Conférence de Jean-Pierre Duhart, de Cambo, sur les meules de l'Artzamendi.

Plutôt spécialiste de la préhistoire dans le désert, Jean-Pierre Duhart a passé tout un été à repérer et dénombrer une centaine de pierres de meule de l'Artzamendi. Il a fait parallèlement une enquête digne de Sherlock Holmes pour tenter de connaître leur histoire. Il remplace au pied levé Claude DENDALETCHE, auteur avec N. SAINT-LEBE d'un livre intitulé "L'artisanat lapidaire sur le massif d'Artzamendi de 1741 à nos jours. 1. Extraction et évacuation des meules, lauzes et autres", travaillant pour le Centre de Biologie des Ecosystèmes d'Altitude (CBEA), Faculté des Sciences - Université de Pau. Voici le résumé qu'en fait le bulletin du Musée Basque :

Dès 1741 existaient sur Artzamendi (Mont Hartza ou Harcea des archives communales d'Itxassou) des carrières d'extraction de meules de moulins, de lauzes, de dalles, de linteaux, de pierres à aiguiser, de pierre à pressoir, de bornes frontalières. Le fermage de l'exploitation était périodiquement mis aux enchères (à l'encan). Dès 1772 un texte précise l'embarquement au port de Cambo des meules pour les moulins du pays aux environs de Bayonne et de Dax qu'on tire de Louhossoa et de Bidarray. Les vestiges actuels (150 meules actuellement répertoriées) concernent pour l'essentiel le Mont Hartza et la commune d'Itxassou. Ces produits étaient évacués par des attelages de bœufs tirant des traîneaux sur des chemins dallés, dont certaines parties montrent encore une étonnante fraîcheur. Le dépouillement des archives d'Itxassou ( de 1741 à l'an V) fournit de précieux renseignements sur les conditions d'extraction et d'utilisation de la pierre : dates d'attribution du bail à ferme, nom des personnes, conflits, place des carrières dans la vie de la communauté... L'ancienneté de la présence humaine sur Artzamendi et les montagnes de grès permo-triasiques circumvoisines (Iparla, Gorramendi, ...) est attestée par les premières utilisations de grès de la région : menhirs, dolmens et cercles de pierre. Les bornes limitant les Etats - par exemple celle de la ligne Caro-d'Ornano de 1784-1792 - sont taillées dans le même matériau. Le grès rose symbolise véritablement à la fois l'ambiance très particulière de ces montagnes basques pyrénéennes extrême-occidentales et a permis à l'homme de marquer ce pays durablement. Ces caractères justifient par eux-mêmes la recherche globale désormais entreprise sur ces contrées à la charnière du pays de Labourd, de la Basse-Navarre et de la Haute-Navarre.

J-P Duhart a trouvé au bas de l'Artzamendi des traces de fougères de l'ère primaire, une hache de pierre polie, une pointe de flèche : il rappelle que l'homme de Cromagnon est venu de Palestine vers -50 000 ans, puis il y a eu l'occupation du Gravétien -25 000 ans et du Magdalénien -10 000 ans. Les premiers occupants de l'Artzamendi en étaient à l'âge du cuivre, et sont sans doute ceux qui ont érigé des pierres (cromlechs, dolmens, menhirs - tous couchés et taillés -, chambres mortuaires) : c'était une population pastorale qui vivait il y a 4 000 ans. Ils élevaient des ovins, caprins et bovidés qui ont été domestiqués 8 à 9 000 ans avant J-C.

Le grès n'est pas gélifère. Très dur et abrasif, on le retrouve encore utilisé dans les pierres plates de clôture, le pavage, les tombes et stèles discoïdales, sur les quais de Bayonne sous forme de pavés, et enfin en meules. L'Artzamendi a subi une intense exploitation de ses carrières de pierre. On trouve une partie de meules à tous les stades de fabrication vers le col de Méhatché, qui comporte également des cromlechs. Les éboulis correspondent à des débris d'extraction, mais ils sont dus également aux effets du dégel à la fin de la dernière période glaciaire (-10 000 ans).

En 1996, il interroge le maire d'Itxassou, commune qui englobe l'Artzamendi. C'est un ancien maçon qui ignore jusqu'à l'existence de ces meules. Il le dirige vers un berger, tout aussi ignorant, puis il va voir le dernier meunier d'Itxassou à la retraite et enfin un général à la retraite qui prétend que l'on descendait encore des meules de la montagne au début du XXème siècle. En fait, la mémoire de ces carrières s'est perdue, la seule utilisation de ces meules était d'en faire des tables de jardin ou une décoration extérieure. Il lui faut aller consulter les archives de Pau où sont gardés les registres d'Itxassou depuis 1741. L'extraction de meules était une activité réglementée, soumise à fermage, mais on ignore la destination de celles de l'Artzamendi. En 1809, il y avait 200 000 moulins en France, dont 3 000 en Basse Pyrénées, soit un moulin pour 300 habitants, chacun avec une ou deux paires de meules (une dormante + une tournante). Pour évaluer l'âge de ces pierres, on a eu l'idée de comparer l'âge des lichens qui les recouvrent avec celui qui est sur certaines bornes frontières dont les dernières remontent à 1790.

Les lichens sont le résultat de l’union intime d’algues microscopiques et de champignons. Cette symbiose est si étroite qu’ils sont considérés comme un seul et même organisme, dont la longévité peut atteindre 1 000 ans ! Bien sûr, toute rencontre d’une algue et d’un champignon ne conduit pas à la formation d’un lichen. Et il a fallu des centaines de millions d’années, ainsi que des conditions particulières, pour que ces plantes voient le jour.

Plus de 20 000 espèces de lichens sont aujourd’hui répertoriées. Répandus sur toute la terre, les lichens forment la dernière végétation présente en altitude et près des pôles. Ils colonisent la terre, les écorces et les feuilles des arbres, les rochers ou les vieux murs. De façon générale, ils préfèrent les bords de mer, les pays à climat humide, les montagnes des pays tropicaux ou les zones d’altitude moyenne, dans les pays tempérés. L’air pur leur est indispensable et leur disparition peut être le signe de la présence de polluants : les lichens constituent ainsi des bioindicateurs de pollution.

Autre piste pour évaluer l'âge de ces meules, c'est la datation des moulins. Les plus anciens remontent au XIIe ou XIIIe siècle (il y en a eu d'autres avant à l'époque romaine pour presser les olives) et ils ont cessé toute activité vers le milieu du XIXe siècle. A ce propos, J-P Duhart fait une petite diversion. Jusqu'au XVIIe siècle, le pain était à base de farine de seigle, puis au XVIIIe, les goûts ont changé, on préférait le pain blanc fait à partir de farine de blé. Il fallait donc utiliser des meules qui ne colorent pas le pain, donc blanches et non friables de préférence (alors que le grès est rose). A ce propos, l'action de moudre le grain provoquait une usure de la pierre dont la poudre fine se mélangeait à la farine, provoquant problèmes dentaires et infections dues à l'usure des molaires (les molaires ayant la même action que les meules). Autre digression, les vieux éléphants meurent de faim car, une fois que leurs trois paires de molaires sont usées par la mastication de végétaux mélangés à des sables ou gravillons, ils ne peuvent plus s'alimenter. La mécanisation de la meunerie a consisté les énergies traditionnelles (eau, vent, animaux) par la vapeur - la première locomotive remonte à 1804 -. On fait venir alors des meules de plus loin. Celles-ci, de monolithes deviennent composites, c'est-à-dire formées de morceaux de silex cerclés de fer, nouvelle technique qui leur donne une meilleure longévité (jusqu'à 70 ans) qui sonne le glas des monolithes. La société meunière de La Ferté sous Jouarre a pu ainsi poursuivre son activité jusqu'en 1950.

Pour revenir à l'Artzamendi, pour toutes ces raisons, il est donc certain que la carrière de meules n'était plus utilisée du tout au XXe siècle. On y trouve des meules à tous les stades de fabrication, sauf le rayonnage (tâche accomplie par le meunier). Dans un premier temps ont été d'abord choisis les blocs détachés naturellement et posés en surface, qui étaient débités, presque préformés. Puis il a fallu creuser la terre et attaquer la roche. On commençait en traçant un cercle, puis on sculptait le dessus, puis le côté, avant de la retourner pour sculpter l'autre côté. On travaillait essentiellement au marteau, le burin étant exclusivement utilisé pour creuser l'oeillard au centre de la meule. Il fallait prendre garde à ce que la future meule ne repose pas sur la terre, car sinon l'onde de choc s'y perdait, et le coup n'était pas efficace. On trouve donc des meules en cours de fabrication disposées sur d'autres pierres, parfois une vraie pyramide, pour que l'onde revienne vers l'origine du coup (si j'ai bien compris). Douze meules terminées gisent encore là-haut, d'un diamètre compris entre 110 et 150 cm, avec une épaisseur de 17 à 30 cm : ce sont de petites meules que l'on ne voit pas dans les moulins de la vallée. Elles étaient donc transportées en traîneau, communément utilisé aussi pour le transport des litières de fougères, du fumier, des cerises, des arbres coupés... - On peut voir un traîneau en décoration dans le jardin d'une maison d'Ascain -. Elles étaient soulevées avec un levier et des chemins aménagés subsistent encore par endroits, dallés et munis de contreforts dans les virages. Plus tard, on montera en charrette des canons. Les archives départementales font état d'accidents lors du transport par bateau du port de Cambo au port de Bayonne. Il est possible qu'en étudiant le fond de la Nive, on en retrouve quelques exemplaires.

J-P Duhart espère qu'un jour la commune d'Itxassou s'intéressera à ce patrimoine et qu'un chemin pédagogique sera aménagé pour en raconter l'histoire doublé d'un écomusée dans le village...

Légende des photos : Photos prises lors d'une balade le 9 Avril 2006 sur l'Artzamendi - meule sculptée uniquement sur le dessus et la demi-tranche - borde (bergerie) de pierre couverte de lauzes - Balise pour la navigation aérienne (improprement appelée radar) - cromlech - grès rose - paysages.

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27 Avril au 1er Mai 2007
Congrès annuel de la Fédération Française des Amis des Moulins
A St Pée s/ Nivelle, réception par l'Association des Amis des Moulins du Pays Basque-Béarn ARDATZA-ARROUDET