Nous
marchons donc sur ces sentiers très bien balisés et tracés
sur des dizaines de kilomètres (je ne sais pas s'ils font
réellement tout le tour de la Bretagne, mais sur la côte
de granit rose en tout cas, ils sont pratiquement continus). Ce qui
est agréable,
c'est la variété des paysages rencontrés : d'abord,
parce que la marée
change au cours de la journée, et que dans cette région
cela modifie considérablement l'aspect des côtes (-même à la
fin de la semaine, nous n'aurons pas encore tout-à-fait intégré cette
donnée qui paraît évidente à l'énoncé-),
et ensuite, parce que nous longeons la mer à travers sable,
rochers, landes, forêts,
champs ou villages.
Un matin, nous nous garons dans un parking tout prêt d'une plage aux eaux bien bleues. Je me dis : "Chouette, ce soir, nous pourrons prendre un petit bain avant de remonter dans la voiture". Et en fin d'après-midi, bien fatigués, nous y arrivons et... plus de mer : celle-ci s'est retirée à des centaines de mètres là-bas au loin, il faut marcher sur de la vase et du sable durci, au milieu des algues gluantes qui cachent des flaques d'eau de mer, des rochers piquants de granit rose rugueux, hérissés de surcroît d'une myriade de petits coquillages pointus blancs, de patelles (chapeaux chinois) et de moules dressées agglutinées en nappes noires luisantes. Finalement, on prendra plutôt une douche au camping !
Ce
qui me plaît beaucoup justement, ce sont ces côtes grouillantes
de vie. Jano et moi nous souvenons qu'autrefois, moi au Port
Vieux à Biarritz, et lui à Ilbarritz, nous passions beaucoup
de temps avec l'épuisette à pêcher petits poissons
et crevettes, à
ramasser
des oursins
ou des étoiles de mer, et à titiller les anémones
de mer. Il n'était
pas rare non plus de voir des pêcheurs revenir avec des pieuvres
qu'ils retournaient comme un gant et battaient longtemps sur le rocher
pour
les tuer. Jano les attrapait au trident et sa mère les cuisait
divinement, ou bien très vite, ou plutôt à mijoter
des heures durant, et, ajoute-t-il, il y avait la même différence
de goût par rapport aux chipirons du
commerce
qu'entre
une viande d'élevage et un gibier fraîchement chassé.
Sur certaines portions de ces côtes bretonnes, nous nous réjouissons
de découvrir
ces variétés foisonnantes, de nombreuses algues différentes,
une sorte de laitue très molle qui sèche sur le rocher
en y laissant incrustés
des filaments blancs emmêlés, des chevelures souples qui
remuent au moindre frisson de courant, des algues à pustules
emplies de gaz (fucus ?) qui se dressent sur les fonds comme une forêt
miniature où se cachent
poissons,
coquillages et crabes, de la frisée rousse et rèche,
des langues fourchues plates et vertes, et aussi des coquillages de
toutes formes.
Jano
s'exclame en voyant une patelle se déplacer lentement. Pourtant, elles
paraissent immuables, plaquées contre
les rochers. Elles sentent que l'eau s'enfuit et tâchent de la suivre,
autant que possible, pour diminuer le nombre d'heures à attendre
au
sec son retour. Les bigorneaux font la joie de Rose qui passerait
des journées entières pliée en deux sur la plage à ramasser des coquillages
: ils sont bruns, blancs, jaunes, gris ou rouges, striés, veinés,
marbrés, d'autant
plus luisants et colorés qu'ils sont sortis depuis peu de
leur matrice aqueuse. Bien sûr, elle ne prend que les coquilles vides,
qu'elle
se promet d'arranger artistiquement dans un joli vase de verre transparent,
en biais sur un lit de sable fin.
Avançant
précautionneusement, dans l'eau jusqu'aux
genoux, je guette les poissons parmi les algues. Tout d'un coup, un
crabe jaillit, affolé. Beu-vert, avec des taches jaunes, il
est superbe mais un peu agressif : bien calé sur le sable blond, il
se dresse sur ses pattes et tend ses pinces
qu'il ouvre et referme en direction de mes orteils. Je recule, puis
me raisonne et le menace de mes doigts tendus que je plonge dans l'eau.
Cette fois, c'est lui qui
cède
et il disparaît, à mon
grand regret, en se carapatant de côté dans les buissons
d'algues tous proches. J'en croise un autre un peu plus loin, vision
fugace, puis
plus rien. Quelques bancs de petits poissons presque transparents frétillent
et disparaissent. J'ai un peu peur de marcher sans savoir où je
mets les pieds. Et si une pieuvre m'attrapait la cheville ? Ou un autre
crabe ? Je préfère continuer sur les rochers, au sec.
Il paraît que cette géologie particulière de la côte
serait due à une éruption volcanique avortée. J'en déduis donc, lorsque
je vois quelques rares rangées de rochers noirs et lisses perdues au
milieu de tout ce granit rose ou beige, qu'il s'agit peut-être de coulées
de lave de basalte échappées par les interstices et les fentes créés
lors du soulèvement des strates anciennes. Les moules n'ont pas l'air
d'avoir de préférence et se fixent partout où elles le peuvent.
Je
n'ai pas encore parlé des goélands. Contrairement aux
mouettes qui volent à l'intérieur des terres en suivant
les cours d'eau, ces oiseaux opportunistes affectionnent la cohabitation
avec les humains dont ils
glanent les
déchets. Ils concurrencent les pigeons, viennent réclamer
des miettes du pique-nique, se laissent approcher parfois de très
près, mangent
aussi bien de petits animaux vivants que morts et hantent les décharges
sauvages.
Ils
poursuivent les bateaux de pêche et hantent les champs
fraîchement labourés derrière le tracteur qui dégage
des sillons emplis de vers appétissants... Bruyants
et agités, leurs cris traversent les airs et lorsqu'ils se perchent,
tendent leur cou et répondent à leur congénère
par une série de vocalises peu harmonieuses, cocorico éraillé
et grinçant.
Le jeune, au plumage gris-brun, poursuit sa mère de ses pépiements incessants pour l'obliger (vainement) à le nourrir quatre années durant. Lassée, et pour le contraindre à chercher lui-même sa nourriture, elle dérobe vivement les miettes que nous envoyons au petit. Les goélands s'installent également en colonies sur les rochers, ou font la sieste sur l'eau, bercés par la faible houle. Il n'y a pas de vagues, ni de rouleaux, la mer est calme comme un lac, cela nous change de la côte basque. Nombreux sont les voiliers qui naviguent en cabotage entre les îles et pénètrent dans les criques abritées pour y jeter l'ancre. Si nous étions bretons, sûr que nous aurions appris à naviguer, la côte est si plaisante et la mer (apparemment) si accueillante...
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