Quelle faille ! On a tendance à l'occulter, mais nous vivons sur un sol mouvant, et les anciens n'avaient pas tort de penser que ces profondes blessures du sol étaient des voies de passage vers le feu des enfers. Elles ont des prolongements loin dans les entrailles de la Terre qui trouve là un exutoire facile quand elle se fâche, que les humeurs s'échauffent et qu'elle tape du point sur la table qui sursaute. En 1660, le séisme de Bigorre, qui était probablement de magnitude 6, survint alors que Louis XIV fêtait son mariage avec l'Infante d'Espagne. Il fut ressenti jusqu'à Roquefort et Captieux en forêt des Landes, dans le département de la Gironde. "Des murs de 3 mètres d'épaisseur furent cisaillés, il n'y avait plus de cheminées à Pau, les effets se firent ressentir jusqu'à Bordeaux, les répliques durèrent 40 jours", rapportent les témoignages. - Photo : Gorge calcaire d'Ehujarre. -

Bilan approximatif : entre 11 et 15 victimes pour un événement survenu vers 4 heures du matin, heure solaire, relaté du fait de la présence du roi. D'importants séismes eurent lieu dans les parages en 1750, 1814, 1854. Celui d'Arette en 1967, près de la Pierre Saint Martin au pied du pic d'Anie, avec 800 maisons détruites et un décès, eut une puissance évaluée à environ un millier de fois celle de l'explosion d'AZF à Toulouse. Pourtant, on ironisa sur la solidité des maisons béarnaises en galets. Sa magnitude était de 5,3 (intensité 8), pour une faille de 3 à 4 cm et une profondeur de 10 km. Le 29 février 1980 eut lieu celui d'Arudy, au seuil de la vallée d'Ossau, de 5,4 sur l’échelle de Richter (intensité 7,5) et en 2002 celui d'Estaing dans l'Aveyron (Midi-Pyrénées), de magnitude 4,8 (intensité 6). - Schéma : Sismicité historique des Pyrénées. -

En fait, sur le secteur d'Aramits-Arette, on enregistre de légères secousses toutes les semaines, qui sont captées par le RSSP (Réseau de Surveillance Sismique des Pyrénées). Les 20 stations de l’Observatoire Midi-Pyrénées, alliées aux autres réseaux français et espagnols, enregistrent environ 600 séismes chaque année. La zone Pyrénées Atlantiques - Hautes Pyrénées est la plus sismogène en France métropolitaine et, au regard des différentes analyses scientifiques, le secteur présentant le maximum de probabilités d'un séisme majeur se situe autour de Lourdes et d'Argelès-Gazost. Comme si cela ne suffisait pas, les activités humaines perturbent cette zone déjà instable. L'extraction du gaz de Lacq initiée en 1952 par Total induit une activité sismique qui a connu un pic en 1969. Entre 1972 et 1974, 3000 mini-séismes ont été enregistrés d'une magnitude proche de 4. De même certains barrages, notamment dans la région de Pampelune, du fait de la composition des couches géologiques, peuvent influer sur les mouvements souterrains. - Schéma : Plaques continentales. -

- Pour comparaison, le séisme du 11 mars 2011 au Japon était de magnitude 9 sur l'échelle de Richter à l'épicentre dans la mer, et encore de 7 sur les côtes nippones à 130 km de là et 6 jusqu'à 300 km au Sud. Le facteur aggravant a été le tsunami qui est allé jusqu'à 10 km à l'intérieur des terres et a ravagé 600 km de côtes. Celui de Haïti du 12 janvier 2010 était de 7 à 7,3. Théoriquement, la magnitude des séismes pyrénéens ne devrait pas pouvoir dépasser 6 sur l'échelle de Richter, leur incidence ne porterait donc "que" sur l'Aquitaine-Midi-Pyrénées et le Nord de l'Espagne. En France, la centrale nucléaire la plus proche de l'épicentre potentiel est celle de Golfech. En second lieu, il y a celle du Blayais, au Nord de Bordeaux, qui a déjà frôlé la catastrophe lors de la tempête de 1999, avec l'inondation d'une partie des installations. En Espagne, Lemoniz I et II au Pays basque, Santillan en Cantabrie sont des projets qui ont été stoppés par le moratoire, suite à l'accident nucléaire japonais de 2011. La centrale nucléaire Santa María de Garoña, située dans la province de Burgos et ouverte sur l’Ebre, a sa fermeture prévue pour juillet 2013. Plus loin, il y a encore les centrales nucléaires d’Ascó et de Vandellós II en province de Tarragone, au sud de Barcelone. - Photo : Lathrée clandestine. -

Nous nous promenons dans la zone charnière tout à fait intéressante du village de Sainte-Engrâce à partir duquel on peut visiter les très touristiques gorges de Kakuetta, la non moins touristique grotte de la Verna récemment ouverte au public et les gorges d'Ehujarre, moins connues car moins accessibles. Les montagnes alentour présentent un relief particulier avec une succession de petits sommets verdoyants aux pentes douces en forme d'amphithéâtres qui surmontent le calcaire aux fortes pentes entaillées de canyons vertigineux. Les sommets dont les couches géologiques sont de type flysch (succession de calcaires gréseux et de calcaires marneux) reposent ici sur le fameux calcaire des canyons, importante composante du Karst du Massif de l'Anie comme le fait ressortir la coupe géologique Nord-Sud ci-contre. Il y pousse une flore aux caractéristiques souvent originales qu'il n'est pas possible de comprendre si l'on ignore l'histoire géologique qui la conditionne en grande partie, indépendamment du climat et de la météorologie du moment. - Schéma : Coupe interprétative du massif de la Pierre St-Martin. -

Les plaques continentales s'étaient donc unies pour la dernière fois pour former la Pangée, générant une immense chaîne de montagne qualifiée d'hercynienne il y a quelque 300 millions d'années. Celle-ci s'est érodée, et l'on en voit des vestiges en divers endroits, en Bretagne, en Galice, au Portugal. Elle englobait également l'espace où se situent aujourd'hui les Pyrénées. Lorsque les plaques de la croûte terrestre ont recommencé à se dissocier vers -120 millions d'années, l'Atlantique Nord s'est d'abord ouvert, puis l'Atlantique Sud. Le Golfe de Gascogne s'est formé entre –115 et –80 millions d'années par arrachement de la petite plaque ibérique qui a basculé pour s'encastrer finalement sous la plaque eurasiatique vers -65 millions d'années, tandis qu'un bourrelet de montagne se formait à l'intersection. La Faille Nord-Pyrénéenne (F.N.P) marque la limite des deux plaques. - Schémas : Profils ECORS-Pyrénées. -

C'est un profond accident géologique qui court grosso-modo de St-Paul de Fenouillet dans le Roussillon jusqu'au Pays Basque. C'est par ce système de fractures, correspondant à la zone de contact entre les anciens continents ibérique et sud-européen que s'évacuent les trop plein d'énergie, initiant les séismes. L'énergie est dégagée par la convergence des deux plaques qui, elle-même, est conditionnée par la convergence des plaques Afrique et Eurasie. Cette dernière convergence est faible, de l'ordre de 1cm/an à la longitude des Pyrénées et celle entre les deux micro-plaques est encore inférieure. Elles engendrent une surrection de la chaîne de l'ordre du millimètre par an qui se poursuit toujours, comme celle des Alpes, et qui est constatée par des mesures GPS. D'autres failles ou systèmes de failles coexistent avec la F.N.P. Dans la partie centrale de la chaîne, un accident d'orientation Nord-Ouest/Sud-Est, la faille de l'Adour, recoupe la F.N.P. - Schéma : Cadre géologique régional. -

Le régime de compression des failles est Nord-Sud. Une extension Est-Ouest ainsi qu'un coulissage dextre et senestre se vérifient également. La sismicité instrumentale montre que pour les Pyrénées Occidentales les séismes sont principalement regroupés le long de la F.N.P. Pourtant, en affinant l'observation, on s'aperçoit qu'à l'Ouest de Lourdes les épicentres s'alignent le long de courts segments orientés approximativement Nord-Sud. S'y ajoute au Nord-Ouest de Pau l'essaim de sismicité associé à l'extraction du gaz de Lacq. L'exploitation a cessé, mais l'activité induite se poursuit. La zone sismogène se situe entre la croûte cassante et la couche ductile, c'est-à-dire entre 15 et 25 kms de profondeur. Dans les Pyrénées occidentales, la structure visible en surface y est moins nette car la Zone Nord Pyrénéenne et la zone axiale primaire s'enfouissent là sous une épaisse couverture crétacée et tertiaire, le flysch basque, dont émergent toutefois deux massifs primaires. Celui du Sud (Aldudes) est considéré comme une réapparition de la zone axiale, et celui du Nord (Cinco-Villas) comme un massif satellite parce que, entre les deux, il y a une zone des marbres, c'est-à-dire une zone métamorphique qui pourrait appartenir à la Zone Nord Pyrénéenne. Ce hiatus entre Pyrénées atlantiques et le reste de la chaîne est probablement dû à une grande cassure complexe, d'origine tardihercynienne, la faille de Bigorre, qui a rejoué au Néogène. - Photo : Gorge calcaire d'Ehujarre. -

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Randonnée naturaliste guidée par Dimitri Marguerat
Ehujarre
19 mai 2011