Nous
progressons très lentement, mais il y a tant à voir ! Nous
quittons la région de Foix pour nous diriger vers Font-Romeu par
Quillan et Axat. Je retiens le site de cette dernière ville pour
un séjour éventuel en groupe : elle est parfaite pour le rafting
et je pense (pour Max) qu'il doit y avoir de nombreux spots d'escalade,
étant donné la quantité de falaises. En plus, le cadre
est très joli. Nous montons progressivement par une route étroite
et sinueuse dans une gorge creusée par l'Aude jusqu'à un haut
plateau à la végétation steppique où nous faisons
halte au bord du lac de Matemale, véritable station balnéaire
d'altitude,
avec
activités de natation, planche à voile, VTT, équitation,
escalad'arbres, etc., affublée d'un garçon de café
parisien plutôt désagréable à l'heure du café,
après notre pique nique en pleine nature (assez ventilée).
Un
peu plus loin, c'est la ville fortifiée par Vauban la plus haute
de France : Mont-Louis. Un petit tour et puis s'en va. La question se pose
: continuer vers l'Espagne et faire beaucoup de route à un rythme
très lent, à la découverte des églises romanes
de Catalogne, ou obliquer de nouveau vers la plaine française pour
nous rapprocher plus vite de la Méditerranée ? Nous choisissons
la deuxième option : direction Prades et le pic du Canigou.
Nous
trouvons à dormir chez une hôtesse anglaise au village de Sahorre,
près de Vernet-les-Bains, au pied du Canigou, qui propose des chambres
et petits appartements en rez-de-jardin dans un grand parc équipé
d'une petite piscine circulaire en bois posée sur l'herbe, et pourvu
d'un vaste hamac suspendu entre deux arbres (à la toile un peu humide).
J'admire
la vue sur la petite église romane à flan de colline boisée
que je photographie au réveil, éclairée par le soleil
levant. Ce jour-là, pas de voiture : nous avons décidé
de faire une marche. L'ascension du Canigou nous paraît un peu trop
ardue, nous préférons faire une balade à flan de montagne,
au paysage très varié, qui alterne la marche en sous-bois
(bienvenue car il fait très chaud) ou en rocailles plantées
de thym et de lavande, et parcourue par une multitude de papillons qui volètent
dans l'air chargé d'odeurs capiteuses. Nous sommes entièrement
seuls. Pourtant, au parking du col, au pied de la tour de Goa, il y avait
plusieurs voitures. Le vent bruit dans les frondaisons, les criquets crissent
dans l'herbe et jaillissent sous nos pas d'un bon leste, les torrents dévalent
bruyamment la montagne.
Suivant
la végétation, nous baignons dans des odeurs différentes
qui
nous emplissent à chaque inspiration. Des crottes de lapins toutes
rondes parsèment le sentier rocailleux et ensoleillé, et je
repense à ce renard des Bardenas qui, pareillement à ses frères
invisibles du Canigou, devait croquait des lapins assaisonnés tout
vivants de thym et de serpolet...
Nous pique-niquons au bout du chemin,
près d'une petite cascade qui me faisait fantasmer en la voyant :
je m'imaginais, naïade, baignant dans les eaux claires entre les longues
herbes. J'ai retiré mes grosses chaussures de montagne, mes chaussettes,
et marché pieds nus dans la boue, puis, précautionneusement
sur les rochers moussus et glissants, avant d'atteindre un espace sablonneux
dégagé : ouille-ouille-ouille ! L'eau est tellement glaciale
que le froid me saisit la plante des pieds et me fait un mal de chien !
Je
ressors, mais il fait si chaud que je recommence, cette fois sans y rester
très longtemps, en me réchauffant entre les mini-bains successifs.
J'humecte
toute ma peau découverte, mais je ne songe plus à m'y plonger
toute entière... Après manger, je reste à observer
le fond des eaux peu profondes dans une zone calme : on n'imagine pas toutes
les petites bêtes qui y séjournent. Elles ne font pas 5 millimètres
et ressemblent à des bernard-l'ermite, le corps enfoui dans une coquille
oblongue de la couleur de la vase sablonneuse d'où s'échappent
des petites pattes sombres gigotantes qui leur permettent de se déplacer
et sans doute de se nourrir. Dire que je marchais dessus !
Nous changeons une nouvelle fois de
gîte nocturne : direction Mantet, petit village légèrement
en contrebas d'un col à 1761 mètres d'altitude. Notre balade
nous avait fait tourner autour du village de Py, et
c'est là justement que nous prenons en stop une jeune femme lourdement
chargée d'un sac à dos qui rejoint un ami à Mantet.
Il effectue un stage de fabrication du fromage à la ferme adjacente
à notre gîte de "La
Cavale". Ardéchoise, elle arrive d'Avignon où elle
a apprécié le festival "off" et les animations de
rue.
Nous
sommes surpris par l'aspect négligé des extérieurs
de La Cavale, par la présence d'une yourte mongole à la superbe
porte de bois très colorée dans l'entrée et par le
rude accueil de l'hôtesse que j'imagine in petto plus aimable avec
ses chevaux qu'avec les gens. En outre, la curieuse disposition des bâtiments
en fer à cheval nous fait profiter pleinement de la vue sur les écuries,
et surtout des mouches qui volètent en tous sens en cette fin d'après-midi
très chaude, malgré l'altitude élevée. Nous
sommes par contre agréablement réconfortés par l'aspect
des chambres avec salle de bain, parfaitement propres et apparemment très
neuves, auxquelles on accède par des portes-fenêtres de style
équestre (porte pleine à mi-hauteur surmontée d'une
fenêtre et qui s'ouvrent indépendamment l'une de l'autre).
Rafraîchis
par une bonne douche qui nous délasse de notre longue marche et de
la tension sur cette route de montagne aux virages en épingle à
cheveux nullement protégée par les quelques piquets de bois
servant de repère au chasse-neige en hiver, nous lisons tranquillement
allongés sur le lit quand un remue-ménage attire notre attention
: un groupe de cavaliers arrive.
Notre
hôtesse s'anime : elle connaît le guide et converse avec lui
en riant, tout en tirant des bouffées de sa fine cigarette tordue
qu'elle se roule elle-même. Une jeune palefrenière aide les
cavaliers à desseller les montures et sa patrone indique où
poser le harnachement des chevaux de bât qui portent les tentes, l'équipement
et la nourriture du groupe. La robe des chevaux est marbrée de taches
sombres à l'emplacement des couvertures qui les faisaient transpirer.
L'un d'eux piaffe et s'agite impatiemment, incommodé par le harcèlement
incessant des mouches. Nous, nous restons bien à l'abri derrière
notre vitre à les observer. Nous en apprendrons un peu plus sur eux
lors du repas du soir exceptionnellement retardé d'une heure à
cause de leur arrivée tardive.
La
jeune serveuse russe, qui comprend un peu le français mais le baragouine
à peine, nous apporte les plats en s'activant avec célérité
mais très discrètement : salade de tomates et d'oeufs durs,
poivron rouge revenu à l'ail, lapin à la moutarde avec riz
et ratatouille, fruits, notre hôtesse est bonne cuisinière.
Nous faisons connaissance avec un couple d'enseignants qui marchent depuis
plusieurs jours déjà de gîte en gîte sur la haute
montagne.
Les
cavaliers s'attablent à leur tour et le guide les rejoint. Il y a
une femme et trois ou quatre hommes. Apparemment, la journée a été
rude, c'est l'heure du règlement de comptes. Ils sont partis de Mont-Louis
et, jusque-là, ont campé, ce qui signifie qu'ils s'arrêtaient
quand bon leur semblait, librement, sans distance ni durée imposées.
Aujourd'hui, il en était autrement
puisqu'ils avaient réservé une soirée au gîte
de La Cavale. Le guide savait que l'hôtesse était très
stricte sur les horaires : après l'heure, on ne sert plus le dîner
! Un
seul service pour tout le monde ! C'est qu'elle est levée tous les
jours dès 5 heures du matin, et que le soir, elle est trop fatiguée
pour veiller tard. Elle possède, je crois, une quarantaine de chevaux
de race qu'elle utilise pour faire des randonnées en groupe sur réservation.
D'après
son site internet, elle les dresse elle-même et s'occupe aussi d'organiser
des randonnées équestres en Mongolie, région pour laquelle
elle a une prédilection et dont elle importe des yourtes qu'elle
distribue en France.
Pour revenir au groupe présent à table, il y a eu plusieurs petits incidents ce jour-là : à l'heure du pique-nique, les chevaux se sont échappés, et il a fallu deux heures au guide pour les récupérer ! Il faut dire que, d'ordinaire, il travaillait en collaboration avec le grand-père du chiot de six mois que nous avons vu en bas dans la cour. Celui-ci se chargeait de les regrouper. Evidemment, le chiot est encore trop jeune pour savoir y faire.
La cavalière du groupe se refusait
à monter une fois la nuit tombée. Il a donc fallu cravacher
pour arriver à temps, après le retard pris à midi.
L'un des cavaliers, visiblement un râleur, ne décolère
pas. En fait, il a eu peur : ils sont passés dans des endroits délicats
où il fallait mettre pied à terre et avancer à la file
indienne, laissant décider les chevaux eux-mêmes de la façon
d'aborder la difficulté. Notre homme imaginait déjà
l'un des chevaux dévalant le précipice, ou se cassant une
patte, ou entraînant un homme dans sa chute, bref,
il s'est fait des films, et il faut qu'il explose. Il a fait un peu d'équitation
dans sa jeunesse, mais il ne s'est véritablement mis au cheval que
depuis trois ans (à 49 ans) et il a appris sur le tas. Selon sa philosophie,
un cheval, s'il a envie de brouter et de baguenauder, il faut le laisser
faire. Le guide, conscient de la difficulté du parcours et de la
nécessité de tenir son groupe, lui a fait des remontrances.
Un autre cavalier préférait
le grand trot, et le guide le réprimandait à chaque fois :
"petit trot, petit trot" ! Pour
le cavalier, c'est plus éprouvant, et cela nécessite une meilleure
maîtrise de sa monture, mais c'était plus prudent pour éviter
les accidents. Une nouvelle fois, le groupe renâclait : c'est plus
agréable le grand galop ! Bien sûr ! Mais, bien qu'il n'en
eût rien dit, on sentait bien que le guide se sentait responsable
du groupe et voulait les ramener en un seul morceau, quels que soient leurs
états d'âme entre temps. Jean-Louis, ça le fait rêver...
moi, pas du tout, j'aime autant être à pied, comme le couple
à mes côtés. En plus, les cavaliers nous confirment
qu'ils ne sont pas tout le temps à cheval, et même, qu'il leur
faut beaucoup marcher, et en plus, rapidement, au rythme du cheval, et en
tenue d'équitation, pas de randonneur. Bref, l'inconfort total. Et
pourtant, ils aiment ! Je ne comprends pas. C'est déjà dur
de se pousser soi-même, si en plus il faut composer avec les humeurs
du cheval !
DEBUT | 4/5 |
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