Les masques
Elle
cherche parmi ses affaires la boîte plate en carton qui contient les
feuilles d'or. Elle applique un produit au pinceau à l'emplacement
où elle veut de l'or. Puis elle se saisit, à l'aide de ce
même pinceau, d'une feuille extra-fine qui se sépare des autres
aisément. Elle l'étend rapidement et sans trop s'appliquer.
Puis, à l'aide d'un pinceau sec, elle balaye la surface afin de détacher
les parties qui débordent, qu'elle redépose pour une utilisation
ultérieure dans le carton. Je lui dis que nous avons l'impression
de retrouver les mêmes masques dans tous les magasins. Elle nous confie
qu'en effet, il est très difficile de garder l'exclusivité
de la vente d'un modèle, et qu'il arrive que les créateurs,
moyennant quelques modifications minimes, s'inspirent indûment du
travail de leurs concurrents. Ils effectuent également des échanges
entre eux, et vendent également leurs produits dans plusieurs magasins
répartis aux quatre coins de Venise.
A
propos des différences de prix, elle nous explique que les commerçants
qui sont installés au Rialto ou à Saint Marc doivent payer
très cher leur fonds de commerce ainsi que leur loyer, frais qu'ils
sont bien obligés de répercuter sur les prix de vente. D'un
autre côté, l'énorme affluence de touristes dans ces
quartiers leur permet d'être, sans trop de risque, beaucoup plus chers
que d'autres points de vente plus excentrés.
Si
elle exerçait là-bas, nous dit-elle, elle serait obligée
de se consacrer entièrement à la vente et n'aurait plus le
temps de décorer ses masques, ce qu'elle regretterait fort. Le prix
inférieur de ses masques est compensé par l'économie
qu'elle réalise en achetant des masques "bruts", tout blancs.
Un peu plus loin, Jean-Louis
pénètre de nouveau dans un atelier de fabrication de masques,
bien que nous ayions trouvé (enfin) notre bonheur chez notre aimable
artisane. Cette
fois-ci, nous nous trouvons chez une fabricante de masques blancs. Elle
s'apprête justement à recevoir un groupe pour leur faire une
démonstration de sa technique. Nous patientons jusqu'à ce
que tout le monde soit à l'intérieur. Elle s'adresse à
nous en italien, compris par la majorité. Au fond de l'atelier, sur
son établi encombré, elle nous montre un modèle en
argile. Cette matière a la propriété d'être très
malléable lorsqu'on la travaille, et de devenir dure comme pierre
après séchage. Elle donne à la terre verdâtre
la forme définitive sous laquelle doit apparaître le masque.
Après un temps de séchage, elle l'enfonce dans du plâtre
liquide qui prend la forme en creux en séchant.
Elle
nous en fait soupeser un : il est très lourd. Cette petite jeune
femme manie en permanence de lourdes charges car le moule de plâtre,
qui a une durée de vie de quatre ans environ (s'il n'est pas brisé
avant), perd très lentement (en plusieurs mois) sa teneur en eau
et, ce faisant, s'allège progressivement. - De temps à autre,
les explications s'interrompent pour laisser le temps à une Allemande
d'écouter la traduction du passage qu'elle n'a pas compris. Deux
visiteuses, éprouvées par la chaleur du local et la fatigue
de la journée, restent assises à l'écart, sans chercher
à voir la démonstration cachée par les dos de leurs
compagnons. -
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