Cathy Constant-Elissagaray : présentation à la Société d'Astronomie Populaire de la Côte Basque (SAPCB) | Orientation et désorientation des abeilles |
Vendredi 5 janvier 2018 |
Ou comment les abeilles font de l’astronomie sans le savoir... |
Bonjour et bonne année 2018 !
En préambule, je souhaiterais un peu me justifier sur le choix de ce sujet pour une assistance composée d'astronomes amateurs. Vous savez que la recherche de la vie dans l'univers sur d'autres planètes que la nôtre est un domaine en plein développement. Il y a déjà des milliers de planètes qui ont été découvertes et il serait bien étonnant que, sur les milliards qui existent, la vie ne soit pas présente et que nous demeurions l'exception, une singularité. L'univers a mis des milliards d'années à synthétiser les composants qui constituent les êtres vivants sur la Terre, et il ne paraît pas déraisonnable de penser qu'ils ont permis à la vie de se développer ailleurs. Dans ce qui va suivre, je vais partir d'une démarche inverse. Sur Terre, les êtres vivants, y compris nous-mêmes, sont intimement reliés à cet univers et sont conditionnés par de nombreux facteurs astronomiques locaux. C'est ce que je vais essayer de vous décrire maintenant par le biais de l'étude de l'abeille domestique, Apis mellifera mellifera.
I/ L’abeille dans l’évolution du vivant :
I.1 Apparition des insectes
I.2 Apparition des plantes à fleurs
I.3 Apparition des abeilles
I.1 Apparition des insectes
Je vais d'abord replacer l'abeille dans son contexte en rappelant la chronologie et l'époque d'apparition des insectes. La Terre a subi quelques épisodes de très grandes glaciations, si importantes parfois qu'elle s'est apparentée à une immense boule de neige ou de glace. L'épisode le plus récent a précédé de peu (en temps géologiques) "l'explosion" de vie du Cambrien où des êtres pluricellulaires aux formes les plus diversifiées sont apparus dans les registres fossiles. Auparavant, la vie se développait surtout dans l'eau, sous la forme essentiellement d'êtres unicellulaires. Il reste peu de traces des êtres pluricellulaires qui se sont développés durant le Précambrien, les roches très anciennes ayant été souvent trop transformées pour qu'on puisse y déceler leur présence. La vie sort des océans pour coloniser les terres émergées. Les plus anciens insectes (aptères - sans ailes) remonteraient au Silurien (- 425 millions d'années, Ma). Les fossiles commencent à se multiplier au Carbonifère (-360 à -300 Ma), une période où sont apparus les plus anciens représentants connus des insectes modernes… A cette époque bénie (pour eux), ils n'avaient d'autres prédateurs que leurs congénères. Cela engendra une course au gigantisme, la première conquête des airs... Aujourd'hui, plus d’un million d’espèces sont répertoriées, mais il y en aurait en réalité de 3 à 70 millions, pour seulement 50 000 espèces de vertébrés !... - Photo: Meganeura monyi (Carbonifère) (entre – 360 et – 300 millions d’années) : libellule géante de 70 cm de longueur et plus de 70 cm d’envergure -
I.2 Apparition des plantes à fleurs
Les premières plantes ont commencé à coloniser les continents vers -475 Ma (je rappelle que les insectes sont apparus 50 millions d'années plus tard). Les premières plantes à fleurs sont apparues bien après, vers -214 Ma. Il s'agit là d'une datation par les généticiens, les plus anciens fossiles connus remontant seulement à -130 à -125 Ma environ. Montsechia vidalii par exemple (photo ci-contre) est une plante du Barrémien dont les fossiles ont été retrouvés dans des dépôts calcaires du Montsec (Pyrénées espagnoles) et de Las Hoyas (Chaîne ibérique). Elle semble s'être développée dans un environnement aquatique où elle se reproduisait en disséminant son pollen dans l’eau. Elle n'avait donc pas de relation avec les insectes. Remarquez le succès évolutif phénoménal des plantes à fleurs qui représentent aujourd'hui 90% des espèces végétales sur Terre ! On l'attribue à l'extrême variabilité et la plasticité des gènes qui auraient été un atout majeur pour leur adaptation. La coévolution avec les insectes a sans doute été aussi un facteur primordial. Les premières fleurs nourrissaient des insectes. Ceux-ci, en se nourrissant, pollinisaient les plantes à fleurs, favorisant ainsi leur propagation et leur extraordinaire expansion et diversification.
I.3 Apparition des abeilles :
L'abeille fait partie de l'ordre des insectes sociaux Hyménoptères (qui comprennent aussi par exemple les fourmis et les guêpes). Cet ordre se développe sur notre planète il y a environ -120 Ma au Crétacé, suivant parallèlement l'évolution des plantes à fleurs (les angiospermes) et peut-être même la favorisant. Vers -100 Ma, on admet l'apparition des super-familles, dont les Apoïdes, abeilles qui ont toutes alors un comportement solitaire, ce sont les plus lointains ancêtres de notre abeille. Des analyses ADN révèlent qu'Apis Mellifera Mellifera ( l'abeille noire) se sépare des autres sous-espèces d'abeilles entre -1 Ma et -500.000 ans. Elle vit en bordure sud de l'Europe et survit là aux glaciations jusque vers la fin du Pléistocène. Durant l'Holocène qui débute vers -14.000 ans, un réchauffement post-glaciaire débute en Europe, une végétation nouvelle et diversifiée s'étoffe et des forêts s'installent. Apis Mellifera qui s'était réfugiée au Nord de l'Afrique, reprend un rythme migratoire, essaimant et formant de nouvelles lignées. Vers le sud jusqu'au Cap Sud Africain, c'est la lignée A, vers l'Est au Moyen-Orient et l'Europe de l'Est par la péninsule arabique les lignées C et O (variétés Italienne, Carnolienne et Caucasienne). Vers l'Ouest et le Nord à travers le Sahara, elle poursuit sa course et arrive en péninsule ibérique et franchit les Pyrénées. Les colonies d'Afrique du Nord se croisent donc avec celles qui avaient survécu confinées au sud de l'Europe. Apis Mellifera Mellifera, face à un immense espace de migration potentiel et forte de ses capacités d'hivernage, ne cesse d'essaimer en direction de l'ouest de l'Europe et de l'Asie Occidentale jusqu'à l'Oural. Elle réalise ce qu'aucune autre espèce n'avait fait jusque là. Actuellement, les scientifiques s'accordent à dire qu'il existe plus de 20.000 espèces d'abeilles différentes, solitaires ou sociales de par le monde. L'interaction hommes/abeilles remonterait à 12 000 ans. - Photos : Peinture rupestre illustrant la collecte du miel sur une paroi de la Cueva de la Araña, Bicorp, Espagne (-5 à 6000 ans). - Apoidea fossile (super-famille d'insectes hyménoptères qui regroupe les guêpes dites apoïdes - à forme d'abeille- et les abeilles, qui en sont issues), emprisonnée dans de l'ambre de la Baltique (longueur 7 mm) -
II/ Généralités sur l’abeille :
II.1 Cycle de vie
II.2 Différenciation selon sa fonction, de l’œuf à la nymphe
II.3 Activités de l’imago selon sa fonction
II.1 Cycle de vie
Comme tout insecte, elle passe par quatre stades, l'oeuf (pondu par la Reine), la larve, la nymphe et enfin l'imago ou insecte parfait.
II.2 Différenciation selon sa fonction, de l’œuf à la nymphe
Suivant la fonction qu'elle exercera, Reine, ouvrière, mâle (appelé faux-bourdon), l'abeille a un développement distinct. L'oeuf est déposé par la Reine à la verticale dans une alvéole "normale" pour les ouvrières et les mâles et une alvéole plus spacieuse pour les futures Reines. La larve subit cinq mues avant de s'envelopper d'un cocon. Elle passe par le stade de nymphe durant lequel elle ne s'alimente pas dans la cellule qui a été operculée par une ouvrière. Cette dernière mue la fait se métamorphoser en imago ou insecte parfait. L’élevage du couvain se fait à 35 degrés précisément. - Schémas: Cycle - Mues -
Oeuf |
Larve: 5 mues |
Nymphe |
Insecte parfait |
|
Reine |
Fécondé 3 jours |
5,5 jours nourrie à la gelée Royale (Poids x 1700) |
7,5 jours |
Après 16 jours |
Ouvrière |
Fécondé 3 jours |
3 jours nourrie à la gelée Royale + 3 jours nourrie à la gelée nourricière (Poids x 900) |
12 jours |
Après 21 jours |
Mâle |
Non fécondé 3 jours |
6,5 jours nourri à la gelée nourricière (Poids x 2300) |
14,5 jours |
Après 24 jours |
Mâle (faux-bourdon), Reine, ouvrière
II.3 Activité de l’imago selon sa fonction
La Reine se fait inséminer durant deux à trois jours par plusieurs mâles d'autres ruches qui attendent en un lieu particulier, toujours le même d'une année sur l'autre. Les ouvrières sont donc des demi-soeurs. Elles poursuivent leur développement physique durant 21 jours à l'intérieur de la ruche où elles exercent successivement différentes fonctions avant de sortir butiner les fleurs et rapporter tout ce que nécessite l'entretien de l'essaim dans la ruche. Leur vie est courte pendant toute la période de butinage intensif. Par contre, elles vivent plus longtemps à la morte saison puisqu'elles se nourrissent sur les réserves de miel accumulées et ne peuvent sortir tant que la température est inférieure à 12°C. Quant au mâle, il n'est pas capable de se nourrir et ne possède pas de dard. Il meurt après l'accouplement ou, s'il ne s'est pas accouplé, à la fin de l'été. S'il ne décède pas de mort naturelle, les ouvrières s'en chargent d'un coup de dard, car l'essaim ne peut pas entretenir de bouche inutile durant l'hiver.
Imago |
Activités de l’insecte parfait (imago) |
Durée de vie |
|
Reine |
16 jours |
Insémination : 16+7 = 23 jours Ponte : à partir de 25 à 30 jours La ponte a lieu du 15 janvier au 15 octobre environ. |
3 à 5 ans (record : 8 ans !) |
Ouvrière |
21 jours |
D'abord 21 jours de travail dans la ruche
- Nettoyeuse : jours 1 à 2 - Nourrice : jours 3 à 5 - Premier vol de reconnaissance - Cirière/Bâtisseuse : jours 6 à 12 - Magasinière (transport) : jours 13 à 16 - Ventileuse/Gardienne : jours 17 à 21 Puis butineuse durant les 21 jours suivants Et enfin exploratrice, jusqu’à sa mort |
Durant les mois de butinage intensif : En hiver, sa durée de vie est plus longue, de 5 à 6 mois. |
Mâle |
24 jours |
Apte à la reproduction à 29 jours |
Meurt après l’accouplement ou à la fin de l’été s’il ne s’est pas accouplé. 3-4 mois |
Accouplement de la Reine avec un faux-bourdon.
III/ La vue
III.1 Premiers vols d’orientation
III.2 Un apprentissage accéléré - Test de désorientation
III.3 Les yeux de l’abeille – Deux yeux à facettes + 3 ocelles
III.4 Ommatidie – Une image recomposée
III.5 Vision des formes
III.6 Les ocelles
III.7 Un grand pouvoir de résolution des images dans le temps
III.1 Premiers vols d’orientation
Une journée ensoleillée et douce, entre midi et trois heures et, d'un coup, des centaines de jeunes abeilles sortent de la ruche et procèdent à leur vol d'entraînement, pour mémoriser l'emplacement de la ruche. Elles effectuent plusieurs vols à courte et longue distance, dans diverses directions (mais pas toutes) et cela leur suffira pour s'orienter durant leur nouvelle fonction de butineuses. - Photos : Mouche et criquet - Ci-dessous : Vol d'entraînement des jeunes abeilles -
III.2 Un apprentissage accéléré – Test de désorientation
Déplacée après seulement 5 à 10 minutes de son premier vol exploratoire, la jeune abeille retrouve facilement la ruche si elle est relâchée près d’objets qu’elle a repérés dans le paysage. Trop éloignée et hors de tout repère, elle est désorientée, contrairement à une abeille plus expérimentée. A ce stade, la vue, corrélée à la capacité de mémorisation de repères dans le paysage, semble prépondérante.
III.3 Les yeux de l’abeille - Deux yeux à facettes + 3 ocelles
Ommatidies et poils ciliaires (x190 au microscope électronique) - Image de Rose-Lynn Fisher de son livre de 2010 Bee (Princeton University Press) |
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III.4 Ommatidie – Une image recomposée
Les abeilles sont dotées de deux yeux à facettes, immobiles, composés de nombreuses petites lentilles ou ommatidies. Elles ont un champ de vision de près de 360°.
Chaque ommatidie est inclinée l'une par rapport à l'autre (l'angle varie de 50° à 5°) et toutes convergent vers le nerf optique.
Facettes par œil
Ouvrière : 4500
Reine : 3500
Mâle : 7500
Seul le rayon dirigé exactement dans l'axe du rhabdomère ou bâtonnet rétinien sera enregistré. Aucune image ne s'y forme: celle-ci est recomposée à partir des informations transmises par l'ensemble des facettes. L'excellente perception du mouvement que procurent ces facettes juxtaposées déclenche instantanément un réflexe de fuite ou d’attaque...
III.5 Vision des formes
Les yeux des abeilles ont une mauvaise acuité, avec une résolution d'un degré, soit 100 fois moins que l’humain. Plus l’objet est éloigné, moins il y a de facettes qui en perçoivent le rayonnement, et donc plus elles le voient indistinctement, en une forme grossière. Leurs yeux composés à facettes offrent une vision déformée du paysage et même des fleurs qui pourtant sont leur cible principale. Ci-dessous, voici deux modèles de fleurs que les abeilles distinguent facilement et avec assurance l’un de l’autre. Les abeilles ne parviennent pas à distinguer entre elles les figures de la rangée supérieure (schéma ci-dessous), ni celles de la rangée inférieure. En revanche, elles distinguent clairement chaque figure de la rangée du dessus de chacune de celles de la rangée du dessous.
III.6 Les ocelles
Les trois ocelles (ou stemmates) sont des sortes de cellules photoélectriques capables d'apprécier les variations d'intensité et la polarisation de la lumière. Ils forment un photomètre qui permet de déterminer la lumière absolue et de mémoriser ainsi l'heure du départ et d'arrivée à la ruche. Ils permettent de stabiliser le vol en gardant le ciel toujours en "vue".
III.7 Un grand pouvoir de résolution des images dans le temps
L’abeille fusionne les images dès une vitesse de défilement de 200-300 images/seconde (seulement 24 images/seconde chez l'homme). En volant à 30 km/h environ, elle observe avec netteté les repères géographiques au sol.
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