Je suis allée récemment à une soirée de conférences fort intéressantes, organisée à Hendaye par le CPIE Littoral basque en commémoration de la convention de Ramsar du 2 février 1971 sur la protection des zones humides. J'ai pourtant souvenir d'avoir partagé avec les autres auditeurs une certaine frustration et un sentiment de manque, non pas en ce qui concerne la qualité des intervenants, très compétents, mais plutôt à cause de l'absence de réponse à des questions que nous leur avons posées. L'ornithologue de la 'Sociedad de Ciencias Aranzadi' de Saint Sébastien se bornait à baguer et étudier les moeurs des oiseaux lors de leur passage sur la réserve de la baie de Txingudi, à l'embouchure de la Bidassoa, sans aucunement se préoccuper de connaître l'influence de la très forte modification de leur environnement en l'espace d'à peine deux siècles, ni celle de la présence humaine de plus en plus envahissante. Evoquant le projet contesté d'agrandissement de l'aéroport de Fontarrabie, une personne du public l'a vainement interrogé sur les nuisances sonores et leurs éventuelles conséquences sur l'absence ou le faible nombre de certains migrateurs ou oiseaux sédentaires.

Quant à Didier Rihouey, chercheur en génie côtier de la Casagec, bien qu'il nous ait montré des cartes et de nombreux schémas mettant en évidence le bouleversement du cours de la rivière et de son embouchure, il a refusé de porter un jugement sur l'emprise croissante des habitations et zones d'activité sur les berges, ainsi que sur l'aménagement du port. Il prenait simplement acte de l'artificialisation du cours d'eau et en étudiait le nouveau comportement pour que les pouvoirs publics puissent ensuite décider quelle mesure prendre pour lutter contre le risque d'inondation. Son rôle n'était pas, nous a-t-il dit, de prôner un désengagement et une libération des berges. Il pensait que la mesure la plus probable qui serait prise serait un dragage plus prononcé du lit. Pourtant, un des auditeurs paraissant bien au fait du sujet a mis en doute l'efficacité de cette solution, car, selon lui, le problème ne vient pas de l'amont, mais de l'aval, c'est à dire des marées et des vagues poussées par les vents d'ouest en tempête...

Il n'en est pas de même avec Dimitri Marguerat qui a une autre démarche. Loin de nous plonger dans une admiration béate de la nature, il a toujours le souci de montrer les incidences de notre mode de vie sur l'environnement. Aujourd'hui, il nous emmène sur un site profondément altéré, bien qu'il ait été répertorié en Z.N.I.E.F.F. (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique) sous la dénomination de « Landes d’Eltzarruze » depuis 1997. Il est situé à faible distance des grottes d'Isturits, Oxocelhaya et Erberua classées, elles, dès 1953 aux monuments historiques. Tandis que nous observons une buse qui se prend pour un circaëte et fait un parfait sur-place, le bec face au vent, il nous explique que nous venons de nous garer à l'entrée d'une propriété qu'il connaît bien et où il est venu faire une conférence. Chaque année, depuis 20 ans, il s'y déroule une manifestation festive organisée par l'association Eltzarruze qui s’est constituée afin de protéger les massifs calcaires d’Eltzarruze-Atxapuru-Lerdatze (communes de Saint-Esteben, Saint-Martin d’Arbéroue) de la réalisation d'un projet d’installation de carrière à gros débit. En fait, il y a déjà eu une carrière à la base de cette grande colline, dont nous pouvons voir les vestiges de surfaces parfaitement lissées et planes, aussi bien au sol que sur une paroi rocheuse, mais elle était artisanale et elle paraît avoir été abandonnée depuis des lustres car la végétation a repris ses droits. La société Durruty veut lui donner une toute autre envergure pour en extraire des granulats et approvisionner son autre branche d'activité de travaux publics.

Il est vrai que chacun apprécie des routes bien entretenues et qui desservent les moindres recoins de France et (en l'occurence) de (Basse) Navarre. Mais personne n'est prêt à subir les nuisances extrêmes occasionnées par les tirs de mine, la circulation des camions, la pollution par la poussière et les produits (huiles de vidange, gas-oil, huile de vérin, etc.) qui risquent de s'infiltrer par les fissures et pénétrer dans le sol jusqu'à la nappe phréatique. C'est ce dernier argument qui a été mis en avant, car le massif calcaire fait office de château d'eau et sa source principale d’Uhaldegaraya captée par le S.I.A.E.P. de l’Arbéroue alimente onze communes environnantes : Ayherre, Orègue, Labastide-Clairence, Isturitz, Saint-Martin d’Arbéroue, Saint-Esteben, Méharin, Armendarits, Urt, Beyrie-sur-Joyeuse et Briscous. Tous ces villages ne représentent pas beaucoup de personnes, mais le projet a tout de même été suspendu. Toutefois, malgré le temps écoulé, l'association demeure vigilante car, à l'égard de ce massif à double appartenance (St Martin d'Arberoue et St Esteben), une mairie est plutôt pour le projet, et l'autre contre, et si pour le moment le statut quo est observé, les habitants ne sont pas à l'abri d'un changement de municipalité qui entraînerait une nouvelle volonté politique.

Dimitri nous apprend que la situation particulière de ce massif de plaine, calcaire (et donc au sol sec et pas acide), situé en avant de la chaîne pyrénéenne, induit la présence d'une végétation originale de type méditerranéen, représentée par l'emblématique 'carline en corymbe' qui ressemble à un chardon à fleur jaune qui s'épanouit en été. Il s'élève non loin d'un autre massif proche d'Hasparren, l'Ursuya, dont les roches métamorphiques très anciennes, principalement gneiss et quartzites, remontent au Précambrien (cela fait 1 à 0,6 milliard d'années). Elles faisaient partie du noyau central d´une chaîne primitive de montagnes située dans le microcontinent armoricain, une plaque tectonique indépendante coincée à cette époque entre les continents de Laurasie et du Gondwana (en bleu sur la carte). En revanche, les roches de l'Eltzarruze ne remontent "qu'à" 120 millions d'années. C'était le Crétacé, un climat tropical favorisait la multiplication de coraux en longues barrières Est-Ouest dans les eaux chaudes peu profondes qui recouvraient cette région. Avec le temps et les phénomènes géologiques, ils se sont convertis en calcaire urgonien qui s'élève en de nombreux endroits du Pays basque. Un peu plus au Sud s'étendait à l'époque un vaste delta où demeurent imprimées dans les roches de la Rioja les traces des dinosaures qui régnaient alors sans partage sur la Terre, comme l'iguanodon ou le baryonix aux mâchoires de crocodile. - Carte : La position des continents au Trias supérieur. L’existence de la Pangée, vaste aire continentale constituée de la Laurasie et du Gondwana, explique la relative uniformité des faunes de dinosaures de cette époque. Des restes de Platéosauridés (Dinosaures Prosauropodes) ont été récoltés en Europe (Allemagne. France. Suisse), en Afrique (Afrique du Sud), en Amérique du Sud (Argentine), en Amérique du Nord (Etats-Unis Connecticut), en Asie (Chine: Yunnan). -

Un milan royal plane au-dessus de nous. Les curieuses fleurs de l'hellébore (qui me semble être de l'hellébore vert, cousin de l'hellébore noir ou rose de Noël) s'épanouissent malgré le ciel gris et une température encore fraîche d'environ 12°C. Cette sous-espèce 'occidentalis' se rencontre çà et là depuis les Îles Britanniques, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne et la France, jusqu’en Espagne. Dans les Pyrénées et les Monts Cantabriques, on la rencontre jusqu’à 1800 m d’altitude. Il a été pendant longtemps cultivé comme plante médicinale et vétérinaire dans les jardins et les monastères : la poudre du rhizome est dotée de propriétés sternutatoires; l'elléboréïne est un cardio-tonique; l'elléborine agit comme drastique et narcotique, émétique et emménagogue; autrefois utilisée comme cardio-tonique, émétique, purgatif, vermifuge, cette espèce est aujourd'hui pratiquement inemployée à cause de sa toxicité. Les graines pourvues d’un éléosome sont dispersées par les fourmis et la plante s’est ainsi progressivement naturalisée sur une aire de plus en plus grande. Les limites de sa distribution naturelle ne sont pas connues avec certitude. Elle n’est peut-être réellement indigène que dans la partie méridionale de sa distribution : Pyrénées et nord de l’Espagne. - Photos : Un pied d'hellébore vert et sa fleur. -

De nombreuses graines de plantes à fleurs possèdent une excroissance charnue, provenant d'une partie du tégument, l'éléosome ou élaïosome, très riche en graisses et en hydrates de carbone et dont les fourmis raffolent. Lorsqu'une fourmi trouve ce genre de graine, elle emporte vers son nid l'éléosome et bien sûr, la graine qui y est attachée. Après un certain temps, l'éléosome se détache de la graine qui reste sur place, mais qui a été entraînée suffisamment loin de la plante mère pour lui permettre de pousser sans compétition. Si la fourmi a réussi à l'amener jusqu'à la fourmilière, l'éléosome est consommé, et les fourmis rejettent les graines ainsi récoltées dans un "dépotoir" hors du nid. - Je comprends maintenant pourquoi sur les innombrables fourmilières du poljé de Lahondo, entre Zaboze et Belchou, poussait une végétation si particulière. -

On peut donc classer l'hellébore parmi les quelque 500 'myrmécophiles' sur les 300.000 espèces de plantes à fleurs existantes. Elles vivent en véritable symbiose avec des colonies de fourmis puisque chaque partenaire de cette liaison en tire un bénéfice. Les fourmis reçoivent généralement de la plante un abri ou de la nourriture, tandis que la plante est protégée par les fourmis contre des herbivores ou même contre d'autres plantes. Les plantes myrmécophiles se trouvent sur tous les continents, surtout dans les tropiques. Il y a des fougères myrmécophiles, des arbres myrmécophiles, des palmiers, des aracées et même des orchidées myrmécophiles. La relation de coopération entre les plantes et les fourmis est donc apparue plusieurs fois au cours de l'évolution. Il s'agit le plus souvent d'un lien fixe entre une espèce végétale et une espèce de fourmi. - Photo : Il existe en France 275 espèces de plantes qui ont besoin ou peuvent utiliser des fourmis pour disperser leurs graines, les plus courantes étant les violettes et la chélidoine. -

Si ces relations inter-spécifiques sont relativement visibles, comme celles avec des oiseaux ou des mammifères à l'égard des fruits, celles qui s'effectuent dans le sol entre les racines et des champignons ou des bactéries sont bien moins faciles à repérer. Je retire de ces observations qu'il nous faut parvenir à avoir une représentation moins manichéenne du vivant : chaque espèce, loin de se développer isolément dans une bulle, évolue au sein d'un véritable réseau d'interdépendances réciproques. C'est vrai pour l'hellébore et sa fourmilière, mais c'est aussi le cas des humains, et a fortiori des plantes qu'ils cultivent et des animaux qu'ils élèvent. Nous avons importé la majeure partie des espèces qui nous nourrissent et nous les traitons "en éprouvettes" comme des expériences de laboratoire. Comment pourraient-elles instaurer les relations indispensables à leur bon équilibre ? S'imaginer qu'en triturant et manipulant leur ADN et en leur inoculant des produits chimiques elles acquerront les résistances nécessaires à leur développement harmonieux me semble parfaitement irréaliste et utopique. J'en reviens à mes primevères, sauvages ou semées naturellement à partir de fleurs du voisinage, qui poussent en ce moment dans le jardin. Chaque année, elles gagnent davantage d'espace et se répandent pour mon plus grand plaisir, alors que celles de ma collègue de l'atelier botanique de l'UTLA, achetées en jardinerie, se font invariablement dévorer par les escargots et les limaces. Je pense que ce simple exemple donne matière à réflexion.

La fragile hépatique trilobée offre selon son humeur de fines fleurs blanches, mauves ou roses. Son nom provient de la forme de sa feuille dont les nervures violacées sur l'envers évoqueraient le réseau de vaisseaux sanguins d'un foie. Soudain retentit le tambourinement caractéristique du pic épeiche. C'est ainsi qu'il communique pour marquer son territoire. Précoce, il s'y prend dès février et souvent en avril, ou juin au plus tard, la reproduction est déjà assurée. Dimitri nous explique que le trou qu'il a creusé pour nicher, bien circulaire, s'appelle une loge, et il a la forme coudée d'une chaussette à l'envers. La femelle pond directement sur les copeaux de bois au fond et se trouve coincée dans un volume si exigu qu'elle a la tête et la queue tordues et dressées vers le haut. Les quatre à sept petits doivent avoir du mal à s'y supporter quand ils grandissent. Comme pour beaucoup d'espèces, sa population dépend directement du nombre d'arbres morts laissés en place. Les loges peuvent servir plusieurs années de suite, et sont aussi prisées par un tout petit oiseau, la sitelle torchepot. C'est le seul oiseau européen capable de circuler sur les troncs des arbres la tête en bas. Son nom provient de la façon dont elle réduit l'ouverture du trou en apportant jusqu'à 5 kgs de terre pour fabriquer une maçonnerie en torchis. - Photo : Un arbre mort percé de plusieurs loges de pic épeiche. -

- Une étude intéressante a été faite à l'issue d'une photo prise par Daniel Magnin et Jean-Luc Potiron en juin 2009 en Bretagne montrant une Sittelle torchepot qui nourrissait un jeune Pic épeiche. Elle tente de répertorier tous les cas de figure qui peuvent amener une espèce à nourrir les petits d'une autre espèce. Il y a deux facteurs qui m'ont intéressée : d'une part, l'instinct est tellement fort que si deux espèces nichent l'une à côté de l'autre et qu'une couvée naît avant l'autre, les cris des petits sont irrésistibles pour le mâle dont la femelle est encore en train de couver et l'entraînent souvent à "aider" les autres parents à les nourrir, même parfois après la naissance des siens propres. D'autre part, certaines espèces ne sont pas capables de reconnaître individuellement leurs petits avant qu'ils ne soient prêts à s'envoler. Effectivement, s'ils sont blottis au fond d'une loge dans le noir, et que les parents ne voient que des becs grand ouverts, il n'y a pas vraiment d'utilité à ce qu'ils développent cette aptitude. - Photos : Un arbre frappé par la foudre (?) et dont une branche retournée vers l'intérieur fait penser à un col de cygne. -

Nous traversons une très ancienne châtaigneraie dont un des arbres a été incendié à coeur, peut-être a-t-il été frappé par la foudre. De nombreuses branches sont mortes et je ne vois pas de jeunes arbres alentour pour assurer le renouvellement du bosquet. Le tronc bas très épais surmonté d'un faisceau de grosses branches donne l'impression qu'ils étaient autrefois traités en "têtards", et que les branches servaient tout autant pour produire des châtaignes que pour assurer le bois d'oeuvre ou de chauffe. Cette pratique était appréciée de la chouette chevêche qui a besoin de nicher à portée des insectes et petits mammifères dont elle se nourrit. Cet oiseau lié au paysage rural traditionnel est victime de la destruction de son habitat (abattage des arbres, disparition des prairies, des vergers et des haies), de la diminution de la quantité de ses proies (notamment des gros insectes) par l'utilisation intensive des pesticides. La culture du maïs lui a beaucoup porté tort, et sa présence est ainsi bien moindre en Béarn qu'en Pays basque, remarque Dimitri. Sur le sentier, de curieux tortillons attirent notre attention. Situés juste à la sortie d'un trou, il s'agit des excréments des lombrics (vers de terre) appelés turricules, constitués de terre rendu stérile après le passage par leur tube digestif qui en a extrait tous les sels minéraux et les matières nutritives. - Photos : Turricule de lombric - Ficaire. -

Le temps se gâte, ce qui ne gêne pas les vautours fauves mais fait "rétro-migrer" un petit vol de grives vers le Sud. Les ficaires commencent à s'épanouir entre les feuilles mortes de châtaigniers et les bogues brunes, ce qui montre bien l'erreur de jugement des jardiniers qui pensent que ce tapis brun empêche les plantes de pousser. Ce qui est vrai par contre, c'est que ces feuilles mettent du temps à se décomposer. Le châtaignier attend 20 à 25 ans pour fructifier à partir d'un semis de graines fraîches à l'automne. Par contre, si l'on procède par marcottage ou greffage de rejets, ce délai se réduit à 5-6 ans. Si je lis bien les informations fournies par ce site très documenté (en lien), les maladies qui ont considérablement réduit la population de châtaigniers ont surtout sévi sur les plantations en monoculture, alors que les arbres disséminés dans une forêt de feuillus ont mieux résisté. Depuis des siècles, nos monocultures sont tour à tour décimées par des maladies, frappées de faiblesse face aux intempéries, froid, sécheresse, vent, et pourtant nous persistons dans nos pratiques. La pomme de terre, la vigne, le pin, le ver à soie, la volaille, le bétail, le châtaignier et tant d'autres ont péri pour avoir poussé sans l'effet protecteur de la biodiversité que nous ne cessons de réduire. Comment se fait-il que l'expérience ne porte pas ses fruits ?

Nous observons avec curiosité une énorme excroissance sur un des troncs encore bien vivant. Dimitri nous rapporte que la revue La Hulotte a fait appel à ses lecteurs pour rassembler des photos de ces curiosités de la nature, et le succès a été tel qu'elle présente régulièrement des expositions des silhouettes végétales les plus spectaculaires. Ces espèces de tumeurs se nomment des broussins si leur surface est rugueuse et des loupes si elle est lisse. - Photos : Un très vieux châtaignier et un broussin au niveau de la taille d'un châtaignier en têtard. -

Les broussins sont formés de bois aux fibres enchevêtrées en tous sens entourant des petites taches foncées qui proviennent de bourgeons arrêtés en cours de développement. On constate la présence de nombreux broussins dans le bouleau de Norvège où des froids brutaux peuvent arrêter brusquement le développement déjà commencé de bourgeons adventifs. Mais des broussins peuvent aussi se former dans une zone irritée : chocs répétés, taille ou élagage, incendies de forêts renouvelés, peut-être attaque de certains insectes. Les loupes sont en quelque sorte des tumeurs végétales, parfois très importantes, provenant d'une activité désordonnée du cambium. Les traumatismes répétés, la taille (arbres exploités en têtard), des irritations locales comme les morsures de rongeurs, des attaques d'insectes ou de champignons peuvent être à l'origine des loupes. Le bois des broussins et des loupes a longtemps été utilisé pour son aspect décoratif.

Un grimpereau des jardins émet un chant suraigu et se déplace sur les troncs à la verticale, en évitant ceux qui sont couverts de lierre. A ce propos, Dimitri nous rappelle à quel point cette liane de nos pays tempérés est utile : elle héberge, nourrit, abrite une foule d'insectes et d'oiseaux. Contrairement aux idées reçues, le lierre n'est pas un parasite et n'étouffe pas l'arbre qui lui sert de support car il pousse généralement tout droit, à la différence de la glycine et du chèvrefeuille qui peuvent arriver à en déformer et retarder la croissance. Deux fauvettes à tête noire poussent des cris brefs qui ressemblent aux chocs de deux galets l'un contre l'autre, un rouge-gorge volette de ci, de là. Le nom latin de la grive draine, Turdus viscivorus, reflète sa prédilection pour les baies du gui, bien qu'elle se nourrisse également d'insectes et de vers. - Photo : Le mont Eltzarruze dénudé par les brûlis. -

L'Eltzarruze se dresse maintenant devant nous, dévasté par l'incendie provoqué par les éleveurs de brebis. Ici, les arbres qui bordent l'allée où nous cheminons exposent leurs cicatrices noires et leurs silhouettes martyrisées. Dimitri nous explique que les éleveurs procédaient autrefois à l'arrachage de la végétation et de la couche superficielle de l'humus au moyen d'une "écobue", outil proche de la houe. Réunis en petits tas, les buissons étaient incinérés et la cendre épandue sur les terrains afin de les enrichir en éléments nutritifs. Cette pratique coûteuse en main d'oeuvre, mais qui faisait moins de dégâts, a progressivement disparu au profit du simple brûlis des plantes sur pied. Voici une liste non exhaustive des problèmes que cela pose. Il gêne la protection et le repeuplement du gibier, il peut porter atteinte au maintien de l'équilibre biologique, il dégrade les sols et peut dégénérer en incendie. En outre, il engendre une pollution par émission de dioxines et de divers goudrons et il faut attendre un temps minimum avant de laisser paître le bétail de crainte de retrouver ces polluants organiques dans la viande ou le lait. Les apiculteurs de montagne notent une diminution de la diversité de fleurs dans les zones "écobuées". Bien que l'étymologie du nom "Pyrénées" soit soumise à diverses interprétations, elle pourrait signifier "montagnes en feu" selon un récit de Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.), mais les brûlis se pratiquent depuis le début du néolithique en Europe. - Photos : Arbres et escargots carbonisés par les brûlis. -

Une corneille crie bizarrement en imitant un son qu'elle a entendu par ailleurs. Les noisetiers et les saules arborent leurs chatons duveteux qui captent la lumière ténue filtrée par les nuages. Voici la fameuse prairie naturelle qui a permis la classification du massif en ZNIEFF. Dimitri remarque qu'il y pousse des myriades d'orchidées, malheureusement broutées par les brebis dès qu'elles dressent le moindre brin hors de terre. Pour le moment, la timarche profite de la trêve hivernale pour se nourrir de gaillet et se reproduire précocement. De la famille des chrysomèles, il s'agit d'une femelle car ses pattes avant ne possèdent pas les coussinets en ventouse dont le mâle se sert pour s'arrimer aux élytres de sa partenaire lors de l'accouplement. Ce coléoptère est aussi appelé "Crache-sang", car lorsqu'il est en danger, il sécrète une substance rouge destinée à décourager l'agresseur. Sur le site de l'ANCA (Les Amis Naturalistes des Coteaux d'Avron), de la région parisienne, se trouve la description de cette prairie très particulière. - Photos : Timarche femelle (ci-dessus) - Ver luisant femelle (à gauche et ci-dessous). -

Ce type de pelouse aride s'apparente aux pelouses sur calcaires durs comme certaines des grands Causses. On les appelle donc pelouses calcaro-marneuses. Par raccourci on les nomment aussi pelouses à brome du nom de la graminée vert jaune qui domine souvent la végétation mais ce n'est pas une plante exclusive à ces milieux de marnes. Chimiquement les marnes sont proches des sols calcaires mais en tant qu'argiles elles possèdent deux caractéristiques physiques importantes.

1) Elle se gorgent d'eau et deviennent alors souples et malléables. Ainsi l'hiver ces pelouses deviennent détrempées et parfois marécageuse, la marne verte favorise ce phénomène et on y voit alors des plantes de marécages comme la pulicaire, la prêle, les roseaux, les carex, les joncs et les saules cendrés, marsault et blancs.
2) Avec la sécheresse de l'été ces marnes se fendillent et se fragmentent, elles se fissurent et le sol se déchire sur les pentes avec la pelouse qui est dessus. Les plantes souffrent alors énormément de la dessiccation, les arbres notamment sont souvent peu adaptés à ce régime ce qui pérennise la pelouse. Les marnes blanches naturellement stratifiées en couches horizontales deviennent fragmentées en morceaux presque carrés. Le gel produit également le même résultat lorsque les marnes détrempées sont très exposées au vents froids : c'est la gélifraction.

Lorsque les marnes sont très fragmentées en morceaux, l'eau s'y écoule facilement durant les pluies d'été. Ces pelouses s'apparentent alors énormément aux pelouses rocailleuses calcaires (rendzines) à sols très superficiels où s'implantent surtout des plantes à bulbes comme les orchidées (Orchis pyramidal, Orchis bouc) ou épineuses comme le chardon carline ou la bugrane épineuse. Néanmoins l'absence de plantes basses ligneuses (serpolet, hélianthème, germandrée) continue de les en différencier.

Un vert luisant, ou lampyre, se déplace sur le sentier. C'est aussi une imago femelle (c'est à dire le dernier stade de l'insecte, auquel il se reproduit) dont la forme est très voisine de la larve. Sa luminescence est émise par une vésicule située à l'extrémité de sa face ventrale. Incapable de voler, c'est le moyen qu'elle utilise pour qu'un mâle, pourvu d'ailes, puisse la découvrir au milieu de la végétation. Le site en lien donne des informations détaillées sur ses particularités dont je retiens quelques traits saillants. "Comme la coccinelle c'est un Coléoptère, et comme elle c'est un redoutable prédateur... d'escargots, qu'il anesthésie avant de les consommer. Ils seraient, éventuellement, susceptibles de "récupérer", à condition que le Lampyre n'ait pas déjà commencé sa digestion extra orale, c'est à dire qu'il liquéfie littéralement les tissus de sa victime à l'aide d'enzymes digestives avant de les absorber. - Photos : La prairie naturelle d'Eltzarruze. Le tarier-pâtre. -

L'anesthésie est si efficace, et si subtilement instillée, que les quelques morsures infligées ne provoquent aucune réaction de défense de la part de la victime (rétraction dans la coquille, ou émission de mucus par exemple). Cette technique se distingue de celle de nombreux Hyménoptères qui paralysent leurs proies, le plus souvent en vue d'assurer la subsistance de leur descendance. Cette paralysie est cependant irréversible, et elle résulte d'un coup d'aiguillon qui atteint directement les centres nerveux de la victime. Quant à sa bioluminescence, elle est peu banale car il s'agit d'une lumière dite froide c'est à dire qu'elle dégage très peu de chaleur. Elle résulte de l'oxydation enzymatique de la luciférine, contenue en forte concentration dans ces cellules. Par une réaction en présence d’oxygène et d'une enzyme, la luciférase, elle aboutit à la formation d'oxyluciférine et à l'émission de photons qui produisent une lumière verdâtre, bleue, jaune ou rouge selon les espèces en émettant seulement 5 % de chaleur pour 95 % de lumière. La luciférine a été découverte chez plus de 300 espèces capables de bioluminescence. En contrepartie, les yeux des mâles sont énormes, bien plus hypertrophiés que ceux des rapaces nocturnes par exemple, toutes proportions gardées. Là encore le lampyre diffère des autres insectes dont l'émission de phéromones sexuelles spécifiques prévaut le plus souvent dans le rapprochement des sexes." - Photo : Aven et broussins de châtaignier. -

Nous poursuivons l'ascension de l'Eltzarruze dans un décor apocalyptique de plantes dévorées par le feu sur notre gauche, alors que la nature est demeurée préservée à notre droite grâce au chemin qui a fait barrage aux flammes. La vie, bien sûr, ne s'exprime que de ce côté, et nous observons voleter à découvert le petit tarier pâtre et un accenteur mouchet aux cris suraigus difficilement audibles, tous deux de la taille d'un rouge-gorge. Dimitri repère sur une roche des fossiles qui nous rappellent ceux du Béhorléguy où, après quelques recherches, j'avais pu voir qu'il pouvait s'agir de palourdes et d'huîtres très répandues à cette époque. Toutefois, celles-ci ressemblent tout bonnement à de grosses moules espagnoles - en pierre, toutefois - ! Nous pique-niquons assis sur un tronc, emmitouflés dans nos capes pour nous abriter de la bruine fine qui sourd par intermittence des nuages lourds, mais mobiles. A proximité, un gros arbre tout boursouflé à la base tient miraculeusement au bord d'un précipice qui s'ouvre dans le versant. C'est un aven, courant dans tout massif karstique, gardé par quelques rangs de barbelés, de peur que des brebis n'y tombent par inadvertance. Sur les parois verticales s'accrochent des plantes d'un vert cru dégoulinantes d'une eau qui semble suinter de la roche même et poursuit son travail de sape de longue haleine, dissolvant le calcaire par des voies tortueuses jusqu'à des profondeurs inconnues. - Photo : Terrier de blaireau. -

Pour clore cette balade, Dimitri nous a ménagé une surprise. Il nous emmène dans un village pour une "Rencontre du 3ème type" d'un nouveau genre : il ne s'agit pas d'un OVNI mais des résidences permanentes d'une communauté de... blaireaux ! Nous marchons à travers une lande de fougères, puis traversons un nouveau bosquet de châtaigniers, empruntons un sentier qui nous mène vers le haut d'une colline, puis coupons par le travers, tandis que Dimitri ne cesse de nous faire des recommandations : Gare aux chevilles ! En effet, la montagne est toute boursouflée d'énormes monticules de terre jonchés de fougères fanées qui occultent en partie des orifices de taille impressionnante creusés un peu partout. Il doit y en avoir de trente à cinquante ! Il était passé une première fois sans les voir, et c'est en observant ce versant à la jumelle depuis le sommet de l'Eltzarruze qu'il les a aperçus, à un moment où il était dépourvu de végétation et les trous sombres bien apparents, par contraste. Les blaireaux sont invisibles, puisqu'il s'agit d'animaux de moeurs nocturnes, et ils doivent dormir profondément car, malgré nos exclamations, pas un ne vient pointer son museau. Heureusement, peut-être, car il paraît que leurs morsures, lorsqu'un chat ou un chien vient à s'égarer dans le conduit, excité par l'odeur, sont particulièrement cruelles, emportant des pans entiers de truffes poilues. - Photo : Empreinte de patte de renard. -

Ce n'est pas que leur régime soit particulièrement carné. Ils apprécient les châtaignes et surtout les vers de terre qui forment la base de leur alimentation. Dimitri brandit deux crânes sortis de son sac à trésors et compare la dentition d'un blaireau à celle du renard dont nous venons de voir une trace toute fraîche sur le sentier boueux. Il nous montre les molaires, celles du blaireau qui se rapprochent des nôtres, adaptées à une alimentation diversifiée, mais conservent encore des caractéristiques de carnivore, et celles du renard, aptes à couper et déchiqueter. Il actionne les mâchoires et nous en montre l'occlusion, simultanée pour le blaireau (c'est à dire que toutes les dents sont en contact en même temps) et progressive chez le renard (car elles fonctionnent comme une paire de ciseaux, avec les dents du fond de la gueule qui amorcent l'oeuvre de cisaillement avec plus de puissance qu'à l'extrémité avec les canines et les incisives). Lorsque nous étions près de l'empreinte du renard, il avait posé à côté des moulages d'empreinte de renard et de blaireau pour nous faire apprécier la longueur et la puissance des ongles du blaireau dont les pattes avant sont les seules de tous les mammifères à être aussi développées pour creuser son terrier, et l'emplacement des phalanges par rapport aux coussinets. - Photo : Crânes de renard et de blaireau. -

Il évoque à ce propos le critère de la vitesse : les animaux les plus rapides courent sur leurs ongles (les onguligrades), chevaux, antilopes, ensuite viennent ceux qui courent sur leurs doigts (les digitigrades), chats, chiens, carnivores, les plantigrades, comme les blaireaux, les ours... et les humains, étant classés très loin derrière. Accessoirement, il nous apprend que la baleine conserve des vestiges dans son squelette qui montrent qu'elle est cousine d'un ancêtre de la vache (ou du cochon) ! En redescendant, nous examinons la structure du fragon, ou petit houx, qui, malgré les apparences, ne possède pas de feuille. La meilleure preuve, c'est que la fleur, et ensuite le fruit, est fixée à une pseudo-feuille ou cladode qui est une portion de tige aplatie, comme pour les asperges qui appartiennent à la même famille. Une foule bruyante arrive en criant et nous la cherchons de toute part sans la voir : c'est un vol de grues qui surgissent comme des fantômes des nuages et discutent en continu, ce qui ne les empêche pas d'avancer à un bon rythme. Alors que nous sommes presque rendus aux voitures, nous passons devant une jolie résurgence qui jaillit d'une petite grotte et s'écoule en glougloutant au milieu des fleurettes et de l'herbe bien verte. La première cardamine des prés de la saison courbe joliment ses clochettes blanches alourdies de gouttelettes de pluie scintillantes. - Photos : Fragon, fleur et baie. -

Réaction de Jean-Louis B.

Milesker pour ce compte-rendu (où l'on voit qu'il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir..). En marge, je cite La Fontaine : Le lièvre donne ce conseil à la tortue qui veut parier avec lui qu'elle arrivera le première :

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Stiôt que moi ce but.
Sitôt, êtes-vous sage, repartit l'animal léger,
Ma commère il vous faut purger
Avec quatre grains d'hellébore
(...)
Non pas comme purge pour lui faire gagner de la vitesse, mais comme médication pour qu'elle recouvre toute sa raison.

SOMMAIRE  




Dimitri Marguerat, naturaliste, avec un groupe
Eltzarruze
26 février 2011