Urdaibai

Visite guidée à travers la campagne d'UrdaibaiNous rejoignons le parking et prenons à pied une petite route de campagne en direction de l'estuaire. Il fait chaud, l'heure avance et la faim commence à nous tenailler (un week-end ne suffit pas pour passer au rythme espagnol). C'est la fronde : Richard et Serge reconnaissent de moins en moins l'utilité de cette visite guidée. Marcher sur une route au milieu de la campagne cultivée, quel en est l'intérêt ? Je traduis les critiques et le guide répond simplement qu'il n'existe pas de chemin qui longe la "ría", il n'y a que la voie ferrée. C'est déjà bien qu'Urdaibai existe : avant la création de cette réserve, et depuis l'époque de Franco, il y avait une forte volonté étatique pour transformer les rives en zone totalement urbanisée. On a voulu aussi y mettre un aérodrome (comme à Fontarrabie), et bien d'autres projets de bétonnage intensif ont été proposés qui, fort heureusement, n'ont pas abouti. Pergola au-dessus de la "Ruta Juradera"La population s'est mobilisée, écologiste avant l'heure, prenant conscience de la richesse de ce patrimoine et de la nécessité de le sauvegarder. Il n'y a apparemment aucuns fonds alloués pour l'exploitation touristique de cette réserve. La cabane d'observation est l'oeuvre de bénévoles, l'ancienne ayant été brûlée. Les touristes se promènent à leur guise l'été et le guide s'adresse davantage aux scolaires (espagnols et parfois français) qui désirent connaître la réserve.

Une pergola a été érigée, également par des bénévoles qui y ont passé sept week-ends, au-dessus d'un tronçon du "Camino Real" (chemin royal), aussi appelé "Ruta Juradera" (Route du Serment). C'est le chemin qu'empruntaient les Seigneurs qui allaient promettre de respecter les lois ("los Fueros") qui régissaient la Biscaye à partir de la fin du Moyen Age. Le serment, affiché dans le "Salón de Plenos de la Casa de Juntas" (salle plénière de la maison des assemblées), se libelle ainsi :

Yo, Señor de Vizcaya juro que bien
y verdaderamente guardaré y
mandaré guardar todas las
libertades, franquezas y privilegios,
usos, costumbres, que los
Vizcaínos, así de la tierra llana
como de las villas y ciudad, y
Encartaciones y Durangueses de
ella tuvieron hasta aquí y en la
manera que ellos tienen y quieren.
Le Seigneur prête serment
Moi, Seigneur de Biscaye jure que
je respecterai et ferai respecter
véritablement toutes les
libertés, franchises et privilèges,
us, coutumes, dont les
habitants de Biscaye, aussi bien de la plaine
que des villages et des villes, et
les communes autogérées et les habitants de Durango
jouissent à ce jour
sans y rien changer et conformément à leur volonté.

Pergola au-dessus du "Camino Real"Fleurs de la fermeDans le même esprit, les bénévoles planteront des ceps de "txakoli" dont les sarments courront tout le long de la pergola et la recouvriront. D'origine médiévale, c'est le vin de la côte basque : fruité, léger avec une pointe délicate qui le rend rafraîchissant. Sa personnalité lui vient de deux variétés autochtones de raisin, Hondarribi zyri et beltza. Possèdent une dénomination d'origine les vins de Getaria, Bizkaiko, Txakolina et Araba.

Le guide nous fait passer devant une ferme à l'ancienne, qui peut pratiquement vivre en autarcie car elle fait de la polyculture (céréales, verger, potager) et pratique l'élevage. Nous voyons justement un couple aidé d'un ouvrier agricole en train de gerber le foin en meule à l'aide de fourches. Un peu plus loin, un paysan manie la faux. Vendée Globe Challenge, course en solitaire autour du monde, voilier du participant de la BiscayeCe mode de culture n'épuise pas les sols et peut se poursuivre des siècles durant au même endroit sans dommage pour la terre ni besoin d'amendement autre que naturel. Evidemment, ce n'est pas comme cela qu'on devient riche, et c'est une dure tâche quotidienne qui ne permet aucun congé ni départ en vacances. En Biscaye, comme dans toute la Communauté Autonome Basque je crois, il n'y a pas de terrain classé "agricole", ce qui signifie qu'un jeune qui souhaiterait devenir agriculteur doit acheter son champ au même prix qu'une parcelle pour bâtir une villa à Bilbao ou Guernika. Autant dire que c'est impossible, financièrement parlant, et que si, par chance, une banque lui prêtait, il n'aurait pas assez de sa vie entière pour la rembourser.

Forêt de pins californiensLe guide montre les forêts de conifères autour de la "ría", qui couvrent désormais une grande partie des sols de la Communauté Autonome Basque. Il s'agit d'un pin de Californie, de la région de San Francisco plus précisément, qui, là-bas, n'occupe pas une grande surface, mais qui a été exporté en Europe avec grand succès. Les exploitants forestiers l'apprécient non pas pour ses qualités intrinsèques (on ne peut en faire des meubles ni des poutres, mais seulement le réduire en charpie pour la pâte à papier, semble-t-il), mais pour sa croissance rapide qui permet une bonne rentabilité sur le court terme. ArbousierLe problème, c'est que les conifères rendent les sols acides,de même que les eaux qui traversent ces forêts. Le processus est lent, donc peu sensible, mais il s'agit d'une détérioration réelle des sols. En outre, les coupes se font sur de grandes surfaces laissées à nu le temps de la plantation et de la croissance de jeunes arbres en remplacement. Avec les pluies fréquentes dues à la proximité de l'Atlantique, l'érosion de la fine couche d'humus sur les pentes abruptes du relief est accélérée. EucalyptusNous passons devant un bois d'eucalyptus. Les nuisances occasionnées par cet arbre australien sont encore pires que celles du pin : il épuise les sols en captant tous les sels nutritifs et les assèche à son profit, faisant mourir toute la végétation alentour. Un arbre dans un jardin ne peut pas faire de grands dégâts, mais des forêts entières sur des hectares de terrain déséquilibrent l'écosystème local.

Les filles en fin de visite guidée d'UrdaibaiTout en devisant, nous parvenons près de l'embouchure de la "ría". En passant sur un petit pont, il nous fait remarquer une drôle de petite bâtisse de pierre qui a presque les pieds dans l'eau. Au début du siècle, un restaurateur astucieux avait bâti un vivier à langoustes fonctionnant de manière parfaitement autonome. Des ouvertures basses permettaient à l'eau de mer d'entrer lorsque la marée montait, et les bassins étaient placés de telle façon qu'ils ne se vidaient pas lorsque la marée descendait : un système idéal pour assurer aux riches clients de Bilbao et de Guernika une langouste fraîche et succulente. Dommage que la tradition ne se soit pas transmise, nous y aurions goûté sans doute, nous aussi !

L'embouchure de la "ría"Nous montons sur une petite île où subsistent des espèces endémiques de style méditerranéen en raison du sol calcaire qui ne retient pas l'eau et du micro-climat assuré par la vallée orientée nord-sud qui laisse le passage au vent chaud. Nous écoutons le chant des oiseaux et essayons de reconnaître celui du rossignol, de la mésange et du merle. Puis nous passons aux arbres. Il se baisse pour prendre une feuille : voilà une feuille jeune, elle est dentelée et à chaque pointe est plantée une épine, c'est une protection de l'arbre contre les herbivores ; par contre, les vieilles feuilles sont arrondies, sans doute plus dures, elles ne nécessitent plus ce moyen de défense. Pique niqueUne autre feuille est vernissée pour limiter la transpiration et la perte d'eau. Il nous vante les vertus de l'arbousier. Dans ce parc protégé, c'est un véritable arbre au tronc épais et rugueux. Il a la faculté particulière de fleurir en automne, au même moment que ses fruits de l'an passé deviennent mûrs. Ainsi les insectes trouvent encore à butiner à une époque où il n'y a plus guère de fleurs, ce qui permet également aux oiseaux insectivores de subsister. Beñat, qui comptait couper celui qui pousse dans son jardin, décide in peto de n'en rien faire !

Cette marche lente au soleil nous a épuisés. Beñat parle encore un long moment en basque avec le guide tandis que la majorité du groupe recherche un coin à l'ombre pour s'asseoir. Nous finissons par déjeuner sur l'herbe là-même pour nous requinquer avant de reprendre la voiture pour Gaztelugatxe.


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