Pic du Néouvielle

L'ascension du Néouvielle

Le Néouvielle depuis le lac d'AubertC'est Max qui va d'une tente à l'autre pour réveiller tout le groupe avant l'aube. Nous sortons en silence, montons dans les voitures, prenons rapidement notre petit-déjeuner froid sur les tables du snack du camping et rejoignons le guide, Pascal, qui nous attend à 7 heures au centre de Saint-Lary. Il faut près d'une heure pour nous rendre au lac d'Aubert situé à une altitude de 2150 m à l'intérieur de la réserve naturelle du Néouvielle. Son accès en voiture est réglementé, limité en nombre et payant. A partir de 9 h 30, il est obligatoire d'emprunter une navette.

Après l'austérité et l'étroitesse de la gorge de Couplan, nous découvrons avec émerveillement les lacs d'Orédon, d'Aubert et d'Aumar, ainsi que celui de Cap de Long, légèrement au-dessus. Dernière halte sur le plancher des vachesDans la claire lumière matinale, leur surface immobile reflète avec une précision étonnante les montagnes alentour. Des pins à crochet d'allure méditerranéenne perchés sur des îlots semblent pousser à l'envers, de la pointe vers la racine. Les limites des rives se fondent dans leur reflet, donnant une curieuse impression de lévitation du relief au-dessus de l'eau. Près du barrage, de grands troncs dénudés flottent, à demi immergés.

Nous nous arrachons à regret à cette contemplation pour entreprendre l'ascension du pic. Le rythme est d'abord lent. Pascal, le guide, s'inquiète : "Si nous devons attendre un quart d'heure les retardataires dès la première demi-heure de montée, nous ne sommes pas rendus !" Il choisit de se mettre au rythme des plus rapides (principalement les enfants) et laisse les autres se débrouiller comme ils peuvent. Ce n'est qu'aux endroits qu'il estime réellement délicats qu'il daignera nous attendre un peu pour nous donner quelques indications techniques (choisir le bon passage, prendre les bons appuis, une position correcte du corps...) et parfois, très rarement, nous aider de la main.

Des roches siliceusesContrairement au pic d'Anie et au pic du Midi d'Ossau, la déclivité est forte dès le départ et la progression est rendue difficile par la qualité du sol : nous n'avançons que rarement sur un sentier, bien plus souvent, il s'agit de chaos de roches et d'éboulis siliceux qui obligent à une attention constante. C'est un environnement très minéral où seule l'herbe émaillée de fleurettes réussit à subsister. L'altitude aussi nous gêne : la raréfaction de l'oxygène combinée à ce rude effort provoque chez nombre d'entre nous un fond de mal de tête dont Jean-Louis ne parviendra que difficilement à se débarrasser en fin de journée, une fois de retour au camping, en faisant une longue sieste sous la tente.

Anna et le guide, PascalMichèle s'inquiète : accompagnée seulement de son mari en queue de convoi, elle a mal à la poitrine. Comme elle s'est fêlé une côte récemment, elle pense que la douleur s'est réveillée avec les fortes inspirations. En fait, comme pour nous tous à l'approche des 3 000 mètres d'altitude et avec la forte déclivité, c'est le coeur qui bat plus fort et cogne dans la poitrine, et la respiration qui s'essouffle : cela donne un peu l'impression d'être au bord de la crise cardiaque, particulièrement pour les moins entraînés d'entre nous. La tête tourne un peu, il faut faire des haltes fréquentes, nous transpirons à qui mieux mieux en soufflant comme des phoques : ce n'est pas une ascension bénigne. En plus, comme nous n'avons pas beaucoup dormi la nuit précédente (première nuit sous la tente), la fatigue accumulée joue en notre défaveur. Jean-Jacques, lui, avouera plus tard qu'une forte douleur à son tendon d'Achille s'est réveillée, et qu'il a dû prendre beaucoup sur lui pour arriver au sommet en dépit de son manque d'entraînement.

Les névésAlors que nous ne voyons pas le bout de cette ascension, le passage des névés vient faire diversion. Les enfants adorent, quoique certains soient très mal chaussés. Même moi, malgré l'aide de mes deux bâtons télescopiques, je glisse avec mes chaussures de montagne. Le guide est très strict : il attend que tout le groupe soit réuni et donne ses recommandations. Il faut rester en file indienne, mettre nos pas dans les siens, surtout ne pas s'en écarter, avancer lentement et prudemment. Parfois, la glace recouverte de neige cèle des gouffres insondables, particulièrement près des roches qui emmagasinent davantage la chaleur du soleil qu'elles diffusent alentour en faisant fondre le glacier. Les rochers deviennent plus gros, et il faut faire de grandes enjambées de l'un à l'autre avec nos semelles humides en tâchant de faire abstraction des failles qui s'ouvrent dans les interstices. Je reste bloquée un moment par la crainte : perchée sur mon rocher pentu, je n'ose m'élancer pour atteindre le suivant en faisant fi du vide. Jean-Louis m'encourage et me tend la main. Je préfère lui demander de s'écarter pour passer à l'endroit où il se tient. Ouf ! C'est fait ! Mais comment sont passés les plus jeunes, et notamment Sammy, âgé de 9 ans seulement, et tous ceux de 12 ans aux petites jambes ? Ils sont tellement mobiles et dépourvus d'inquiétude qu'ils n'ont sans doute pas éprouvé de difficulté particulière.

Le groupe au sommetEnfin nous arrivons au sommet ! Je n'en ai jamais vu d'aussi exigu. C'est une succession d'aiguilles aux parois très inclinées sur lesquelles nous sommes perchés comme des oiseaux sur la branche. Nous sommes fiers : 3 000 mètres, ce n'est pas rien, et nous les avons gagnés à la sueur de notre front, à force de volonté. Pour beaucoup, c'est une première. Seule Michèle manquera à l'appel, elle nous attend à la base du premier névé (ce qui n'est déjà pas si mal). Max atteindra le sommet presque en même temps que nous, après avoir contourné un névé à marche forcée et escaladé une paroi (en se faisant un peu peur) sans être assuré par aucune corde. Quel homme !

Cimes acéréesLe pique-nique est vite expédié : nous ne pouvons pas bouger de nos places et devons nous passer les aliments de l'un à l'autre en prenant garde à ne pas lâcher trop tôt sous peine de voir notre repas disparaître dans le précipice. Je rattrape un jumeau par un bras : il est en train de glisser de manière incoercible dans la pente. Des nuages arrivent et envahissent le ciel en "se formant" de façon suspecte : le guide les examine attentivement. Le grain est proche, il ne faut pas s'attarder. La descente est plus rapide et nous retrouvons Michèle parmi les acclamations. Elle ne s'est pas ennuyée, conversant avec des chèvres peu sauvages et deux autres randonneuses qui ont calé au même endroit. Ensuite, voyant le temps tourner, elle a entrepris tranquillement la descente. Nous observons les vautours. Ils étaient absents pendant toute la matinée, et convergent depuis l'horizon vers la base du cumulus le plus sombre où ils se mettent à monter lentement en spirale. Ils profitent du nuage pour prendre de l'altitude, profitant de la colonne d'air aspirée vers le haut. Si nous voulons faire du parapente de façon autonome, nous pourrions leur demander des cours pour mieux comprendre les mouvements invisibles des masses d'air.

Tentes mouilléesDans le dernier tiers de la descente, la pluie commence à tomber. Il est près de 4 heures de l'après-midi. Florian se tord un peu le pied et son père le porte un moment. Finalement, ce n'est pas une entorse et il se remet à courir comme un lapin : sans doute était-il impressionné par l'orage et les éclairs. Nora descend en gémissant et son père fait la sourde oreille tout en restant à proximité et en la surveillant du coin de l'oeil. Ses pieds mal chaussés glissent et se tordent sur les roches devenus glissantes avec l'humidité. Elle a eu beaucoup de mal dans la montée, et peine encore plus en descente, d'autant qu'elle préfère nettement la gym' au sol et les sauts périlleux à la randonnée en montagne (elle s'apprêtait à partir en petites chaussettes de ville et il a fallu insister pour qu'elle emprunte les chaussettes de sport de son frère - qui n'était pas ravi de les lui passer). Cédric, lui, avait failli oublier son k-way et avait dû courir à la tente au dernier moment. Résultat, il oublie de bien la refermer et, avec l'averse, le sac de couchage de Mikel sera trempé et une flaque s'accumulera sous le matelas. Celle de Jean-Jacques aura le même problème, ainsi que celle de Richard et celle de Max. Le camping, c'est bien, mais par beau temps ! Ils doivent éponger vaille que vaille et étaler les affaires humides dans les voitures. Des serviettes de toilette ont été oubliées sur une tente, laissées là à sécher : évidemment, elles sont trempées. Pour nous détendre, nous faisons un plongeon dans la piscine sous la pluie : mouillés pour mouillés, autant l'être agréablement !

Canyon de AñiscloLe soir, nous avons réservé la salle commune du camping et commandé au snack un repas pour tout le groupe. Ainsi, dès 7 heures, nous nous retrouvons attablés avec deux nouveaux convives, Xavier, instituteur dans l'école de Richard et Dominique, un parent d'élève, ainsi que Jeannot et Christine qui ont averti préalablement l'hôtel où ils sont théoriquement en demi-pension. Nous racontons nos exploits et Jeannot et Christine nous décrivent le canyon de Añisclo, en Aragon, où ils ont effectué une marche plus tranquille. Ils nous donnent envie de le parcourir une autre fois, il semble superbe.

Après le dîner, chacun se disperse : un petit groupe s'attable pour une partie bruyante de mus (le poker basque), d'autres partent jouer au ping-pong ou discuter dans les tentes seulement éclairés d'une lampe de poche. Postée en bordure du torrent, près des tentes, je reste un moment à regarder le ciel vidé de ses nuages qui s'assombrit. Derrière les frondaisons, la lune brille, à son premier quartier. La Grande Ourse s'étire, Richard explique à Serge et Xavier comment repérer l'étoile polaire et la Petite Ourse. Un peu plus tard, j'aperçois une étoile filante et Cédric, la tête rejetée en arrière à guetter le ciel, me confie qu'il en a vu une très distinctement, lui aussi. Le calme s'installe dans les tentes, seulement troublé par le bruit du torrent, semblable à une forte pluie qui ne cesserait jamais.

 

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