Le Lido
Les hordes de touristes sont derrière nous, invisibles, nous n'entendons plus les voitures. La digue s'interrompt une demi-heure plus tard et la dune reprend ses droits, sablonneuse et encombrée de ronciers qui referment peu à peu le sentier sur nous. Faut-il faire demi-tour ? Il est aussi difficile de reculer que d'avancer, alors nous forçons le passage et découvrons un peu plus loin un mur bas surmonté d'un grillage en bordure d'une plage abandonnée, aux installations en ruine. J'aperçois un mouvement vers l'horizon : une voiture évolue sur le sable, il doit donc y avoir une route dans les parages. Nous trouvons une ouverture et roulons sur des plaques de béton jusqu'au bord de la mer pour gagner le sable humide et dur léché par les vaguelettes méditerranéennes.
Mêlé d'une infinité de débris de coquillages, le sable crisse et craquelle sous nos roues : je crains la crevaison à tout instant, nous sommes loin de tout, sans rustines ni pompe, mais les pneus tiennent le coup. Nous pédalons sans nous enfoncer, le vent du large soulève ma robe que je replaque sur mes cuisses d'un geste machinal, malgré l'absence de spectateurs, et nous rions de plaisir, heureux de notre escapade originale. Jean-Louis prend de l'assurance et s'amuse à rouler dans les vagues sans lacher les pédales - Evidemment, il se mouille les pieds, ainsi que ses chaussures et ses chaussettes ! Une autre digue protège le bout de l'île. Un pêcheur y marche, une belle prise dans un sac en plastique.
Passé le phare, nous effectuons notre retour par des routes calmes et ombragées. J'aperçois le golf, après un petit pont de lattes de bois sur un canal, où nous faisons une incursion pour le plaisir des yeux. Evidemment, le cadre est magnifique et merveilleusement entretenu. Le soir commence à tomber. Nous passons sur les berges aménagées du côté de la lagune, où nous admirons les reflets du soleil couchant sur les eaux lisses et domestiquées qui baignent Venise, invisible derrière l'horizon. Une religieuse tente de lier conversation avec Jean-Louis qui l'a surprise en surgissant derrière elle. Je m'approche et lui explique qu'il ne parle pas l'italien ; elle ne se décourage pas et raconte sa vie, relatant qu'elle est originaire d'Argentine. "Alors, vous parlez espagnol ?" Je me sens beaucoup plus à l'aise qu'en italien et je bavarde avec la soeur, ravie de notre compagnie et qui me demande de lui dire quelques mots en français qu'elle répète avec délectation. Elle est amusante !
Le soleil descend rapidement maintenant, nous prenons congé et roulons de nouveau, partagés entre le désir d'observer sur notre gauche l'étendue calme aux reflets changeants, et le souci de surveiller notre avancée, interrompue de temps à autre par l'embouchure d'un petit canal qu'il faut traverser sur un pont avant de retourner sur la berge recouverte d'herbe et plantée de tamaris. Nous faisons une halte photos puis gagnons le lieu de l'embarcadère où nous posons nos vélos comme convenu contre le mur du loueur, fermé depuis plus d'une heure et dînons à la terrasse d'un très bon restaurant moins gênés par la circulation automobile ralentie avec la tombée de la nuit. J'admire la prestance du serveur qui désarête le poisson sous nos yeux : ses gestes sont rapides, sûrs et d'une élégance rarement vue - il a élevé sa technique à la hauteur d'un art !
2/2
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