Nous remontons la berge du ruisseau jusqu'à la digue qui a été confectionnée en pierres de taille non cimentées, liées à la chaux. La matière première a dû être amenée en char à boeufs par les paysans soumis à la corvée par les seigneurs de Saint Pée. La muraille barre toute la vallée sur des dizaines de mètres : elle représente un travail colossal qui a certainement nécessité beaucoup de main d'oeuvre. Le moulin était équipé de trois meules, qui pouvaient fonctionner ensemble ou séparément, ainsi, l'activité était modulable selon le débit. Il était possible de concentrer toute l'énergie sur une seule meule en période de basses eaux. Du moulin désaffecté, il ne reste qu'un pan de mur. Jean-François Terrasse possède une gravure où le bâtiment figure à côté d'une maison aujourd'hui disparue qui devait être celle du meunier, et dont les pierres ont peut-être servi à bâtir celle où il réside. Cependant, il aimerait bien savoir s'il subsiste une photo du moulin encore en état de marche. Peut-être dans des archives à Pau, ou bien chez d'anciens propriétaires du lieu encore installés sur Arcangues ? - Photo : Tangi Le Moal (CREN), Jean-François Terrasse, des visiteurs, sur fond du barrage-

Quelle était l'utilité de bâtir un ouvrage aussi monumental ? C'est tout simplement parce qu'un moulin rapportait beaucoup d'argent. C'était une véritable entreprise industrielle privée. Le blé et le maïs étaient moulus moyennant le paiement de taxes. Par peur des inondations, le propriétaire précédent a cassé la digue par endroits et planté d'arbres le vallon comblé par la vase. Jean-François Terrasse a dû les couper, les dessoucher, recreuser le lit de l'ancien lac et déposer l'argile contre la digue, qu'il a ainsi doublée d'une paroi de 10 mètres de large à la base, 5 mètres au sommet, afin de la rendre de nouvau étanche. Il a envisagé la possibilité d'installer une centrale hydro-électrique à l'emplacement des trois chutes d'eau qui traversent le barrage, mais l'investissement est trop important pour lui. - Photo : Héron -

...Une directive européenne de 2001 oblige les états membres à produire 20% de leur énergie électrique par des énergies renouvelables. De la même façon que cette directive encourage le photovoltaïque, le photo-thermique ou l'éolien, elle suscite des projets de micro-centrales et pico-centrales hydroélectriques sur le réseau hydrographique. Ces centrales qui produisent de l'énergie renouvelable sont très peu nombreuses en Pays Basque. De fait, la directive en question constate que le potentiel de sources d'énergies renouvelables est sous-exploité. L'association Ibai Errekak a pour objectif de susciter la concrétisation de projets pour ce type de centrales (les pico-centrales produisent moins de 100 kilowatts et les micro-centrales entre 100kw et 5 mégawatts). Elle lance aujourd'hui un appel à tous les propriétaires de moulins porteurs de projets à rejoindre l'association avant le 30 juin (2009). «Par le biais de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie), on peut obtenir des subventions. L'agence est favorable à la subvention d'un projet cohérent et territorial mais souhaite un interlocuteur unique pour le Pays Basque» explique Haritza Camblong, président d'Ibai Errekak. «C'est pourquoi nous appelons les propriétaires à nous contacter. Nous proposons de les conseiller, de les aider à entreprendre des démarches administratives et à trouver une partie des financements nécessaires à la réalisation des études de faisabilité»...

Entre les pierres s'insère une jolie plante invasive importée d'Amérique du Sud, une astéracée dont les fleurs rappellent la pâquerette. Au pied de la muraille, notre mentor déniche des larves de sauterelles. Effarouchés par notre présence, des milans noirs, des canards colvert et une buse bondrée évoluent au-dessus du lac entouré de magnifiques iris faux acore jaunes. 7 espèces de rapaces nichent dans le sous-bois, et au moins quatre familles de hérons : nous en apercevons un grand près du nid, silhouette fine et claire dressée à la cime d'un des grands arbres qui bordent la rive opposée du lac. Près de la maison, un couple de sitelles a maçonné l'orifice du perchoir à oiseaux pour en réduire l'accès et éviter des intrusions désagréables. - Photo : Astéracée invasive -

Depuis le mois d'octobre, le ruisseau est en crue. Il est tout le temps boueux, car il collecte la terre arrachée aux champs laissés à nu pendant six mois, après la récolte du maïs. En 1983, il y avait eu une inondation car la digue n'était pas encore faite. En 2007, l'inondation a eu lieu malgré la double digue de terre et de pierre. Désormais, les crues de printemps sont très brutales. Jean-François Terrasse impute cette évolution au changement des pratiques agricoles. En raison du nombre croissant de vaches, la municipalité a accordé l'autorisation de défricher les communaux pour y cultiver le maïs. Nous sommes dans une région pluvieuse. Auparavant, le ruissellement de l'eau sur les flancs pentus des collines était freiné par la couverture de forêts, de prairies et de landes dont on coupait seulement les fougères pour en faire de la litière pour le bétail qui paissait à l'air libre. L'eau s'écoule désormais sans entrave sur des champs de maïs trop souvent labourés dans le sens de la pente, à la terre compactée par le poids des tracteurs : au passage, elle érode la terre arable qui disparaît dans la mer, conséquence dramatique d'une politique agricole irresponsable. C'est une véritable catastrophe écologique. - Photo : Iris faux acore -

Du coup, l'étang se remblaie, l'eau rendue moins profonde s'échauffe, s'oxygène moins bien. Cette boue change l'écologie des ruisseaux, à la moindre pluie, l'eau devient trouble et le phénomène d'eutrophisation (manque d'oxygène) se produit. A ces maux s'ajoute le "mitage" de la campagne par un nombre croissant de maisons individuelles sur Arcangues et les villages limitrophes, dont les eaux usées ne sont pas reliées au réseau collectif et qui les traitent dans des fosses septiques. Peu étanches, celles-ci laissent échapper leurs eaux polluées par les salmonelles et les colibacilles qui viennent infester le ruisseau de l'Uhabia et ses affluents, jusqu'à la plage qui porte son nom à Bidart et constitue le point noir de la Côte basque.

Bidart est la première commune de la Côte Basque à avoir réhabilité sa station d'épuration dans les temps. En effet, depuis juillet 2000, la station d'épuration de Bidart a été entièrement rénovée avec des procédés épuratoires innovants (filtration membranaire, UV,...). Sa capacité a doublé, elle est passée de 12 000 EH (Equivalents Habitants) à 25 000 EH, pour un budget de près de 20 MF Hors Taxe. La commune réhabilite peu à peu tout son réseau de collecte des eaux usées. Un syndicat intercommunal entre les communes de Bidart, Arbonne et Ahetze a été créé pour réaliser un diagnostic de l'assainissement autonome des particuliers et établir la carte de systèmes autonomes non conformes. Uni au syndicat URA (17 communes), il œuvre pour l’amélioration de la qualité bactériologique de l’Uhabia, dont les 10 kilomètres de parcours traversent les 5 communes de Saint-Pée-sur-Nivelle, Bassussarry, Arcangues, Ahetze et Arbonne, pour finir sa course dans l’océan à Bidart, formant un bassin versant de 6000 hectares. Dans le bulletin municipal d'Arbonne de juillet 2009, le SIVOM de l’Uhabia annonce qu'il souhaite associer le secteur agricole à la reconquête de la qualité bactériologique de l’Uhabia. Ainsi, de la même manière que sur le bassin versant des Nives, une évaluation de l’impact des activités agricoles sur la qualité de l’eau sera réalisée avec l’aide des agriculteurs sur le bassin versant de l’Uhabia (Bidart, Ahetze, Arbonne et une partie d’Arcangues) par Euskal Herriko Laborantza Ganbara.

Pour lutter contre ces fléaux sanitaires néfastes pour son image de marque et le tourisme, la municipalité de Bidart veut interdire la présence des vaches et des chevaux, ainsi que l'élevage de canards et de poules, mais l'occupation humaine se densifie chaque jour un peu plus. Alors qu'Errota Handia était encore relativement épargné, Jean-François Terrasse relève des signaux inquiétants d'avancées de ces pollutions qui le rendent très pessimiste. Les insectes meurent, et avec eux les oiseaux insectivores. Il vitupère contre les lobbies de la chimie mondiale qui provoquent de véritables catastrophes. La France a le record du monde de tonnage de pesticides à l'hectare. Beaucoup d'espèces d'oiseaux ont perdu 70% de leurs effectifs en 10 ans, les moineaux, les pies grièches, les fauvettes, les hirondelles. Les granivores sont détruits par les herbicides et les insectivores par les pesticides, les bruants mangent des plombs de chasse... Dans un rayon de 100 mètres autour de sa maison, certains oiseaux revenaient à date fixe. Le gobe-mouche gris qui venait nicher depuis 40 ans dans son rosier n'est pas encore là cette année. Le réchauffement climatique fait éclore les insectes plus tôt. Quand les oiseaux arrivent, c'est trop tard, le cycle s'est accompli sans eux, ils sont décalés, ne trouvent rien à manger et meurent d'inanition. - Photo : Vesce (pois de senteur) -

Le naturaliste évoque l'époque, pas si lointaine (1873), où les eaux du ruisseau d'Errota Handia étaient encore parfaitement pures. Le Marquis de Folin était un naturaliste du XIXe siècle spécialiste des mollusques des fonds marins et d'eau douce qui fut nommé capitaine du port de Bayonne dans les années 1870, après ses affectations à St Nazaire et à Pauillac. Il rapporte dans ses écrits illustrés de sa main que le fond de certaines rivières était pavé de moules perlières (dossier WWF pages 10 et 11). Il fallait toutefois en ouvrir 1000 pour trouver une perle (leur chair était donnée aux cochons). C'était l'"uillot", qui se dressait à la verticale sur le fond de gravier (unio crassus ou margaritifera). Le ruisseau d'Errota Handia en hébergeait en quantités, lorsqu'il s'y rendit en 1873. Il faut à ces moules perlières des eaux parfaitement pures pour subsister. Elles ne se reproduisent qu'à l'âge de 50 ans, larguant dans l'eau les gamètes (ovules et spermatozoïdes) qui s'unissent pour constituer des oeufs au sein desquels se forment des larves. Celles-ci viennent se fixer sur les branchies d'un salmonidé (truite ou saumon) et instituent une symbiose, les larves consommant les impuretés qui s'y glissent et sécrétant des substances qui améliorent la santé de leur hôte, notamment antifongiques (qui tuent les champignons), en échange du gîte. - Photo : 2 jeunes braconniers qui pêchent sans vergogne dans la réserve. -

Après leur métamorphose en jeunes moules au bout de quelques semaines ou de quelques mois, elles se détachent et se fixent sur les sédiments au fond du ruisseau, justement là où les salmonidés se reproduisent. Durant les 5 premières années de leur vie, elles se nourrissent des bactéries et des filaments de champignons qui se développent notamment sur les œufs des saumons, les jeunes moules perlières améliorant ainsi grandement la qualité de la frayère et la productivité du frai. Devenues adultes, elles consomment le plancton (organismes microscopiques, végétaux ou animaux, vivant sous l’eau) en filtrant jusqu’à 90% des impuretés de l'eau, et contribuent à réduire sa turbidité. Elles peuvent devenir plus que centenaires. C'est dans la Nivelle qu'on en a fait mention pour la dernière fois, mais elles ont disparu de nos cours d'eau. - Un site de Bourgogne en mentionne la présence dans la Nièvre, sur le lit d'une rivière de la commune de Gouloux située en ZNIEFF, site d'intérêt écologique majeur appelé le Saut de Gouloux (en page 17 de la charte du Parc du Morvan). "Cette rivière héberge la Truite commune, le Chabot et la Lamproie de Planer, ainsi qu'une population relictuelle de Moules Perlières (Margaritifera margaritifera) dans les parties les moins pentues. Son existence est menacée par l'exploitation forestière sur les versants raides de la Cure et par la fréquentation touristique." Pour protéger ces espèces, il est préconisé de transformer le site en Réserve Naturelle Régionale... - Photo : Jean-François Terrasse -

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Jean-François Terrasse, Conservatoire Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine (CREN) avec Tangi le Moal, visiteurs, Cathy
Aquitaine Nature à Errota Handia
18 mai 2009