucher
le
soustrage (la
fougère).
Pourtant, il avait pris soin d'abaisser le seuil
du lac, de façon à limiter l'étendue des eaux
et les risques, mais à circonstances
exceptionnelles, dégâts catastrophiques ! Suite à ces
événements, la bergeronnette des ruisseaux qui vivait
au bord du moulin en ruine a disparu, de même que le martin
pêcheur. - Photo : Orchidées Sérapias
lingua -
Le
canal d'échappement du trop-plein paraît bien inoffensif
aujourd'hui. Seules stagnent
quelques mares d'eau limpide où frétillent des têtards.
D'aspect extérieur identique, il est
impossible de savoir en quel batracien ils se métamorphoseront,
crapauds, tritons, salamandres ou grenouilles. Il faudrait les disséquer
et examiner à la
loupe binoculaire les quelques attributs internes qui les différencient
(les intestins par exemple). Ils sont pondus en hiver et attendent
l'échauffement de l'eau pour se développer. La mare en
est pleine, signe
évident de
l'absence
de
poissons qui les auraient mangés. Il déniche sous une
pierre un triton palmé (les pattes arrière seulement)
en précisant
qu'il existe
7
à 8 espèces de tritons,
dont
2 au Pays
basque,
le triton palmé et le marbré. Lors de l'inventaire des
amphibiens
à la réserve, on en a dénombré 7 espèces,
la grenouille agile, le pelodyte, le crapaud accoucheur, la grenouille
verte, etc.
-
Photo : Triton palmé -
A ce propos, il nous signale que ces animaux vivent pour la plupart hors de l'eau, qui leur est surtout nécessaire à la reproduction, afin d'y déposer les oeufs dépourvus de coquille d'où sortiront les têtards. Le triton marbré vit dans l'eau, mais la salamandre, jaune et noire, préfère la terre ferme. Le lac est une halte migratoire pour les oiseaux qui passionnent Jean-François Terrasse depuis toujours. "Les aigles migrent dès le mois de juillet vers le Sud. A l'inverse du milan royal qui se raréfie, le milan noir est en augmentation, il apprécie la nourriture qu'il trouve à la déchèterie de St Pée sur Nivelle, les petits mammifères et autres bestioles qui grouillent parmi les ordures. 141 espèces d'oiseaux à ce jour ont été observées sur la réserve au fil des saisons." Il extirpe à la pointe de sa grande épuisette une nèpe, ou scorpion d'eau, espèce de grande punaise aquatique qui vit près de la rive du lac, dans les herbiers vaseux de potamot crépu, à faible profondeur, car elle doit remonter régulièrement en surface pour respirer. - Photo : Nèpe -
A
cet effet, elle utilise son fin appendice caudal, qui n'est pas une
queue mais la réunion
de deux demi-gouttières accolées qui font office
de siphon pour aspirer l'air qui est emmagasiné sous les élytres.
Prédatrice, elle agite dans
le vide ses pattes antérieures ravisseuses pour nous
impressionner.
En aval
de la
digue,
un petit bosquet abrite une
source
d'eau
profonde,
insérée dans une veine de calcaire, dont Jean-François
Terrasse n'a pu trouver la provenance. Toujours fraîche,
elle permet l'existence d'un petit écosystème
très spécifique, et on y a décelé le
très rare
agryon de Mercure, qui est une libellule au corps bleu clair -
celles que nous apercevons un peu partout sur la butte herbacée
de la digue, également dans les bleus un peu métalliques,
se nomment, je crois, des agryons élégants -. 38
espèces d'odonates (libellules) ont été inventoriées
jusqu'à présent. - Photo :
Potamot crépu -
Autrefois,
il y avait beaucoup de moulins sur
les petits ruisseaux. Ils étaient
disposés, soit directement sur le cours principal,
soit sur un canal de dérivation, et le débit en était
très
souvent régulé par la construction d'un petit barrage
qui ménageait
un plan d'eau, permettant le fonctionnement des aubes en période
d'étiage pendant l'été, et inversement
l'atténuation
de la puissance de l'eau en la stockant en amont pour n'en laisser échapper
que la quantité nécessaire sans risquer d'emballer le
mouvement ni endommager les pales du moulin. Bien que ce fussent des
aménagements
artificiels, créés par l'homme, ils n'en constituaient
pas moins des endroits
intéressants
appréciés
par la faune,
et ne gênaient pas la circulation des poissons migrateurs. Malheureusement,
presque tous ces ouvrages ont disparu. La retenue d'Errota Handia s'étendait
sur 9 hectares, c'était un stockage intelligent de l'énergie.
Maintenant, l'intérêt
d'un tel lieu réside dans la grande biodiversité qui
y règne. Ce n'est pas
un lieu
touristique,
c'est une zone de quiétude qui jouit d'un statut de protection
relative, notamment à l'égard de l'urbanisation galopante
qui sévit alentour - et des chasseurs -. Grâce
à cette préservation, certaines espèces
ne disparaissent pas complètement. - Photo
: Agryon élégant -
Le
Conservatoire Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine (CREN),
association qui gère la réserve, prospecte les rares
espaces qui comportent encore des zones humides.
Souvent, leur valeur est ignorée par leur propriétaire
: ces moulins et ces mares sont là depuis
des générations et n'ont plus d'utilité. Il
faut convaincre ces gens de leur intérêt environnemental
et les empêcher de les détruire. Les zones humides sont
aussi des haltes migratoires pour les oiseaux. Les spatules nichent
en
Bretagne
et
jusqu'à la
Hollande. Ce sont des oiseaux rares qui fréquentent Errota
Handia. L'été dernier 70 cigognes y ont fait halte.
Le Pays basque est un lieu de passage entre mer et montagne pour
tous
les
oiseaux qui nichent
dans le Nord de l'Europe et suivent la côte du Nord au Sud
depuis la Bretagne, ou bien longent les Pyrénées. Il
est bien sûr connu depuis toujours par les chasseurs qui l'ont
converti en un véritable "piège à oiseaux".
Chaque année, 20 millions de pinsons sont tués pour
rien (avant, on chassait pour manger, c'était différent).
- Photo : Têtards -
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Jean-François Terrasse, Conservatoire Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine (CREN) avec Tangi le Moal, visiteurs, Cathy | Aquitaine Nature à Errota
Handia |
18 mai 2009 |