Selon
les explications de l'association
Geolval,
la
région
de la Pierre Saint Martin est constituée
par des dépôts du Crétacé supérieur. Lors
de la compression pyrénéenne, les turbidites de l'Unité d’Orhy-Lakhoura
(à l'Ouest de Saint-Engrâce) ont été charriées
sur les dépôts
plus méridionaux,
provoquant le décollement des calcaires à silex de l'Unité du
Soum de Leche sur les calcaires massifs de la Pierre Saint Martin de l'Unité d’Anie.
Les calcaires de plate-forme de la Pierre Saint-Martin présentent une
fracturation liée à une phase extensive, consécutive à la
mise en altitude du massif. Le calcaire de la Pierre St Martin
et le calcaire à silex sont entièrement
recristallisés,
transformés en
véritable marbre, sur une épaisseur pouvant dépasser deux
mètres, ce qui rend la
roche beaucoup plus résistante à l’érosion : elle
constitue la surface des Arres d’Anie et du Soum Couy. Au niveau des
failles extensives se situe le départ
de gouffres. - Photo : Gorge calcaire d'Ehujarre.
-
Quatre étapes essentielles
caractérisent l’évolution
des karsts pyrénéens. Tout d'abord, la fracturation des carbonates
intervient dès le Crétacé supérieur à l’articulation
entre Europe et Ibérie, aux abords de la «faille nord-ibérique» et
peut atteindre de grandes profondeurs. Cette étape affecte par la
suite un territoire de plus en plus large, par
migration centrifuge des fractures à travers les croûtes ibérique
et européenne. En second lieu se produit une paléokarstification.
Un
réseau
karstique massif, à remplissage grossier, essentiellement bréchique
et de teinte beige ou grisâtre, se met en place
au droit de la Zone Interne Métamorphique et de la Zone Nord-Pyrénéenne,
nouvellement portées à l’émersion
au cours du Paléocène et de l’Eocène. Puis une néokarstification
engendre un système de galeries à la fois complexe et ténu
qui recoupe le réseau paléokarstique précédent et
le déborde latéralement. Son remplissage essentiellement argileux,
rougeâtre et rutilant, ou calcaire, évoque les climats chauds
et humides, agressifs, du Néogène. - Photo
: Gorge calcaire d'Ehujarre. -
Enfin,
le karst actuel, formé de puits et de galeries le plus souvent
verticaux et ouverts, recoupe
tous les
systèmes
antérieurs. La fracturation des carbonates, provoquée
par l’affrontement des plaques européenne et ibérique,
peut être considérée comme le facteur déterminant
dans l’élaboration de ces karsts. La répartition des
masses calcaires au sein de l’orogène, l’ennoyage général
du bâti hercynien vers l’ouest, l’abaissement relatif
du niveau marin phréatique de base lié à la surrection
des reliefs ainsi qu’un contexte climatique approprié, associant
chaleur et humidité, constituent des
facteurs secondaires de nature à accélérer le processus
de karstification. Selon le 'Journal of
the geological society', un dernier phénomène génère
des tensions : c'est la subduction en direction du Sud de la croûte
océanique du Golfe de Biscaye
(de Gascogne) sous la péninsule ibérique. Elle a provoqué la
formation des monts cantabriques et le double tiraillement des deux continents
vers le
Nord et vers le Sud s'est
traduit par
l'ouverture
de la Faille
de Pampelune, perpendiculaire à la chaîne pyrénéenne,
et qui a eu lieu dès l'orogenèse hercynienne, avant la formation
des Pyrénées actuelles.
Cette
faille se situerait sous les Aldudes, l'Artzamendi et le mont Ursuya, légèrement
à l'Ouest de Saint Jean Pied de Port et de Salies, et à 20
ou 30 kilomètres
à peine à l'Ouest de Sainte-Engrâce. -
Photo : Hêtres aux troncs soudés à la base et à mi-hauteur.
-
Le thème de la balade est intitulé "Explosion de fleurs et de couleurs en Haute Soule, dans les gorges d'Ehujarre". Elle fait suite à la sortie du 28 avril, "Magie des falaises, grandeur de la forêt, et passerelle d'Holzarte". Le problème, c'est que le programme du premier semestre a été établi à la fin 2010, et que l'on est tributaire pour les randonnées naturalistes non seulement de la météo, mais aussi des variations climatiques. Or, ce printemps 2011 est exceptionnel dans beaucoup de régions européennes et nous constaterons au cours de notre périple que toutes les fleurs que nous avions observées le mois dernier ont éclos en avance, et que beaucoup ne sont plus au rendez-vous trois semaines plus tard, puisqu'ici elles en sont déjà au stade de la fructification.
Sainte
Engrâce est un petit village d'à peine 200 habitants niché tout
au fond d'une vallée
buttant contre le massif calcaire de la Pierre Saint Martin. Alors que
nous nous apprêtons à garer
nos voitures à un ou deux kilomètres du hameau en contrebas,
sur un espace où la
route s'élargit,
nous lisons un panneau qui prévient de le laisser libre pour les
camions. Nous
sommes là à tergiverser quand un énorme véhicule
destiné
à charger les grumes coupés par les forestiers survient
pour manoeuvrer
et nous oblige à décamper et à parquer les
voitures plus haut,
sur le bas-côté d'une voie
d'accès
ravinée et caillouteuse. Heureusement que nous ne sommes pas partis
en les laissant là, nous constatons qu'il a réellement
besoin de s'y prendre très au large pour tourner ! -
Photos : Un bugle normalement pigmenté (à droite) et un
bugle atteint de leucisme (à gauche).
-
Sitôt
chaussés,
nous nous engageons dans le goulet étroit
et sombre, presqu'entièrement parcouru par le torrent que nous
traversons à plusieurs
reprises sur des galets instables et glissants pour cheminer de part
puis d'autre dans une ambiance très humide, où la végétation
luxuriante offre une large palette de verts soutenus. Dimitri
Marguerat, notre guide naturaliste, nous mène bon train, s'attardant
à peine sur les quelques fleurs des bas-fonds, persuadé que
le plus intéressant
se révèlera dans les prairies qui s'ouvrent en altitude.
Je le regrette, car je m'essouffle et je peine, ce qui m'empêche
de profiter de cet environnement quasi aquatique dont j'adore l'exubérance.
Je me promets d'y retourner
à un rythme plus posé et d'observer tranquillement cette
végétation bien
particulière. En réalité,
lorsque nous arriverons au sommet, nous nous apercevrons que les fleurs
sont bien moins nombreuses
que prévues : la floraison a un mois
d'avance. Il a neigé en
altitude, mais très
peu en bas cet hiver, nous fait-il remarquer.
Selon
la lettre n° 3 de l'observatoire des
saisons, le début d’hiver 2010-2011 a été frais
avec des températures moyennes mensuelles en dessous
des normales saisonnières. Décembre 2010 a été le
plus froid depuis 1969 et il a été suivi d'un redoux en fin d’hiver
qui a avancé de quelques
jours les floraisons du printemps. Une comparaison
entre le comportement d'une sélection de plantes entre le début
du 20e
siècle (1890-1919) et le
début du 21e
siècle (2008-2010) montre un avancement important des événements
de
printemps : le lilas fleurit en moyenne 7 jours plus tôt, tandis
que le noisetier fleurit 49 jours plus tôt ! La
feuillaison est également
avancée
de 8 jours pour le bouleau, 14
jours pour le lilas et
17 jours pour le noisetier.
Ces résultats
sont en accord avec les études publiées
jusqu’à présent,
qui montrent un avancement de 2 à 3
jours par décennie en moyenne. Quant aux événements d’automne,
les travaux des scientifiques montrent qu’ils ont tendance à être
retardés par rapport
au siècle dernier.
Ces décalages ont une incidence
sur le monde animal. Par exemple, en juin la naissance des jeunes pinsons
coïncidait
avec une abondance de petites chenilles arpenteuses vertes, larves de
la chématobie,
un papillon. Un dérèglement de l’enchaînement
temporel de
ces évènements -jeunes feuilles, chenilles, oisillons- peut entraîner à court
terme la famine et même la disparition de
l’oiseau
en un lieu donné. Par ailleurs, comme rien n'est simple, si l'on observe
deux
plantes dont l’une fleurit au mois de mars et l’autre six mois
plus tard, le fait que toutes deux fleurissent en avance ou en
retard indique que le réglage de leur floraison n’a rien à voir
avec
les aléas climatiques de l’année en cours, mais qu’il
a lieu au
cours de l’année précédente. Ainsi, certaines plantes
fleurissent à date
fixe quelle que soit
l’année, que les aléas climatiques aient tendance à l’humidité ou à la
canicule. Et puis, il existe aussi celles qui fleurissent en permanence (à Paris,
le faux Millet, Piptatherum
miliaceum Coss). - Photo : Lamier. -
La
Lettre de Phenoclim écrite
par le CREA (Centre de Recherches sur
les Ecosystèmes d’Altitude) fait part du même constat.
Elle précise que, sous
nos latitudes, la température est le
facteur principal déclenchant le réveil printanier de la végétation.
Mais son rôle est plus ou moins prépondérant
suivant les
mois. Pour les plantes, les mois essentiels
sont ceux qui
précèdent l’ouverture des bourgeons et la floraison.
En l’occurrence,
janvier et février (voire mars pour les espèces tardives) jouent
un rôle
primordial. Les plantes encore en phase de dormance ont donc été très
peu touchées par les rigueurs de décembre 2010. En montagne,
la couverture neigeuse est de première importance dans
la date de floraison des espèces herbacées comme la primevère
ou le
tussilage. Ce dernier y est particulièrement sensible : en 2011 il
a fleuri un
mois plus tôt qu’en 2010 à Gua (Isère) par exemple.
Un phénomène
qui trouve en partie son explication dans les températures
mais surtout dans la disparition prématurée du manteau neigeux.
Le
déficit de précipitations hivernales s’est fait sentir
dans cette région des
Alpes, y compris en vallée où les primevères ont fleuri
avec 15 jours d'avance.
- Photo : Pavot jaune. -
Les observateurs notent que la date de ponte des mésanges dépend étroitement du débourrement des arbres. En effet, ils offrent alors avec leurs jeunes feuilles une nourriture de premier choix pour les chenilles... qui sont elles-mêmes dégustées par les poussins de mésanges. Dans cette mécanique bien huilée de la chaîne alimentaire, si toutes les espèces ne décalent pas leurs dates de reproduction de la même manière en réponse à l’augmentation de la température, certaines pourraient en pâtir. Qu’adviendrait-il des poussins de mésange si à leur éclosion les chenilles avaient depuis bien longtemps fait une orgie de feuilles et s'étaient déjà transformées en papillons ? Une problématique qui ne se retrouve pas seulement dans les relations de prédation mais aussi dans la pollinisation. Contrairement au noisetier dont le pollen est diffusé par le vent, beaucoup de plantes comme le sorbier, le lilas, le tussilage et la primevère ont besoin des insectes pour être pollinisées... il est donc essentiel que l’émergence des insectes pollinisateurs reste synchronisée avec l’apparition des fleurs.
SOMMAIRE | Pages
|
2
|
Randonnée naturaliste guidée par Dimitri Marguerat | Ehujarre |
19 mai 2011 |