La partie la plus délicate, qui conditionnera la qualité finale du foie, c'est l'assaisonnement. Je n'ai pas retenu les proportions, mais j'ai entendu les tenants du "salé" discuter avec ceux du "pas trop salé". Dominique est arrivé sur ces entrefaites et s'est mis à contester la pesée simultanée du sel et du poivre dans le même récipient - d'autant que le poivre, très léger, n'arrivait pas à faire bouger le curseur de la balance, peu sensible il est vrai, et il a fallu en mettre un sacré volume pour atteindre les proportions désirées -. C'est Rose qui a pris la tête des opérations. Elle a pesé les foies, par lots puisqu'ils ne tenaient pas ensemble dans le bac de la balance, puis le sel. Elle a moulu le poivre avec un antique (et magnifique) poivrier à tiroir. Puis le plan de travail a été dégagé et nettoyé, les foies étalés dessus et soigneusement saupoudrés de la mixture mélangée poivre et sel, dessus, dessous, dessus, dessous. De mon point de vue, ce n'était pas la peine de faire tant d'histoires, parce que la majorité de l'assaisonnement est resté sur la table...

On s'était tous drôlement appliqués pour que les foies restent entiers et intacts, très présentables. Mais quand il a fallu les mettre en bocaux, cela a été une autre histoire. Comme ils étaient toujours un peu gelés de leur séjour en chambre froide, ils n'étaient pas souples, donc, très difficiles à plier en douceur sans se rompre pour qu'ils remplissent au maximum l'espace exigu. Chacun évaluait du doigt la malléabilité des foies et nous nous sommes tous emparés des plus faciles, laissant les autres pour la fin... mais il a bien fallu s'en occuper, les découper en morceaux que nous avons insérés en enfonçant de force, avec de moins en moins de délicatesse, pour que tout finisse par rentrer ! Mais il n'en fallait pas trop non plus ! Rose m'a obligé à tout ressortir d'un pot empli de façon trop compacte, évidemment, c'était coincé, on a mascagné, et il a fallu répartir le surplus dans des pots encore incomplets.

Le bord soigneusement essuyé, la rondelle caoutchouc de la bonne dimension placée à l'intérieur du couvercle de verre, les pots ont été fermés hermétiquement et empilés avec précaution dans le stérilisateur. On dirait une de ces anciennes lessiveuses en fer blanc, dressée sur un cercle de gaz enflammé, dont le fond intérieur est recouvert d'une grille que l'on peut soulever grâce à plusieurs tiges de métal fixées en son centre dont l'extrémité qui dépasse le couvercle percé est équipée d'un thermomètre : les pots doivent cuire au bain-marie et ne pas toucher le récipient. Des briques plates et un vieux jean servent à caler le tout. On y verse de l'eau (plein de bassines) et les pots restent à bouillir "un certain temps" et "à une certaine température" (que je n'ai pas notés, mais qui sont très précis). A ce propos, il faut vraiment beaucoup de matériel, et régulièrement il y avait un plan hors sec bocaux, rondelles ou couvercles qu'une équipe a dû compléter en faisant des courses aux commerces (pas très) proches des environs. Ce n'est pas facile de prévoir les bonnes quantités et les bonnes contenances pour autant de canards.

Tant qu'à faire, en attendant, de la chair à pâté de porc a été mêlée à de l'oeuf et des condiments pour en remplir de petits pots mis à cuire dans un autre stérilisateur. Sergio, lui, plongeait les cuisses, ailes et magrets dans le gros sel pour qu'ils dégorgent de leur sang toute la nuit, opération préalable à la confection des confits. Enfin, une équipe courageuse (dont j'étais) s'est lancée dans la phase très ingrate de nettoyage des gésiers. Il faut les fendre dans le sens inverse de celui qu'on serait tenté de suivre (texto, ça ne s'invente pas, un conseil pareil !). Ensuite, on vide soigneusement l'intérieur des petits cailloux mêlés à la nourriture que le canard était en train de broyer par ce biais (puisqu'il n'a pas de dents pour mâcher), on rince, puis on se lance dans le retrait (très, très difficile et laborieux) de la peau jaune. Quand on voit faire le boucher, c'est simple, il désolidarise cette peau caoutchouteuse de l'autre qui est blanc argenté, et il tire ! Eh bien, dans la réalité, c'est bien plus difficile que ça, parce qu'on ne trouve pas l'interstice salvateur et qu'on n'a strictement aucune prise sur cet organe souple et glissant. Donc, nous voilà tous réduits à en couper des lichettes, les unes après les autres, en manquant à chaque fois de faire déraper la lame vers nos doigts, et l'ablation de la peau jaune des quarante gésiers dure un temps infini...

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Rose, Cathy, Dominique et Anne, Christian et Michèle, Sergio et Bénou, Michael et Marc, les jumeaux et Charles, Léa et son cheval...
Canards gras à Lys
5 et 6 décembre 2008