Murano

Dégoûtés par cette foule irrévérencieuse, nous décidons d'aller nous aérer dans les îles. Nous avons choisi Torcello où se situent les ruines de la plus ancienne implantation humaine dans la lagune. Nous n'avons pas saisi qu'il fallait faire escale à Murano, l'île des verriers, et ratons le coche. Du coup, nous attendons un temps infini, jusqu'à ce que je décide d'aller dans le vaporetto où embarquent la majorité des passagers, quelle que soit la destination ! Nous débarquons donc à Murano, île séparée de sa voisine Museo par un canal franchi par un haut pont de bois. Là, nous visitons plusieurs "fornace", ateliers de démonstration de la fabrication artisanale de verre soufflé.

Nous connaissons déjà le procédé que nous avons vu à Nérac, près d'Agen, mais nous le revoyons avec plaisir. Une sorte de magie se dégage de cet antre immense, gris et sale, dont les gueules écarlates béantes des fours crachent leur feu brûlant sur deux ou trois hommes peu locaces qui circulent calmement, imperturbables. C'est un guide payé par la fabrique qui explique aux groupes de visiteurs relégués dans un coin les faits et gestes des ouvriers. De la pointe du tuyau, le "maître" extrait une masse de silice incandescente qu'il manie à bout de bras tout en effectuant de légers mouvements giratoires. Il souffle un peu, tourne, souffle de nouveau et tourne encore. Il se saisit d'une pince et tire un mince filament de la sphère, sans le détacher, retourne le tuyau vers le bas, pour redresser l'appendice, puis recommence l'opération à plusieurs reprises, va réchauffer quelques secondes au four son oeuvre et reprend la séquence de ses gestes mesurés et précis.

Sous nos yeux éblouis naît un cheval d'une vingtaine de centimètres de hauteur, qui se cabre avec grâce, en équilibre sur ses sabots postérieurs et la queue en panache : une merveille ! Les spectateurs applaudissent. Un aide s'empare du chef d'oeuvre, créé en quelques minutes seulement, et le dépose délicatement au milieu d'un four spécial afin que le verre ne se brise pas en refroidissant trop rapidement. Dans un autre atelier, nous observons la fabrication d'une carafe, pareillement applaudie. "Il maestro", le maître, reste de marbre, une cigarette vissée à la commissure des lèvres. Il s'éloigne un peu des sources de chaleur pour se reposer avant la démonstration suivante. La sortie s'effectue par le magasin abondamment fourni en objets d'art divers, de verre transparent ou coloré, utilitaires ou simplement décoratifs, reproductions d'artisanat ancien ou créations franchement modernes.

Puis nous visitons le village : des rangées parallèles de maisons à un ou deux étages accolées les unes aux autres hébergent probablement les ouvriers employés dans les fabriques de l'île, longues bâtisses sombres et grises, vieillottes et parfois désaffectées, qui contiennent les ateliers de production et d'expédition. Nous sommes plongés en plein XIXème siècle. Nous nous haussons sur la pointe des pieds pour lorgner à travers les lucarnes grillagées et poussiéreuses à l'intérieur des halls immenses et obscurs : nous voyons ces mêmes fours artisanaux surmontés d'énormes tuyaux, autour desquels vont et viennent de rares ouvriers munis de grosses pelles pour enfourner la silice (qui semble très lourde) ou bien équipés de tuyaux et de pinces pour l'élaboration des produits finis.

Un peu plus loin, la partie commerçante et touristique présente un visage plus gai : les canaux sont bordés de coquettes maisons basses de couleurs vives où alternent au rez-de-chaussée commerces d'articles de verre de Murano et restaurants. Nous y déambulons avec plaisir, puis nous nous enquérons du quai d'embarquement pour Torcello. Il est en face, au "Faro" (phare), de l'autre côté du canal (en traversant le grand pont de bois, nous sommes passés sans y prendre garde à Museo, l'île soeur de Murano). Lassés de notre pérégrination, nous empruntons le vaporetto (sans rien payer, car les contrôles sont très rares, les guichets à quai également, et le copilote compte sur l'honnêteté des passagers pour qu'ils se signalent à lui pour s'acquitter du règlement...).

 

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