 Il
fait un temps curieux : nous passons notre temps à nous déshabiller
et nous rhabiller. Les inégalités du terrain freinent ou
accélèrent le souffle de la brise qui vient du large, et
nous alternons les lieux excessivement exposés et les havres de
paix où le soleil nous semble taper plus fort. Les nuages circulent
haut dans le ciel et ne sont pas menaçants. D'ailleurs, ils doivent
réverbérer les rayons car Xavier s'apercevra en fin de parcours
que sa peau a bien rougi.
Nous
passons à distance du grand bâtiment du phare (Faro de la
Plata - phare d'argent). Bien entretenu, il a fière allure, et,
bien que sa blancheur tranche sur la couleur chaude des roches creusées
par l'érosion de multiples alvéoles où nichent les
oiseaux, il ne dépare pas dans le paysage et intrigue les passants
par son allure martiale, avec sa façade crénelée
flanquée de deux tours moyennâgeuses.
A cette heure-ci, les Espagnols ne
mangent pas encore, et nombreux sont ceux qui empruntent le même
sentier que nous. De temps en temps, un cri retenti : "Gare ! Attention,
vélo !" et des jeunes à la pédale énergique
passent en force dans l'ornière, faisant fi des mottes de terre
ou des blocs rocheux qui encombrent le chemin. Arrivés au petit
aqueduc un peu délabré, j'entends l'un d'eux qui se vante
(en espagnol) : "Allez, on va dessus ?" Mais, fort heureusement,
les autres ne sont pas chauds et ils le contournent. Nous-mêmes
le franchissons à pied (sauf Isabelle et Cécile), mais j'avoue
que je ne suis pas très fière, je sens le vertige qui me
gagne au milieu et j'hésite un moment, tandis que les autres m'encouragent.
Ce sentier était autrefois utilisé pour le guet des baleines,
dont le souvenir reste grâce à la dénomination d'une
des hauteurs "la Roca del Ballenero" (la roche du baleinier).
 C'est
Yann qui porte tout le bardas de la famille dans un immense sac à
dos où il a fourré pêle-mêle pique-nique et
suroîts de marins, mais il ne s'en plaint pas : en fait, il est
enchanté de voir que sa famille suit (et même précède,
en ce qui concerne Florian) correctement le rythme du groupe et profite
pleinement du charme de cette randonnée côtière. Le
paysage est varié : les feuillus arborent leurs plus beaux verts,
tandis que les pins aux formes torturées ajoutent une touche un
peu méditerranéenne. Aux roches sculptées par l'eau
et le vent succèdent des strates basculées à la quasi-verticale
que les vagues évident, ne laissant que les couches dures après
avoir rongé les tendres, réduites en fins grains de sable.
Je
commence à sentir un peu la fatigue due au manque de sommeil. Jean-Louis
et moi avons eu la chance de visiter la veille au soir l'observatoire
amateur de Dax, sous la houlette de Frédéric Soulu, le conservateur
du château d'Abbadia, et de son ancien "maître",
toujours permanent du lieu, Philippe Dupouy. Très axé sur
l'observation, Philippe Dupouy a découvert, il y a quelques années,
une comète non répertoriée qu'il a signalée
aux astronomes professionnels. Avec de tels guides, nous serions bien
restés toute la nuit sous le charme, à observer des étoiles
et constellations, écouter l'histoire de cette association hors
du commun, et admirer l'important équipement informatique et technique
du bâtiment central.
Nous
qui travaillons beaucoup avec les ordinateurs sommes à même
d'apprécier l'importance du travail accompli par les membres de
cette association, antenne de la SAF (Société d'Astronomie
de France). Philippe nous montre notamment des photos qui peuvent rivaliser,
à quelques détails près, avec celles produites par
la Nasa ou d'autres grands observatoires. Ne pouvant posséder de
matériel équivalent, bien trop onéreux, il faut compenser
par beaucoup d'astuce et de matière grise.
Les
lunettes et télescopes cachés sous des coupoles tout autour
du bâtiment central sont couplés avec de simples webcams,
"bidouillées" de façon à ce que leurs performances
approchent celles des caméras CCD, 10 fois plus chères.
Reliées par cable aux ordinateurs, les films sont analysés,
image par image, avec un programme maison qui utilise des algorythmes
mathématiques très compliqués (présents dans
les programmes standards de traitement d'images) et les détails
les plus fins sont regroupés en une seule photo synthétique
d'une qualité étonnante.
 L'association
a obtenu la permission exceptionnelle de capter directement les photos
de météosat, pour lesquelles elle dispose d'un logiciel
de décryptage. Ainsi sont reçues en permanence des photos
d'une portion de la Terre tandis qu'un programme associé fournit
toutes les données météorologiques (hygrométrie,
vitesse des vents...) qui sont affichées sur un autre ordinateur.
Initialement, c'était pour chercher parmi les régions du
monde arabe les lieux les plus appropriés pour y installer des
observatoires. Maintenant, cet objectif est abandonné, mais le
matériel continue à rester à la disposition des adhérents.
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