Urdaibai

Carte de la réserve d'UrdaibaiCe dimanche matin, nous avons rendez-vous avec le guide à Busturia. Par erreur, après la traversée de Guernika, Jeannot tourne à droite au panneau indiquant Forua et, en faisant demi-tour avec les six autres voitures, j'aperçois les vestiges romains dont j'avais vu la photo à la Barnategia (très branchée écologie et histoire locale, en plus des racines basques) : vu la taille, il s'agit sans doute des fondations d'une ancienne villa romaine. Santimamiñe, peintures rupestresEn fait, la région est habitée depuis la préhistoire. La grotte de Santimamiñe (Kortezubi) est ornée de peintures rupestres de l'époque magdalénienne (15000 ans av. J.-C.) d'une qualité égale à celles d'Altamira sur la corniche cantabrique. C'était une région de forêts parcourues par des cerfs et des sangliers (entre autres).

Après l'ère des glaciations, vers 9000 av. J.-C., s'initia une nouvelle forme de culture paléolithique "la cultura de los concheros" (la culture des mangeurs de coquillages), extraits de la "ría" (fjord basque ou estuaire profondément envahi par la mer), qui formaient l'alimentation de base des humains. C'est probablement au néolithique, vers 5000 av. J.-C. que la langue basque devint un trait d'union et de communication entre les populations.

L'influence de la culture indo-européenne du fer se fit sentir durant les derniers siècles du premier millénaire av. J.-C, vers le IIème siècle av. J.-C. Les nouveaux arrivants s'installèrent dans des lieux stratégiques où ils pouvaient contrôler les voies de communication terrestres et fluviales les plus importantes. UrdaibaiDes vestiges de cette culture se trouvent à Marueleza (Nabarniz), Kosnoaga (Gernika) et Iluntzar (Nabarniz) ainsi qu'au Sanctuaire de Gaztiburu (Arrazua).

Quant à l'époque romaine, c'est la "ría" de Guernika qui offre le plus grand nombre de témoignages : la stèle de Morga (IVème siècle), les objets de Peña Forua, les vestiges de Portuondo et d'autres zones de la côte. Ces sites se trouvent sur de petits promontoires naturels le long de la rive gauche de la "ría", en relation avec le trafic maritime de cabotage entre la Méditerranée et l'Atlantique nord et l'exploitation des ressources naturelles de la région (mines de fer et marbre).

Le guide d'UrdaibaiLe guide nous explique ce qu'est Urdaibai : il s'agit d'un site classé "réserve de la biosphère" par l'Unesco en 1984. C'est un ensemble de deux vallées (principalement celle de la "ría" de Guernika où nous nous trouvons et une autre sur l'autre versant des collines qui bornent l'horizon). Il insiste sur un point crucial : ce n'est pas seulement la préservation d'un espace naturel, mais également celle d'un écosystème où l'homme occupe une grande place. L'émission de Thalassa qui nous avait donné envie de venir nous a induits en erreur, mettant l'accent sur la faune sous-marine et les oiseaux migrateurs, nous montrant surtout la "ría" et l'étendue marécageuse. Nous nous attendions à marcher le long de l'eau, les pieds dans le sable, sur un sentier au milieu des joncs et guettant les oiseaux de mer (comme à la réserve du Teich, au bassin d'Arcachon). Pas du tout ! Richard et Serge seront tellement déçus qu'ils se désintéresseront de la visite guidée, en troublant même le cours à plusieurs reprises, comme des écoliers turbulents.

Observation des oiseaux à UrdaibaiUn autre problème se pose également : le guide s'exprime en espagnol et je fais l'interprète, avec l'aide des autres membres hispanophones du groupe. Mais Serge, qui ne parle pas espagnol, est par contre bilingue français-basque et les quatre enfants qu'il a amenés sont scolarisés en ikastola (école basque). Il demande donc à ce que le guide s'exprime plutôt dans cette langue, et c'est lui qui ferait la traduction en français. Bien sûr, le guide ne parle pas français (ou très peu), ce qui aurait résolu la question. Enfin, un consensus est trouvé pour un discours majoritaire en espagnol, avec quelques apartés en basque (d'ailleurs moins scrupuleusement traduits au reste du groupe).

Nous pénétrons dans la partie dépourvue d'habitations en traversant la voie ferrée de l'Eusko-Tren (le Topo local) qui relie Bilbao à Bermeo, je crois, et qui longe la rive de l'Oka au plus près, puis la "ría". Le guide nous montre la végétation d'aulnes et de saules, typique d'un sol humide, et leur remplacement progressif par le tamaris vers la côte, car il est plus résistant à l'air iodé et à la salinité du sol. Une cabane d'observation des oiseaux vient d'être faite par des bénévoles. Nous l'inaugurons. Les volets sont relevés vers l'intérieur, la lunette est fixée sur son trépied, orientée vers les oiseaux en faible nombre qui se trouvent sur la rive opposée.

Observation des oiseaux à UrdaibaiUrdaibai se trouve sur le trajet des oiseaux migrateurs pour lesquels cette zone semi-marécageuse offre un havre de récupération, particulièrement les jours de pluie ou de tempête. Aujourd'hui, il fait très beau, donc les oiseaux du grand nord (Scandinavie, Europe de l'est) préfèrent poursuivre leur route vers l'Afrique (Sénégal), leur lieu d'hibernation. Il est encore un peu tôt d'ailleurs pour pouvoir profiter de la vue des grands vols migratoires qui s'effectuent surtout en octobre-novembre. Nous observons des mouettes, qui plongent dans les eaux poissonneuses, et les cormorans au col sombre. Ils pêchent dans les mêmes lieux mais ne se font pas concurrence. En effet, les cormorans, qui nagent sous l'eau en groupe, coordonnent leur action de façon à rassembler leurs proies en une masse compacte pour s'en saisir plus facilement. Pris au piège, les poissons sautent hors de l'eau pour passer la barrière des volatiles. C'est alors que les mouettes entrent en action, plongeant à qui mieux mieux à l'extérieur du cercle pour se saisir des fuyards.

UrdaibaiAu bout d'une branche émergée se dresse un martin-pêcheur. C'est très rare de les observer ainsi, immobiles. J'en ai vu un qui rasait les flots de la Nive, éclair vert et rouge, près de la piste cyclable de Bayonne à Ustaritz, mais c'est un plaisir bref. Les limicoles arpentent le sable mou, plongeant leur bec pointu dans la vase à la recherche des animalcules. Ici aussi, les oiseaux ne se font pas concurrence mais sont complémentaires, attrapant une certaine catégorie de mollusques ou crustacés en fonction de la longueur de leur bec. L'un d'eux est particulier : au lieu d'avoir un bec fin, comme les autres, il l'a plutôt court et large. Il s'en sert comme d'un pic pour fracasser les coquillages. Le guide complète ses explications en nous montrant sur un livre les photos des oiseaux dont il parle.

"Polders" d'UrdaibaiNous quittons la cabane et avançons vers une autre zone particulière de la réserve. L'intérêt, nous dit-il, c'est la diversité des sites sur une zone réduite qui constituent autant d'écosystèmes différents. Il y a trois siècles, les habitants ont souhaité s'approprier ces zones planes occupées par des marais et la "ría" et ils ont entrepris de les remblayer pour les ensemencer de céréales. Des digues ont été construites, munies d'écluses fermées à marée haute et ouvertes à marée basse pour permettre l'écoulement du trop-plein d'eau et l'assèchement des terres. Avec l'exode rural, ces champs ont été convertis en prairies sur lesquels paissaient le bétail. Enfin, la main d'oeuvre ne cessant de diminuer, l'entretien des digues et des écluses n'a plus été possible et l'eau de mer, à l'occasion des tempêtes hivernales, s'est de nouveau appropriée les lieux, rendant les terres incultes. Désormais la végétation change progressivement. L'herbe est remplacée par des plantes qui supportent l'eau saumâtre, selon une gradation visible à l'oeil nu, depuis celles qui ont toujours les racines dans l'eau jusqu'à celles qui ne sont inondées que périodiquement. Cette zone contente les oiseaux qui préfèrent le pourtour des zones humides et ne pêchent pas. D'ici quelques dizaines d'années, ces "polders" auront totalement disparus et la zone sera de nouveau totalement immergée à marée haute.


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