La faible masse de Mars : la clé de notre compréhension
de l’origine du Système Solaire interne
Sean RAYMOND - Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux (CNRS) - 2 rue
de l’Observatoire, 33270 Floirac - raymond@obs.u-bordeaux1.fr
Résumé
de la présentation fourni par le conférencier : Reproducing the small mass
of Mars is the major problem for modern simulations of terrestrial
planet accretion. To date, the only reasonable solution invokes a planetesimal
disk with an outer edge at 1 Astronomical Unit – such initial conditions
can form good Mars analogs, but this appears inconsistent with solar system
evolution and the very existence of the asteroid belt. Hydrodynamical simulations
show that the evolution of Jupiter and Saturn in a gas disk generically leads
to a two-stage, inward-then-outward migration. If Jupiter’s
minimal orbital radius was 1.5 AU, this evolution truncates the planetesimal
disk at 1 AU and the resulting disk quantitatively reproduces the terrestrial
planets including Mars. The asteroid belt, which was swept clean during the
giant planets’ migration, is repopulated from
two distinct sources. The inner asteroid belt gets its asteroids from bodies
originating between 1–3
AU, which explains their observed anhydrous type, and the outer belt gets
its content from a primordial disk originating beyond 6 AU. The key element
missing from previous simulations was the reversal, or “tack”,
in the migration of Jupiter at 1.5 AU allowing it to truncate the planetesimal
disk at 1 AU and still migrate outwards towards its current position. We
conclude from the migration down to 1.5 AU that the behavior of our giant
planets was more similar to extra solar planetary systems than previously
thought. This scenario has important implications for asteroid and comet
impacts on Earth.
Quoi
qu’il en soit, et en dépit de ces
incertitudes, les recherches se poursuivent dans des domaines très
divers. Grâce aux progrès des instruments dédiés à l’observation
astronomique, cela fait 15 ans que l’on réussit à détecter
des planètes en révolution autour d’étoiles proches
de notre système solaire. La première exoplanète, découverte
en 1995 par Michel Mayor, Daniel Queloz et leur équipe du Département
d'Astronomie de l'Université de Genève par la méthode
de la vélocimétrie, a fortement perturbé la communauté scientifique.
Elle orbite autour de l'étoile 51 Pegasus, de type solaire, et sa
masse est d’environ 1J (un Jupiter). Ce qui est étonnant, c’est
que la planète se trouve très proche de son étoile.
Il ne lui faut que quatre jours pour en faire le tour. Inconnu jusqu’alors,
ce type de planètes prendra le nom de "Jupiter chaud", et
beaucoup d’autres seront découvertes dans
les années
qui suivront.
Par ailleurs, les roches lunaires rapportées par le programme Apollo (1971-1972), ainsi que les météorites d’origine lunaire, n’ont qu’environ 4 milliards d’années, soit plusieurs centaines de millions d’années de moins que l’âge estimé du système solaire. De même, la majeure partie des roches terrestres les plus anciennes n'ont pas une antériorité plus grande. Cherchant la cause de cette anomalie, la communauté scientifique a fini par s’accorder sur l’hypothèse d’un Grand Bombardement Tardif. Après les premiers 600 millions d’années, les petits corps qui n’avaient pas été intégrés dans le Soleil ni dans les planètes auraient été déstabilisés par une modification de la structure orbitale des planètes géantes, et une partie d’entre eux auraient été projetés vers l’intérieur du système solaire, percutant les planètes telluriques durant 50 à 150 millions d’années.
Sur Internet, Wikipédia se
fait l’écho d’une modélisation remontant à 2005
présentée par R. Gomes, H. F.Levison, K. Tsiganis & Alessandro
Morbidelli, Origin of the cataclysmic Late Heavy Bombardment period of the
terrestrial planets, Nature, 435, 466-469 (2005). Ces chercheurs font l’hypothèse
d’une entrée en résonance 2:1 de Saturne et Jupiter,
ce qui signifie que Jupiter aurait fait deux révolutions autour du
Soleil pendant que Saturne n’en faisait qu’une, avec les deux
astres dans une configuration proche du système actuel.
Sean Raymond, un jeune Américain qui a choisi de poursuivre sa carrière de chercheur à l’observatoire de Bordeaux malgré des conditions financières nettement moins avantageuses qu’aux Etats-Unis, s’attaque au problème à son tour, en prenant en compte l’observation des Jupiter chauds. Il modélise le système solaire à ses prémices. Les poussières et les gaz de la nébuleuse interstellaire dont il émane sont perturbés par l’explosion d’une supernova et commencent à s’agglomérer dans un mouvement giratoire en un vaste disque où se produisent beaucoup d’interactions. La plus grosse partie de ces éléments se concentre pour former le Soleil qui, sitôt entré en fusion, déploie une activité telle qu’il projette au loin les éléments légers (hydrogène, hélium, eau, ammoniaque…) dont profite Jupiter, tandis que demeurent près du centre les éléments lourds (fer, silice…). Ces dernier forment dans le disque des sortes de grumeaux de poussières collées, qui croissent sous l’effet des forces de gravitation pour devenir des planétésimaux, puis des embryons de planètes telluriques. - Photo : Exemple de disque d’accrétion et de jet dans une protoétoile (ici HH30) tels que vus par le Télescope Spatial Hubble : le jet (en rouge) est émis perpendiculairement au disque d’accrétion, vu ici par la tranche (et qui apparaît comme une zone sombre entre deux lobes brillants, en bas de l’image, ©Burrows, STSci/ESA, WFPC2, NASA) -
Lorsqu’il
fait évoluer son
modèle sur son
ordinateur, Sean Raymond obtient une masse de Mars
dix fois trop importante. Il fait alors l'hypothèse que les planètes
se forment bien plus près du Soleil qu’elles ne le sont actuellement,
chacune "faisant le ménage" autour d'elle en prenant les
petits éléments
proches. Le disque proto-planétaire
se contracte (les planètes en formation "tombent" vers
le Soleil). Jupiter, formé à une distance de 2 à 4
UA (unité astronomique = la distance actuelle Terre-Soleil), migre
vers l’intérieur
jusqu’à une distance de 1,5 UA,
suivi de Saturne qui se forme et tombe plus tard à une
vitesse dix fois supérieure
tout en grossissant. Les planètes telluriques sont repoussées
dans un intervalle 0,7-1 UA, tandis que Jupiter et Saturne atteignent une
masse supérieure à la
moitié de
leur masse actuelle. Durant cette
migration vers le Soleil, un espace libre s'ouvre dans le disque
gazeux qui provoque un afflux de matière pour le combler.
Un
équilibre transitoire apparaît : les deux planètes gazeuses
entrent en résonance
orbitale 3:2, ce qui signifie que Jupiter fait trois tours pendant que
Saturne en fait deux autour du Soleil, provoquant une sorte d’onde
de choc qui les éjecte vers l’extérieur en même
temps que le disque se dissipe en un laps de temps de 100 000 à 500
000 ans. C’est ce que Sean Raymond appelle « le Grand Tack » (virement
de bord pour un voilier). Cette configuration permettrait d’expliquer
l’observation fréquente d’exoplanètes de la taille
de Jupiter ou plus grandes encore, très près de leur étoile.
Toutefois,
il faut encore que ce modèle soit cohérent avec
les autres éléments de notre système et notamment la
ceinture d’astéroïdes située entre les deux groupes
de planètes telluriques et gazeuses, et dont la masse totale actuelle
est mille fois moindre que celle de la Terre. Pour simplifier, cette ceinture
se divise actuellement en astéroïdes de type S (silice), situés
vers l’intérieur du système solaire, que Sean Raymond
qualifie de « secs » (anhydres) - figurés en rouge sur
les schémas
- et en astéroïdes
de type C (carbone), situés vers l’extérieur, des chondrites
carbonées
contenant de l’eau - en bleu sur les schémas -.
Les
astéroïdes
migrent aussi, sauf 10% éjectés
vers
l’extérieur. Après le « tack », les astéroïdes
S se placent à 2,8
UA,
tandis que les C, arrivés des
confins du système solaire en formation (5 à 7 UA) pendant
le recul de Jupiter et Saturne vers les positions qu'ils occupent maintenant,
s'installent
dans
la partie
externe de la ceinture. Toutefois, la modélisation indique une quantité dix
fois supérieure des astéroïdes S, qui est en concordance
avec les événements
ultérieurs supposés : une dispersion de ces astéroïdes
sur le long terme et surtout le Grand Bombardement Tardif (LHB, Late Heavy
Bombardment) qui se produira 600 millions
d'années plus tard.
Sean
Raymond ajoute une information complémentaire.
Dans les prémices
du système solaire, les planètes telluriques sont très
sèches car leur accrétion dans les 50 premiers millions d’années à partir
des poussières et gaz du disque s’est faite probablement à une
distance trop proche du Soleil pour pouvoir conserver de l’eau. Par
contre, l’hypothèse d’une contraction
du disque suivie d’une éjection des planètes gazeuses
vers l’extérieur
rend probable l’hypothèse d’une « livraison d’eau » par
les astéroïdes formés à une distance suffisamment
éloignée du Soleil pour conserver l'eau sous forme de glace.
L’ensemble
actuel des astéroïdes
contient encore près de 10 fois la quantité d’eau contenue
par la Terre et leur
masse globale était alors bien plus grande que maintenant. Lors de
ce LHB, les astéroïdes C ont été de nouveau projetés en direction
du Soleil et ont de nouveau "livré" de l'eau sur Terre. Le rapport D/H
(deutérium/hydrogène)
est effectivement similaire sur Terre et sur les astéroïdes C.
Le modèle montre une quantité supérieure
d'astéroïdes C franchissant la limite d'une unité astronomique
pour s'agglomérer
aux planètes
telluriques à celle qui demeure dans la ceinture d'astéroïdes.
Enfin, la migration vers l’extérieur de Jupiter et Saturne
explique la formation de Neptune et d’Uranus. Pendant longtemps, les
orbites des planètes géantes restent instables, les va et vient
se poursuivent, entraînant des collisions supplémentaires des
petits corps avec les planètes telluriques. Le modèle du Grand
Tack résout plusieurs problèmes, celui de la faible masse de
Mars, la composition des astéroïdes en deux groupes secs (à l’intérieur
de la ceinture) et humides (à l’extérieur) et la localisation
des grandes planètes gazeuses. Il y aurait donc eu de grandes migrations
des planètes dans le système solaire, ce qui est confirmé par
les observations d’exoplanètes et qui explique la présence
d’eau sur Terre. Si ce modèle est correct, il faut en conclure
que l’évolution du système solaire est particulière,
et qu’il est difficile de l’extrapoler pour en faire un modèle
général de système planétaire.
Distance actuelle de Jupiter : 5,2 UA et de Saturne : 9 UA par rapport au Soleil (UA : unité astronomique, distance de la Terre au Soleil)
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Société Française d'Exobiologie - Astronomie Côte Basque : Jean-Claude, Jean-Louis et Cathy | COLLOQUE D’EXOBIOLOGIE |
27 au 30 septembre 2010 |