Ce
n'est pas le tout, il faut nous mettre au travail ! Nous voici à pied
d'oeuvre au moulin de Lys où habite Dominique, le frère de Rose, qui
a réuni, comme chaque année, des amis qu'il a initiés à l'art traditionnel
de la découpe du canard gras et de l'élaboration de conserves, pâtés,
rillettes et autres confits. Avec Anne, sa compagne, il a un peu rangé
la grange attenante au gîte pour libérer de l'espace. A une tringle pendent
déjà
des saucisses
et boudins : il a récemment fait tuer un cochon et fabriqué tout un tas
de cochonnailles et profitera de l'occasion pour les confire dans la
graisse de canard. Nous faisons la chaîne pour débarrasser la voiture
en prenant garde aux trois grands chiens, nez au vent, super intéressés
par ce que nous faisons. Il faudra sans cesse prendre garde à ce qu'ils
ne pénètrent pas dans la grange.
Je me retrouve très vite dans le vif du sujet. Rose m'a recommandé d'emporter mon petit couteau. Il sera bien utile. Il vaut mieux employer des instruments auxquels on est habitué. Malgré tout, je ne pourrai pas éviter de m'entailler un doigt le vendredi (je n'ai toujours pas compris comment, j'étais trop occupée pour y prendre garde) et un autre le lendemain (là, c'était plus impressionnant, parce que je mettais du sang sur toute la carcasse - cuite - que j'étais en train de racler pour en retirer les chairs destinées à confectionner pâtés et rillettes : beurk !).
Debout
près de Rose au-dessus de la même planche à découper, nous avions chacune
notre canard (un monstre de six kilos
que j'arrivais à peine à soulever) et je suivais pas à pas ses indications.
D'abord,
découper en longueur la peau en suivant le plus possible le dessus
du bréchet, appelé aussi quille du sternum, sur lequel s'insèrent
les muscles qui servent au vol. - Il existait déjà chez certains dinosaures,
ancêtres
des oiseaux, qui avaient aussi des plumes -.
C'est très facile, la
peau ne résiste pas du tout, elle est doublée de graisse, en réalité,
il faut plutôt prendre garde à ne pas enfoncer le couteau trop profondément,
sinon on risque de percer le foie, ni de terminer la fente trop bas
vers le croupion, sinon on perce (ce que j'ai fait la première fois,
évidemment !) le bout de l'intestin dont le liquide se répand. Il faut
vite réagir, Rose m'a fait pencher la bestiole pour ne pas contaminer
l'intérieur, elle s'est emparée de sopalin avec lequel elle a épongé
les dégâts et elle m'a découpé le bout pour le séparer du corps et
l'isoler. Après, il a fallu aussi rincer l'intérieur du canard, et
nettoyer la planche. Pour les autres canards, après, j'ai fait plus
qu'attention !
Bref,
une fois fendu, on écarte les chairs quasiment rien qu'avec les doigts,
le couteau ne sert que pour tailler quelques
adhérences : les magrets se retrouvent à plat de part et d'autre tandis
que les aiguillettes sont encore collées sur les flancs du bréchet.
A ce stade, on peut déjà retirer le foie, mais là, c'est nettement
plus technique. Pendant qu'on évase un peu la carcasse d'une main,
il faut plonger l'autre dedans, et séparer doucement toutes les adhérences
qui maintiennent le foie et les entrailles à la carcasse. Je me suis
aperçue après coup que j'avais le dessus de la main droite tout écorché
par les aspérités intérieures des côtes, à force de m'escrimer, bestiole
après bestiole. Ensuite, il faut enfoncer profondément la main pour
se saisir des "tuyaux" dans le cou.
Là
aussi, j'ai mascagné, parce que je ne savais pas qu'il fallait d'abord
les détacher un peu de la
peau par l'extérieur (j'ai oublié de dire que la tête avait été préalablement
coupée, mais chacun a sa technique, on peut la garder à ce stade et
y arriver quand même). En plus, ces saletés, ça dérape sous les doigts
et on n'a aucune prise. A chaque fois, je me suis énervée et il a fallu
que
Rose
m'aide,
d'autant qu'avec mon épaule mal rafistolée, je n'avais pas la force
de bien maintenir la bête de la main gauche.
Quand
enfin les entrailles viennent, elles font comme un bruit de succion
et la masse molle,
douce et grasse se détache d'une secousse. Il faut alors faire gaffe
: gare
à ne pas abîmer le foie, à ne pas trop tirer sur les tripes, ce qui
risquerait de déchirer la poche de fiel qui répandrait son liquide
vert peu appétissant sur le foie - délicatesse, délicatesse !
On
sort enfin le paquet un peu sanguinolent (comme un nouveau-né !), on
soulève
les intestins, on découpe la bile dont on grattera ensuite les vestiges
de son empreinte verte sur le foie d'une belle couleur chair luisante.
Cette opération ressemble énormément à un accouchement, la douleur
des contractions en moins. Ce qui était bien, aussi, c'est que les
canards avaient conservé la fraîcheur de la chambre froide dont ils
avaient été retirés quelques heures plus tôt, et si cela induisait
peut-être une certaine rigidité des chairs, par contre, il n'y avait
absolument aucune odeur nauséabonde. C'était ce qui m'inquiétait avant
de venir : quarante à soixante cadavres dans une pièce, d'une part
cela aurait pu être visuellement impressionnant, et d'autre part nous
aurions pu être incommodés par leur odeur. En fait, pas du tout !
Il
faut dire que nous n'avions pas vraiment le temps de nous appesantir.
D'abord, nous nous sommes dépêchés de débarrasser
la voiture, sitôt
arrivées, à cause
des chiens. Ensuite, le compte
à rebours à commencé. Quarante canards, ce n'est
pas une sinécure
! Il ne s'agit pas de chômer si on veut tous les découper
et les cuire en deux jours. Le
ballet avait été bien réglé et il s'est
vite ajusté
dès la première demi-heure. Nous nous sommes répartis
les tâches,
Michael
à la hache pour sortir têtes, pattes et bouts d'ailes,
Sergio, lui, découpait les peaux en petits morceaux qu'il
faisait fondre dans une immense bassine sur le feu et il inspectait
les carcasses pour
vérifier
si rien n'avait été oublié (nous avons malgré tout
découvert un ou
deux coeurs et deux ou trois aiguillettes, cuits par erreur dans
la graisse avec les carcasses).
La "véto",
Bénou, (épouse
de Sergio), Christian (le Toulousain), Rose et moi étions à la
découpe. D'autres volontaires
ensuite se sont rajoutés vers le soir et le lendemain.
Dès que le foie, partie noble, était isolé, on prenait le paquet de tripes enfouies dans la graisse (finalement, il y en avait partout et elle enveloppait toute chose), et on sortait le gésier que l'on dégageait de sa gangue de graisse, de même que le coeur. Le reste était jeté. C'était ensuite au tour de la carcasse d'être libérée de son enveloppe de chair. Ce n'était pas vraiment facile, elle y adhérait encore fortement. Puis on découpait les magrets, les cuisses, les ailes, le cou à détacher de la tête, la peau doublée de graisse (sauf le bout du croupion où restaient plantées des vestiges de plumes) que l'on empilait par catégories dans des bassines et récipients de plastique récupérés chez un glacier.
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Rose, Cathy, Dominique et Anne, Christian et Michèle, Sergio et Bénou, Michael et Marc, les jumeaux et Charles, Léa et son cheval... | Canards gras à Lys |
5 et 6 décembre 2008 |