Chacun
s'ajuste comme il peut, seul ou avec une aide attentionnée. Puis nous
nous séparons, comme prévu, les enfants partent les premiers
en file indienne, à pied puis à la nage, et nous les suivons
un moment après. J'ai serré à fond le couvercle de mon
petit bidon, en espérant que mon appareil photos ne sera pas endommagé
par cette expédition aquatique. Une fois dans l'eau, après une
hésitation, je me mets dans la position préconisée par
le guide, sur le dos, le sac bleu (où est enfoui le bidon) servant
de coussin pour la tête. Ce n'est pas désagréable, car
ainsi l'eau ne s'insinue pas trop dans le cou et j'ai la tête à
peu près au sec.
Christine
L. a des difficultés à maintenir la position, elle préfère
la brasse, qui offre pourtant l'inconvénient majeur de tordre le cou
et cambrer le dos, mais surtout de ne pas pouvoir profiter pleinement du paysage.
Le problème, c'est qu'elle a l'impression de ne pas avancer et de faire
du sur-place, ses battements de pieds rendus peu efficaces en raison du poids
de ses chaussures gorgées d'eau. Elle est un peu inquiète, parce
que Jeannot lui a fait la lecture tous les soirs depuis un mois en lui décrivant
tout ce qu'il y avait à faire dans la sierra de Guara (où nous
sommes) et notamment les détails impressionnants du canyoning (très
technique) dans le rio Mascun.
Enfin,
cela ne l'a pas découragée puisqu'elle est avec nous. Il est
vrai que je lui ai garanti qu'elle ne serait aucunement obligée à
faire quelque chose si elle ne le voulait pas (les sauts par exemple) et qu'il
y aurait toujours double option dans les passages difficiles, avec possibilité
de les contourner. Il faut avant tout que ce soit un plaisir.
La rivière ne reste pas calme bien
longtemps : le goulet se rétrécit, des roches en encombrent
le lit et contraignent l'eau à se frayer avec force bouillonnement
un chemin. Loin d'éviter ces accélérations du courant,
au contraire, nous nous y enfonçons, sautons ou nous glissons d'un
palier à l'autre, passons dans des mini-grottes et sous des cascades,
escaladons les rochers pour nous replonger dans le courant, tout cela, en
suivant scrupuleusement les instructions pour ne pas risquer un accident malencontreux.
Anna
se fait rattraper in-extremis par le guide, fétu de paille entraînée
dans les eaux tumultueuses. Jonathan se cogne le tibia violemment, et l'hématome
gonfle brusquement. Cinq minutes plus tard, lorsque je le fais examiner par
le guide, on ne voit déjà presque plus rien : la grande fraîcheur
de l'eau a fait office de glaçon, d'ailleurs, s'il n'y touche pas,
il n'a déjà plus mal.
Evidemment,
pour tous, le clou de la journée est marqué par la séance
des sauts, d'abord depuis une hauteur de 3-4 mètres, puis de 10-11
mètres pour les plus courageux. En principe, il faut atterrir en position
groupée ("en bombe"), mais c'est parfois plus facile à
dire qu'à faire, et chacun adapte en fonction de ses capacités
(et de sa peur). Un peu plus bas, une piscine naturelle permet aussi aux plongeurs
de faire la démonstration de leur style, les pauvres poissons n'ont
qu'à s'écarter, s'ils ne veulent pas être écrasés
sous le choc. J'espère qu'ils n'ont pas les tympans fragiles (ou ce
qui leur en fait office - la ligne médiane le long du corps, je crois-).
Nous
commençons à frissonner et, curieusement, l'air nous semble
plus frais. A l'ombre, nous sommes transis lors des passages uniquement aquatique
enserrés dans les falaises.
Personne
ne se plaint, mais lorsque nous empruntons brusquement un bras d'eau perpendiculaire
où l'eau stagne de plus en plus, au fur et à mesure que nous
nous éloignons du courant principal, et que nous constatons qu'une
agréable chaleur s'insinue dans notre combinaison, nous sommes tous
aux anges. Jean-Louis barbote dans une cuvette d'eau chaude, nous avons l'impression
d'être dans notre bain, ou mieux, dans ces sources d'eau chaude des
zones volcaniques.
C'est la fin du parcours. Les guides, alertés
par le grondement irrégulier du tonnerre, craignent un orage électrique
et nous pressent de retirer les combinaisons afin de remonter sur le plateau
à Rodellar. Nous les quittons à regret, et remontons entre les
buissons d'églantines qui nous égratignent au passage jusqu'au
sentier bordé de pierres sèches, vestige d'une exploitation
plus agricole de ces pentes raides. Nous
remontons à l'ouest de l'église de Rodellar éclairée
par les rayons obliques du soleil. La garrigue a changé de teinte et
des odeurs de lavande et de thym fusent de la terre surchauffée.
Il
faut regarder attentivement pour en déceler l'origine parce que les
plantes sont ramassées sur elles-mêmes et malingres, et leurs
fleurs pratiquement incolores, mais leurs senteurs... divines ! Nous réglons
les derniers détails financiers au local et nous entassons dans les
2 voitures (10 personnes dans la mienne !) afin de rejoindre le reste du groupe
au camping.
Là, j'ai une mauvaise surprise. La
veille au soir, nous avions réservé sans problème à
7 heures et demie pour dîner à 9 heures (beaucoup plus tard en
réalité, mais peu importe). Aujourd'hui, il y a affluence et
je m'aperçois que nous aurions dû réserver dès
la veille : c'est complet. Pendant
que les autres se douchent et se détendent, je bataille avec la fille,
puis la mère, et enfin les deux ensemble (le camping est une affaire
de famille, le fils est au bar et à la caisse du petit magasin). Je
finis par obtenir pour notre groupe (nous sommes tout de même 15 !)
un repas avant le rush.
Elles
me disent d'accord, mais tout de suite (7 heures et demie), et ce sont elles
qui décident de notre menu (un immense plat de pâtes à
la tomate accompagné d'une quantité de côtelettes d'agneau
grillées à point : un délice). Moi, bien contente, je
rapporte la bonne nouvelle. Je ne nous voyais pas, après cette longue
journée sportive, faire un repas collectif dans les petites cuisines
des bungalows, la vaisselle, le rangement et tout ce qui s'en suit... Ouf
! Nous l'avons échappé belle !
Rodellar Canyoning au rio Mascun 7-8-9 juin 2003 |