Il
y a 110 MA (Millions d'Années), à l'emplacement des Pyrénées
se trouvait une
mer chaude et peu profonde
dans laquelle se multipliaient des bancs de rudistes,
mollusques dont l'une des
deux valves
était de
forme conique (un cornet fermé d'un couvercle) et qui pouvaient mesurer
plusieurs dizaines de centimètres. Les hippurites, une sorte de rudistes
courants dans la montagne des Cornes dans
l'Aude, faisaient jusqu'à un mètre de longueur.
C’est en 1775 que le naturaliste toulousain, Philippe Picot de Lapeirouse (1744-1818), explorant les Corbières, se rend sur le site qui deviendra par la suite « La Montagne des Cornes ». La narration de cette exploration par Picot de Lapeirouse dans son «Discours Préliminaire» de l’ouvrage de 1781 «Description de plusieurs nouvelles espèces d’Orthocératidés et d’Ostracites» ne manque pas de saveur. A cette époque, où l’origine même des fossiles est âprement discutée, la paléontologie n’en est qu’à ses débuts.
"...
Je fus singulièrement frappé du nombre prodigieux des corps pétrifiés qui
se présentoient de tous côtés à mes regards... auxquels
le vulgaire a donné le nom de cornes... Je ne m'y fus cependant pas trompé.
Je pensai que c'étoit la dépouille pétrifiée de quelque corps marin. J'en
cassai plusieurs en tous sens pour voir s'il ne seroit pas possible de tirer
quelque lumière de leur structure intérieure : je n'y trouvai qu'un spath
calcaire grossier, sans aucune trace de l'ancienne organisation... je rencontrai
quelques fragments... dont les coupes et les cassures présentoient
distinctement les cloisons de l'intérieur..."
Les rudistes jouaient
un rôle
important dans la fixation du carbonate de calcium dissout dans
la mer en créant de véritables
récifs
et sont donc à l'origine de la formation de roches calcaires,
phénomène très lent qui s'est achevé vers
-40 MA. Comme nombre d'autres organismes terrestres ou aquatiques
du Mésozoïque,
tels les dinosaures ou les ammonites, ils disparurent
totalement à la
fin du Maastrichtien lors d'une crise biologique de grande ampleur
nommée
crise KT ou extinction du Crétacé (-65 MA). Le
géologue qui nous guide dans les grottes nous fait remarquer
leur section circulaire blanchâtre qui parsème en
quantité le
plafond
noir de
la grotte d'Oxocelhaya creusée par la rivière de
l'Arbéroue
dans la colline calcaire de Gaztelu. Excroissance
incongrue
extirpée des profondeurs par l'érection des Pyrénées,
celle-ci s'élève au milieu de collines de flysch
(ou turbidités)
plus récentes dont tout le Pays basque est constitué
et qui se forme à partir de -100 MA également
sur le fond de cette "mer
pyrénéenne", mince intrusion de la mer Thétys
dans les continents réunis en un seul, la Pangée,
qui commençait à se
scinder. -
Photo : Rudiste,
20 cm, CDMP, et rudiste en
coupe. -
Les
plaques tectoniques de la croûte terrestre se redistribuent : la
plaque eurasienne se dirige vers le Sud, la
plaque africaine vers le Nord (dont se détachent d'une part l'Inde
qui vient percuter la première en érigeant
la chaîne himalayenne et d'autre part l'Amérique du Sud
qui s'éloigne
vers l'Ouest). Libérée
de la pression de l'actuelle Amérique
du Nord qui s'écarte en laissant l'océan atlantique se
remplir, la petite plaque ibérique s'arrache
au massif armoricain, bascule en sens horaire inverse (vers la gauche),
fait place au golfe de Gascogne et, poussée par la plaque africaine,
vient percuter
ensuite la
plaque eurasienne en érigeant des montagnes depuis la Galice jusqu'en
Provence, sans
oublier les Pyrénées. Ces mouvements se poursuivent à l'heure
actuelle à des vitesses diverses et sont mesurés par GPS aux
endroits les plus critiques, là où les risques sismiques
sont majeurs.
Les
plaques africaine et eurasienne se rapprochent à une
vitesse d’environ 5 mm/an à la longitude de la France,
cependant, l’essentiel
de cette convergence semble être à l’heure
actuelle absorbé en Afrique du Nord et au sud de la péninsule
ibérique. La
Méditerranée devrait ainsi disparaître dans 40
MA et le détroit de
Gibraltar se fermer dans 1 MA. - Photo des
collines de flysch qui entourent la colline calcaire de Gaztelu - Dispersion des
continents -
Le
calcaire est une roche dure, et s'il se creuse ainsi de grottes et de
gouffres, c'est que ces phénomènes
tectoniques et orogéniques
l'ont fissuré. L'eau chargée de gaz carbonique s'infiltre
dans les interstices qu'elle élargit par son acidité qui
attaque lentement la roche. De couleur diverse allant du noir au blanc,
en passant par le brun,
rouille ou jaune, le calcaire est rarement pur. A l'entrée des
grottes, on distingue nettement les strates ocres ou grisâtres
qui se sont déposées
les unes après les autres
sur la durée. A l'intérieur de la grotte d'Oxocelhaya,
nous admirons les cristaux
de
calcite qui se sont synthétisés après dissolution
du calcaire et dont les facettes blanches immaculées renvoient
la lumière
dans un scintillement magique au milieu de cette obscurité des
profondeurs terrestres. Il a beaucoup plu en début de mois. La
colline couverte de végétation
est imprégnée comme une éponge et, par gravitation,
l'eau s'infiltre lentement. Dans
le silence sépulcral et les lumières tamisées, nous
entendons le tintement démultiplié par l'écho des
gouttes qui tombent, de ci, de là, dans des flaques éphémères
ou bien explosent en une myriade d'éclaboussures
sur
la cime
d'une
stalagmite
en croissance. Souvent, elles restent suspendues à la pointe des
stalactites creusées d'un conduit central par lequel elles se
sont insérées avec
lenteur,
sphères brillantes et translucides qui
déposent sur les bords pendant cette halte
un précipité de calcaire (carbonate de calcium
ou de magnésium)
de teinte variable suivant les éléments du sol qui y sont
dissous. Une stalactite peut ainsi croître de quelques centimètres en
100 ans ou 1000 ans, suivant le rythme de cette infiltration et des précipitations
extérieures.
Si
l'eau pénètre dans des fissures qui s'ouvrent dans le plafond des grottes,
nous voyons s'y suspendre soit une suite de stalactites, soit
des voiles ou orgues de la plus grande finesse. Dans la grotte d'Oxocelhaya
qui nous en offre une gamme d'une infinie variété, les
chercheurs ont décelé des
traces de martelage sur une série de
draperies
ocrées à la teneur ferrugineuse : ils en ont déduit
que les hommes de la préhistoire (néandertaliens ou homo
sapiens, nul ne peut le dire) les ont utilisées comme lithophones.
Comme pour corroborer cette hypothèse, plusieurs flûtes
en os de vautour ont été trouvées dans les grottes
superposées
d'Isturitz et d'Oxocelhaya. Un compositeur de musique, Pierre
Estève,
travaille sur le minéral, l’air et l’univers des
grottes :
il est venu jouer de ces pierres aux sonorités claires
ou graves, toutes mélodieuses, en vue de la préparation
de son troisième
album "Stone" qui pourrait déboucher sur un enregistrement
que l'on
écouterait lors de la visite des grottes, plongeant ainsi le
public dans une atmosphère irréelle, très certainement éloignée
de ce qui se pratiquait dans les temps anciens, mais qui permettrait
de lui faire
éprouver des sensations esthétiques rares.
Les phénomènes géologiques
se poursuivent, les concrétions s'accumulent à l'intérieur
de ces grottes encore vivantes, sans égard pour les oeuvres d'art
que les humains y ont inscrites. Des gravures animales, sur un large
pilier naturel qui fait face à l'ancienne
entrée de la grotte d'Isturitz, s'effacent inexorablement, recouvertes
d'un calcaire qui emplit les creux, estompe les reliefs. Heureusement
trois d'entre elles, protégées par une avancée naturelle
de la roche, demeurent préservées. Nous admirons la sûreté de
la main de l'artiste, sa qualité d'observation de l'anatomie et
ses capacités
à figer le mouvement en utilisant les irrégularités
de la pierre pour nous rendre encore vivace l'existence d'animaux disparus
depuis 15 000
ans. Dans un tout petit couloir éloigné où l'on
ne pénètre qu'avec difficulté,
quasiment en rampant, un autre artiste a tracé d'un doigt imprégné de
charbon dans la terre meuble qui recouvrait le rocher des chevaux minuscules
de 20 cm de longueur.
Le
caractère
éphémère de cette oeuvre conservée par miracle
(le découvreur a failli
mettre le pied dessus) en a fait l'emblème des grottes
et la mascotte de ses propriétaires. Un peu plus loin, d'autres
chevaux, gravés ceux-là, sont bien plus élaborés
et montrent, s'il en était besoin,
que les capacités humaines n'ont guère changé en
15 ou 20 000 ans, et que l'homo sapiens de l'époque n'était
pas moins habile ni moins artiste que celui d'aujourd'hui. Sa pensée
est perdue à jamais, mais nous ne
cessons d'espérer en reconstituer des bribes à l'aide des
vestiges infimes qu'il nous a laissés.
Page précédente | Page 2/2 |
Association Les Pierres du Pays Basque - Visite guidée des grottes d'Isturitz et Oxocelhaya dans le cadre des Mercredis des Sciences | Le calcaire, cette roche méconnue |
28 Octobre 2009 |