A cette époque froide, humide et ventilée
de l'année,
peu de touristes arpentent les rues et les Maltais frissonnent, peu
acclimatés et peu équipés pour lutter contre les
rigueurs hivernales. Pas assez couverts, dans des logements peu ou
pas chauffés, ils attendent
des jours meilleurs enfermés pour la plupart à l'intérieur.
Malgré
tout, la circulation automobile dans les voies principales nous pose
problème par sa densité, son bruit, sa pollution... et
la conduite
à gauche, influence anglaise oblige ! Michèle
manque de se faire renverser en regardant du mauvais côté avant
de traverser ! L'île
n'a pas encore amorcé son virage écologique : c'est le
tout voiture (il y a même des 4x4
alors que l'île ne comporte ni piste, ni montagne, ni grande
distance, quoique la voirie soit assez déficiente, percée
de nids de poule et hérissée de dos d'âne pour
casser la vitesse, tout aussi dangereux). Les camions se font légions,
bruyants et poussiéreux. Moi qui souhaitais
visiter l'île en vélo, c'est raté ! Aucun équipement,
quasiment aucune piste cyclable (juste la séparation de la chaussée
par un trait de peinture le long de la côte en ville), et bien
que l'île ne culmine
qu'à 253 mètres, les routes montent
et
descendent
sans arrêt. Assez curieusement, l'île est très centralisée,
chaque ville est reliée à la capitale La Vallette par
bus, mais il n'existe aucune transversale.
Pour
nous qui voulons les visiter, cette anomalie
nous oblige à des transports longs doublés d'une longue
attente aux arrêts de bus. Les
chauffeurs, qui refusent les billets (Malte est passée depuis
janvier 2008 à l'euro), nous rendent la monnaie de façon
fantaisiste, et nous payons parfois plus, parfois moins que le prix
indiqué (0,47 € pour la plupart des trajets). Les contrôleurs
ne sont pas non plus toujours très pointilleux, du moment
qu'on leur tend un ticket à déchirer.
Le pittoresque est garanti, autant par l'aspect des bus, souvent
antédiluvien,
que la population que nous côtoyons, dont
le type physique va du pur britannique à la peau blanche et
rose aux Italiens du sud ou nord-africains à la peau mate
et la silhouette râblée, de rares personnes sont issues
d'Afrique noire ou d'Asie.
Quant à la
langue maltaise, sa sonorité fait penser à
l'arabe,
mais on y reconnaît parfois des mots anglais, français
ou italiens. Depuis l'occupation anglaise, qui a fait suite à celle
de Napoléon,
les Maltais sont bilingues anglais-maltais et ils se sont fait une
spécialité d'immersion linguistique anglophone. Grâce à une
information trouvée sur le site Internet du Routard, nous
avons pu bénéficier
ainsi de prix d'hébergement exceptionnellement bas (9 € petit-déjeuner
compris !) en résidant
en logements
étudiants rendus vacants à la basse saison et ouverts
au public sans distinction d'âge ni d'activité.
Bien
que l'île soit vraiment de dimensions très restreintes,
chaque ville, chaque quartier, chaque recoin a un caractère
bien distinct, qui justifie que l'on s'y déplace. Les zones
industrielles sont limitées,
et l'on retrouve bien vite des rues anciennes pleines de charme, un
paysage agreste ou un plan d'eau qui pénètre loin à l'intérieur
des terres et offre refuge à une myriade de bateaux de pêche,
de plaisance ou de
commerce.
La
mer n'est jamais loin, la côte très découpée
présente
de multiples points de vue. Enfin, bien que nous n'en ayons pas visité
beaucoup, la plupart des musées et églises valent le
déplacement.
Par rapport à la côte basque, les horaires de lever et de coucher du
soleil sont décalés d'une heure, quoique nous soyons dans le même fuseau
horaire. Nous avons donc décidé de nous lever tôt (le petit déjeuner
de la résidence est à 8h-1/4, heure étudiante) car il fait nuit vers
les 6h.
Richard,
toujours très matinal et rapide à se préparer,
piaffe d'impatience et profite d'un joli rayon de soleil pour se baigner
sur la côte avant
notre départ en périple quotidien. Bien lui en prend
! Les nuages qui menaçaient à l'horizon s'amoncellent
et le froid reprend : il n'y aura
plus d'autre occasion de tout le séjour et nous promènerons
nos maillots et nos serviettes pour rien,
soit que la météo ne nous inspire pas ou bien que notre
emploi du temps ne nous le permette pas.
Nous
nous laissons mener par Véronique
et son amie toulousaine Clotilde qui étudient consciencieusement
le guide et nous indiquent les lieux incontournables, c'est très
reposant de les suivre ! Renseignements pris, les sites les plus
prestigieux et intéressants (l'Hypogée notamment) ne peuvent être
visités qu'à condition d'avoir réservé la place des mois à l'avance,
car
il ne
peut y entrer
que peu de personnes à la fois, je crois. Dommage ! A l'instar de
l'architecture, la végétation
est aussi très diversifiée. A côté des
plantes méditerranéennes comme le pin parasol, le laurier
rose ou l'oranger, on trouve des cactus de tous formats, les figuiers
de Barbarie remplacent
nos haies de ronces à mûres, des formes élancées épineuses
se tortillent
à l'assaut des maisons à l'instar de nos rosiers ou glycines,
les inévitables
eucalyptus envahissent ces terres arides à côté de
mimosas en fleurs.
Véronique
craque pour les poignées de porte en forme de poisson qui semblent
être une spécialité maltaise. Des modèles
réduits sont en vente dans
les boutiques.
L'île,
par sa situation stratégique au carrefour de la Méditerranée
orientale et occidentale, a subi une histoire tumultueuse riche en
massacres
divers et variés. Cela s'est traduit par un nombre impressionnant
de fortifications dont les murailles imposantes étaient sensées
intimider et dissuader les agresseurs et, en dernier recours, protéger
les occupants du moment. Malgré leur aspect massif, elles emportent
l'admiration, d'autant qu'elles sont, elles aussi, édifiées
dans cette pierre calcaire qui déploie le maximum de sa splendeur
dans la lumière du soir.
Lors
de notre visite d'une énième église,
je m'assieds sur un banc pour admirer tout à loisir les fresques
et les tableaux qui recouvrent tout l'intérieur des murs et
les plafonds. Une
petite femme d'un certain âge
s'approche de moi avec le sourire et engage la conversation,
tout miel et tout sucre, m'amadouant par un compliment sur mon
anglais. Elle commence en déclarant qu'une église n'est
pas qu'un monument à
photographier, mais avant tout un lieu de prière (alors que
je ne faisais - exceptionnellement - que regarder et me reposer sans
brandir mon
appareil), avant d'entreprendre un véritable interrogatoire
:
est-ce
que je vais à l'église tous les dimanches, est-ce
que je suis catholique, suis-je
mariée, est-ce que le mariage s'est déroulé à l'église,
ai-je des enfants, sont-ils baptisés ?
Me
tendant un pendentif à l'effigie
de la Vierge,
puis, après mon signe de refus, à celle
de Jésus,
arguant du fait que son offre est gratuite, elle insiste pour m'extorquer
la promesse
que, dès mon retour à la maison, je ne manquerai
pas de pratiquer la messe tous les dimanches... Jean-Louis me sauve
de ses griffes
en m'appelant
et en me faisant de grands signes pour m'indiquer que le groupe
a fini sa visite et que je dois les suivre. Si elle a décidé de
convertir tous les touristes à la pratique active du catholicisme,
je lui souhaite bon courage.
Cette petite expérience me fait prendre conscience
de l'espèce de dictature morale qui a dû sévir ici pendant des siècles
et dont nous voyons des
traces partout. Ce n'est pas l'Inquisition, mais cela y ressemble
un peu. L'esprit des Chevaliers de Malte perdure, avec leur conviction
ancrée et leur intolérance militante. Cela
me fait drôle, aux portes de l'Islam, tandis que des boat-people
arrivent par centaines et
par
milliers dans ce petit bout méridional de l'Europe, attirés par le
mirage d'une vie meilleure et dans l'espoir d'accéder par ce biais
à nos pays
richissimes. Quelques jours avant notre arrivée, un entrefilet s'en
est fait l'écho : 200 personnes entassées dans un vieux bateau de
pêche ont débarqué et se sont dispersées dans l'île, poursuivies
comme
des malfaiteurs par la police des frontières. Rattrapés, ils doivent
croupir
dans l'un des trois ou quatre centres de détention de l'archipel,
en attendant sans doute d'être renvoyés dans leur sud inhospitalier
qu'ils
ont tenté de fuir. Ce n'est pas comme cela que j'interprèterais la
charité chrétienne. J'avoue éprouver une profonde honte devant le sort
que nous réservons à ces populations "du sud" que nous avons colonisées,
dont nous continuons à extorquer les richesses par des moyens plus
détournés et que nous affamons sans vergogne, heureux de manger et
consommer à bas prix des produits du monde entier.
Dans le même temps,
les plus riches de ces pays pauvres exhibent dans les anses abritées
de l'accueillante île de Malte leurs bateaux luxueux et déposent
leurs réserves dans les comptes bancaires de la Bank of Valetta à
la solidité garantie par l'Etat...
Faut-il fermer les yeux parce que nous sommes en vacances,
que nous avons besoin de détente et que nous jouissons d'un petit voyage
qui nous permet de découvrir entre amis un nouveau pays au nom prestigieux
? Je ne suis pas capable de me promener béatement et de ne pratiquer
que du tourisme consommateur. Visiter, c'est aussi prendre conscience
du monde par soi-même, autrement que par le crible réducteur des médias.
Certes, nous ne voyons pas tout. On ne "fait" pas Malte en quatre jours
sans ignorer une grande part de ses réalités, mais, tout de même, nous
ne pouvons pas faire autrement que d'être choqués par certains "détails".
Nous partons visiter le merveilleux petit port de pêche
de Marsaxlokk dont les bateaux (les luzzu) arborent à l'avant
une paire d'yeux "phéniciens" (d'Isis)
sensés
porter bonheur. J'interroge un pêcheur assis à l'ombre
de sa bâche
au fond de sa barque, en train de ravauder son filet. Ce jour-là,
il n'a pas pêché, mais quand il sort, il part de nuit
et revient le matin. Sa zone de pêche ne s'étend pas au-delà d'une
heure de trajet avec son petit moteur. Une
brochure touristique regrette que la pêche industrielle
ne soit pas davantage développée. Moi,
au contraire, ce que je vois, c'est une foule de petits bateaux qui
font chacun travailler une à
quatre personnes à bord, pratiquent une pêche non destructrice
et approvisionnent le marché local. Un peu plus haut, un fort
a été reconverti en centre
de recherche sur l'aquaculture. Nous apercevons près de la côte, à
la sortie de la baie, les cercles qui soutiennent les filets où grouillent
des thons méditerranéens ou
des bars destinés à l'exportation. Ces élevages
font face, d'un côté
du promontoire, à une centrale électrique alimentée
par d'immenses cuves de pétrole et, de l'autre côté, à un
port commercial avec des grues pour décharger les containers.
Pour le moment, l'eau est encore claire près du village, de
petits poissons frétillent autour des cordages
des barques de pêcheurs. Pourtant, certainement, elle est déjà polluée
par des
émanations de ces voisinages industriels et il me semble aberrant
d'y localiser des élevages de poissons destinés à notre
consommation (pas celle des Maltais, ils ne sont pas fous). Il faut
savoir également
que l'aquaculture est une industrie polluante (et non "durable"),
une part des aliments (de la farine et de l'huile de petits poissons
pêchés
par millions en mer du nord ou au large du Chili) se perd dans la baie
et la forte concentration de poissons
multiplie
le volume
de rejets
organiques.
La
Méditerranée
n'étant pas l'océan, le brassage des eaux est bien moindre,
et l'on verra probablement se multiplier cette algue verte dont la
Bretagne
n'arrive
pas à se
débarrasser, et qui stérilise les eaux côtières.
L'agriculture,
tout comme la pêche côtière, se pratique de façon traditionnelle, avec
une mécanisation très faible, inutile sur d'aussi petits lopins de
terre. Seule la pomme de terre, paraît-il, est exportée, le reste de
la production demeure pour le marché local. Nous dégustons avec surprise
les oranges maltaises, excessivement douce, tellement dépourvues d'acidité
qu'elles en sont presque fades - mais très juteuses -. Une autre espèce
est aussi cultivée, que nous n'avons pas testée, qui doit être
plus
acide.
Les pierres
retirées année après année des champs sont empilées de façon un peu
désordonnée en petits murets qui semblent prêts à se disloquer au moindre
choc. Véronique
y découvre avec ravissement un pilastre de balcon un peu endommagé
qui a été abandonné sans remord. Elle le nettoie, l'admire
et, après une hésitation, l'emporte dans son sac. On ne peut pas dire
que ce soit du vol de patrimoine architectural ni archéologique, n'est-ce
pas ?
Pour le retour, elle l'enveloppe
avec soin dans sa serviette de bain et l'enfouit au milieu de son
bagage à main. Il faut
dire que
nous avons pris l'habitude pour nos escapades de ne pas emporter
beaucoup d'affaires, afin d'éviter la corvée de l'enregistrement et
l'attente
fastidieuse des bagages. En outre, nous avons édité directement par
Internet notre carte d'embarquement : formalités réduites au minimum
! Il "suffit" de passer le sas de contrôle à la police de l'air.
C'est là où ça se corse. Jean-Louis passe devant Véronique qui le suit.
Les
contrôleurs aperçoivent dans leur écran vidéo une silhouette louche.
Ils
passent Véronique au détecteur dans tous les sens, car elle fait
sonner le portique, tandis qu'ils se trompent de sac et vident entièrement
celui de Jean-Louis, où
ils ne découvrent qu'une paire de chaussures malodorantes parmi un
tas de linge sale... Ils ne cherchent pas davantage.
Sauvée ! Nous sommes soulagés qu'elle n'ait pas eu d'ennuis, bien que
son
délit
fût
bien
minime
: emmener une pierre taillée de calcaire maltais à globigérines...
SOMMAIRE | 2/2 |
Véronique, Clotilde, Michèle, Julien, Richard, Nora, Jean-Louis, Cathy | Malte |
17 au 21 février 2009 |