Cathy et Jean-Louis
Ibanteli
18 août 2013

ibanteliAu Pays basque, il faut être opportuniste : dès qu'il fait beau, il faut en profiter pour marcher dans la nature et respirer le bon air, comme disait ma grand-mère. Samedi, nous étions au lac Irabia à Iraty, ce dimanche, nous irons moins loin et partirons de ce fait moins tôt. Nous choisissons de nous promener sur l'Ibanteli, une petite montagne de la commune de Sare sur un flanc de la Rhune. Le départ se trouve au confluent de deux ruisseaux dans un fond de vallon en clairière éclaboussé de lumière. Après une montée en sous-bois bien sympathique, accompagnés par le son rafraîchissant des cascades en contrebas, nous nous trouvons à une croisée de chemins. Sur une aire dégagée, un énorme chêne-têtard a été abattu. Pourtant, aucune crevasse n'apparaît à la base des branches énormes qui jaillissaient de son tronc. Il semble qu'il était parfaitement sain et ne pâtissait d'aucune maladie avant d'être attaqué par les dents de la scie. Devant nous se trouvent une piste carrossable probablement fréquentée par les chasseurs de palombes, le sentier balisé et une piste forestière. C'est cette dernière que nous empruntons jusqu'à ce qu'elle s'interrompe brusquement. Nous rejoindrons alors le sentier en crapahutant à travers la forêt vers l'amont, enjambant ou contournant les branchages qui jonchent le sol et les rochers moussus et glissants cachés sous les feuilles mortes. - Photo : Chêne têtard abattu. -

ibanteliQue représente ce tableau de Jean-Baptiste Camille Corot peint à Ville d'Avray vers 1867-1870 ? Probablement, étant donné son emplacement en bordure d'un étang et la légèreté de son feuillage clair, un saule-têtard. Pourquoi têtard ? Selon le très joli site "Haies vives" dont je tire les informations suivantes, c'est parce que le tronc d'où ne partent que de fins rameaux présente un renflement caractéristique à mi-hauteur, dû à des coupes régulières de ses branches. Spectacle fréquent autrefois dans le Nord de la France, il avait son pendant au Sud-Ouest qui lui préférait toutefois le platane dont le bois a une combustion particulièrement propre. Taillé à environ 2 ou 3 m de hauteur tous les trois ans ou six ans, il fournissait des branches aisément manipulables, avec le bon diamètre pour alimenter un poêle à bois. Cette technique permettait d'optimiser la production de bois de chauffage pour un minimum de surface. Les arbres ayant un système racinaire déjà en place, la croissance des branches était rapide après la coupe, réalisée en hiver, et le sol n'était pas dégradé par des coupes franches. - Photo : Saule-têtard sur un tableau de Jean-Baptiste Camille Corot. -

ibanteliPresque toutes les essences de feuillus se prêtent à la formation en têtard, les plus couramment utilisées étant le saule blanc, le charme commun, le chêne pédonculé et le chêne sessile, le peuplier noir, l'orme champêtre, l'orme lisse et l'orme de montagne, le frêne, l'érable champêtre ou le platane. ibanteliUn peu moins courants étaient les têtards d'érable sycomore, de hêtre, de châtaignier, d'aulne, de tilleul ou encore de houx. Chez les résineux, seul le pin sylvestre était taillé ainsi. L’arbre têtard (à la tête disproportionnée) était connu sous divers noms, comme truisse, chapoule, ragosse (en Bretagne, notamment dans le pays rennais), trognard (Sologne), trogne (Perche et Anjou), Les repousses étaient vouées à devenir des objets ou outils divers selon les régions, les époques et les essences d’arbres : vannerie, fagots de boulange (dégageant une chaleur intense et rapide pour le four), charbon de bois, fourrage d'appoint avec l’érussage du feuillage (orme, frêne) ou la consommation des fruits pour l'engraissement des porcs (chêne, châtaignier, hêtre), manches d’outils, piquets. L’arbre lui-même servait parfois de borne aux croisées de chemins. Il fournissait le bois nécessaire à la vie de tous les jours là où la forêt n'existait plus ou quand son accès était impossible. On exploitait aussi parfois les arbres en têtard pour des utilisations industrielles liées à la métallurgie ou la verrerie. - Photos : Dans ce tableau des Très Riches Heures du Duc de Berry, des arbres-têtards forment une haie autour du champ de blé mêlé à des coquelicots et d'autres fleurs (ils n'avaient pas encore inventé les désherbants sélectifs) . - Détail de la photo ci-dessous : Taille des repousses d'un arbre-têtard. -

ibanteliLes enluminures montrent des saules exploités pour la vannerie, pour la réalisation de haies sèches ou de potagers en carré. Tout au long de l'histoire, des artistes (Bruegel, Monet…) ont transmis des représentations d'arbres d'émonde. Ils faisaient partie intégrante des paysages agrestes et formaient l'environnement quotidien du monde rural jusqu'à la révolution agricole qui a suivi la deuxième guerre mondiale. C'est à cette époque que l'on a commencé à pratiquer les remembrements à grande échelle, point de départ de la disparition massive des arbres d'émonde. ibanteliEn quelques années, des millions d'arbres, mais aussi des dizaines de milliers de kilomètres de haies et de talus ont été sacrifiés, avec pour conséquence un véritable désastre écologique dans certaines régions. Mais les remembrements ne sont pas les seuls responsables de cette lente disparition des arbres d'émonde, le manque d'entretien et surtout le désintérêt général pour la protection du patrimoine arboré contribuent à accélérer la disparition de ce qui fut naguère une ressource de proximité d'un intérêt majeur. - Illustration : Pieter Bruegel l'Ancien, Jour sombre, Série sur les saisons, 1565. - Enluminure : Initiale Q, moines bûcherons, Saint Grégoire le Grand. Moralia in Job. Cîteaux, début du 12e siècle. -

ibanteliAu Pays basque, il y avait surtout des chênes-têtards, qui permettaient d'utiliser la surface de terrain entre les arbres comme pâture, particulièrement pour les porcs friands de glands. Le "recépage" en hauteur (couper au pied les ceps de vigne afin qu'ils repoussent mieux et, par extension, tailler les branches d'arbres au ras du tronc) mettait les repousses hors de portée des herbivores. Rien qu'à la vue du diamètre des branches qui s'élançaient du tronc du chêne-têtard sacrifié sur l'Ibanteli, il est évident qu'il n'était plus exploité depuis longtemps. Je me souviens du chemin près de la maison où, enfants, nous allions grappiller des mûres en septembre. Il était bordé de hauts talus plantés de platanes-têtards au tronc très court. En ce temps-là, c'était encore la campagne à Arcangues. - Photo : Jardin médiéval au second plan du tableau avec des plates-bandes en carrés (ou rectangles). -

Lorsque les terrains se sont vendus peu à peu, ce sont des citadins qui ont investi les lieux, Arcangues (et bien d'autres villages alentour) devenant une banlieue de l'agglomération Biarritz-Anglet-Bayonne (BAB). Sibanteli'installant avec une autre mentalité, dans l'ignorance des anciennes coutumes et l'indifférence à l'égard de la nature, ils ont arrasé les talus, dessouché les platanes-têtards et supprimé les ronces porteuses de fruits pour les remplacer par de hauts murs, de hauts grillages doublés de hautes haies uniformes taillées au cordeau et de grands portails opaques fermés à double tour. ibanteliCertains, achetant en bordure de parcelles boisées, ont eu le culot de demander à leurs voisins de couper les arbres qui risquaient de tomber sur leur propriété ! Le pire, c'est qu'à force de morceler les espaces et de déboiser pour construire des villas entourées de pelouses, un couloir à vent s'est créé. Lors d'une tempête hivernale, quelques uns des arbres qui s'y trouvaient encore, affaiblis par leur isolement récent et désormais sans protection, se sont effectivement brisés, l'un d'eux tombant à deux doigts de la façade d'une villa et de sa piscine. Et dans l'histoire, quel était le fautif ? Celui qui possédait l'arbre, bien sûr ! - Photos : La chapelle de la Chalière avec ses fresques remarquables (XIe siècle) : les bûcherons coupent le bois pour la construction de navires. - Enluminure : taille à la serpe d'un arbre-têtard. - Ci-dessous : Une branche de la taille d'un tronc s'est écroulée, la pourrissure creuse un trou au niveau de la blessure de l'arbre. -

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ibanteliDe futurs ingénieurs forestiers ont visité en 2010 avec le responsable de l'ONF Cyrille Van Meer les bois de Sare principalement plantés de chênes pédonculés, de chênes sessiles et de hêtres. "Faudrait-il régénérer la forêt avec des chênes tauzins, ou bien des châtaigniers ?", se sont-ils demandés. Ils ont aussi pu remarquer quelques rares ensembles d'ifs ou de tulipiers visibles au-dessous des palombières. Il leur a expliqué que les boisements de têtards les plus anciens sont en phase de dégradation et d'effondrement, ce qui entraîne le recul de la surface boisée. Une prise de conscience de cet état de fait a déclenché la mise en oeuvre de mesures de sauvetage des chênes-têtards dans le bois de Lizarrieta, sur le flanc de l'Ibanteli à l'opposé de la Rhune. Selon l'article en référence, un programme très important de reconstitution a été élaboré ibanteliet un nouvel aménagement forestier a été validé par les élus de la commune de Sare pour la période 2009-2028. Pour l'hiver 2009-2010, la commune a dû satisfaire 70 demandes en lots de bois de chauffage (près de 700 m³) et d'acacias (pour les piquets). Ces bois ont été délivrés dans la zone de Xabalo, vieille futaie de chênes américains attaqués par l'oïdium où 4 ha ont été provisoirement dégarnis. Tous les chênes dits "du pays" ont été préservés. Après l'exploitation, cette parcelle devait être clôturée et replantée. - Photo : Arum (d'Italie ou maculatum ?) -

En effet, la pratique du pastoralisme en montagne empêche la régénération naturelle des semis (actuellement 1 % de la forêt est clôturée). 2 000 jeunes plants de chênes et de hêtres vont pousser sur Ibantelli et Saiberri, protégés chacun par un tube. Sur une zone d'environ un hectare, vers Auntz Biskar, les chênes têtards ont été rabattus par des spécialistes, en application d'une mesure prévue dans le Docob Natura 2000 et reprise dans l'aménagement forestier, à savoir rajeunir la forêt, tout en tentant de préserver les vieux arbres. Mais ces arbres reprendront-ils ? Dans le doute, de jeunes chênes pédonculés vont être plantés sur ce site et protégés : l'arbre d'émonde n'a pas dit son dernier mot... A une époque où le prix des combustibles fossiles s'envole et où l'on commercialise des appareils de chauffage au bois atteignant des rendements voisins de 90 %, le bois de chauffage, énergie renouvelable s'il en est, devrait avoir un bel avenir devant lui. L'isolation de nos maisons est de plus en plus performante et les quelques dizaines de têtards d'une propriété, exploités selon un calendrier adapté à chaque essence, peuvent suffire à assurer une totale autonomie en matière de chauffage. - Photos : Faîne de hêtre. - Ci-dessous : Les nuages venus de la mer se heurtent à la Rhune. -

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