Notre Carabus lineatus chrysocarabus nous a emmenés bien loin. Dimitri reconnaît une anomalie de pigmentation d'un bugle, qui n'est pas albinos, mais atteint de leucisme : ses fleurs dressées en épi sont blanchâtres au lieu de bleues, et nous avons tendance à le confondre avec une orchidée ou du muguet. Une fauvette à tête noire chante dans le sous-bois, invisible. Nous observons la grande vesce et apprenons à distinguer les fougères mâles des femelles qui sont frisées. En réalité, Nicolas Van Meer-Ordoqui, du jardin botanique Paul Jovet de Saint Jean de Luz, et Jeannette Breton, distinguent un grand éventail d'espèces de fougères. Nous passons devant de jolies raiponces d'un bleu soutenu, apprenons à reconnaître la globulaire, la valériane, l'érine des Alpes, l'iconopsis du Pays de Galles. Des insectes se décomposent sur les feuilles des grassettes dont ils complèteront le régime alimentaire carencé. Il nous fait remarquer la céphalanthère à longue feuille (une orchidée), la seule en Pays basque car c'est une espèce de milieux calcicoles et secs où domine la hêtraie. C'est un type d'habitat intéressant par l’originalité de sa flore et la présence éventuelle dans son environnement d’espèces protégées comme le Sabot de Vénus (dont nous ne verrons que les feuilles, sa floraison pouvant s'étaler de mai à juillet). Etant donné la fragilité de ce biotope, il faut éviter les coupes d'arbres portant sur de grandes surfaces car cela pose des problèmes sérieux de régénération. J'ignore si les forestiers dont nous avons vu un camion respectent ces prescriptions (seulement recommandées en sites Natura 2000). - Photos : Gorge d'Ehujarre. - Chrysomèle. -

Les premières girolles, appelées aussi chanterelles, émergent déjà de la mousse. Il faut prendre garde à ne pas les confondre avec le clitocybe trompeur qui peut fréquenter les souches de châtaignier et de chêne (et d'olivier dans le sud-est). Ce champignon très toxique présente une particularité assez rare : ses lames sont bioluminescentes, c'est à dire qu'elles émettent une lumière "froide", verte, un phénomène distinct de la fluorescence, de la phosphorescence ou de la lumière réfractée. Elle peut être générée par des organismes symbiotiques hébergés au sein d'un organisme plus grand, et résulte de l'activité d'un composé chimique, la luciférine, qui émet de la lumière en s'oxydant grâce à la luciférase, une enzyme. Chez quatre espèces étudiées (Armillaria mellea, Mycena citricolor, Omphalotus olearius et Panellus stipicus) parmi les 42 espèces de champignons répertoriées avec cette caractéristique, on constate que la température a un effet significatif sur la croissance et la bioluminescence, 22°C étant la température optimale. Le pH a un effet considérable sur la croissance et sur la luminosité des champignons. Le développement mycélien des quatre espèces est favorisé par un pH de 3,5 à 4 tandis que le pH optimal pour la bioluminescence est variable selon les espèces. - Photo : Champignons bioluminescents. -

Toujours dans le sous-bois pousse l'épipactis, une orchidée dont nous ne voyons que les feuilles qui ressemblent à celles de l'arum. Dans ce milieu humide se développe le carex (ou laîches), un genre de plantes aux feuilles souvent coupantes et à tige souvent de section triangulaire, dont l'allure, en plus petit et menu, me fait penser à l'herbe de la pampa. Autrefois, en France, ses feuilles étaient utilisées pour le paillage des assises des sièges. Au Japon elles servaient à confectionner le chapeau de paysan "sandogasa" (littéralement parapluie/ombrelle/chapeau chinois trois fois), plat, légèrement courbé au bord comme une assiette creuse, dont le nom provient des sando hikyaku, des coursiers qui, trois fois par mois, faisaient le chemin entre Edo (aujourd'hui Tokyo), Ôsaka et Kyoto. Je remarque que les plantes que nous indique Dimitri sont répertoriées dans le CORINE Biotopes dont la typologie va être remplacée par celle d'EUNIS (European Nature Information System). - Photo : Longicorne ? -

Selon ce répertoire, nous sommes donc dans une Hêtraie sur calcaire / Cephalanthero-Fagenion décrite ainsi : Forêts medio-européennes et atlantiques xéro-thermophiles sur sols calcaires, souvent superficiels, généralement sur des pentes escarpées, avec une sous-strate habituellement garnie d'herbacées et d'arbrisseaux abondants, caractérisée par des Laîches (Carex digitata, C. flacca, C. montana, C. alba), des Graminées (Sesleria albicans, Brachypodium pinnatum), des Orchidées (Cephalanthera spp., Neottia nidus-avis, Epipactis leptochila, E. microphylla) et des espèces thermophiles, transgressives des Quercetalia pubescenti-petraeae (chênaies pubescente et sessile). La strate arbustive renferme plusieurs espèces calcicoles (Ligustrum vulgare, Berberis vulgaris) et Buxus sempervirens peut dominer. Elle se subdivise en une sous-section intitulée Hêtraie à laîches / Carici-Fagetum : Hêtraies médio-européennes de pente à Carex et Orchidées. Ces classifications permettent, lorsqu'on connaît un des éléments, d'en déduire les autres. Par exemple, nous savons que nous sommes dans les Pyrénées, dans le massif calcaire de la Pierre Saint Martin et dans une gorge du versant nord, nous avons donc de fortes chances de trouver la plupart des espèces (ici végétales) répertoriées sur cette base de données, regroupées dans ce qu'on appelle un 'cortège floristique' (une association de plantes pour un milieu donné). - Photo : Carabus Cychrus Dufouri. -

Parmi celles-ci, Dimitri nous montre encore la luzule, un hôte également des sous-bois de hêtres, la mercuriale (mâle et femelle), l'hépatique, la renoncule. L'étrave d'un haut promontoire fend, tel un paquebot, le sentier qui se divise en Y en remontant vers les prairies d'altitude. Ses flancs escarpés sont des falaises à rapaces (vautour fauve, faucon pèlerin, gypaète barbu, percnoptère). Nous obliquons sur la gauche et trouvons sur notre route un carabus Cychrus Dufouri (très rare) dont je trouve une photo d'un grossissement de sa tête qui donne une idée de la spécialisation de ses appendices buccaux. En France, on dénombre 35 200 espèces d'insectes, dont 9 600 espèces de coléoptères (scarabées, coccinelles...), parmi lesquelles se distinguent quelques espèces rares. En second lieu viennent les hyménopères (guêpes, abeilles, fourmis...) avec 8000 espèces, les diptères (mouches, moustiques...), 6500, les lépidoptères (papillons...), 5100, etc. Par contre, il est impossible de savoir combien il y a d'insectes dans le monde, 4, 10 ou 100 millions ! En ce qui concerne ce carabe, c'est le troisième que Dimitri voit en 15 ans. Pourtant, il considère qu'il a de la chance puisqu'en Corse, il avait trouvé presque sous son pied un autre insecte rarissime, le bousier Sisyphus Schœfferi Lin. immortalisé par Jean-Henri Fabre qui compare ses membres aux outils du boulanger et disserte à son sujet sur l'instinct de la paternité dans une prose admirable. - Photo : Raiponce. -

Dans cette humidité ambiante poussent aussi l'angélique, le lys Martagon, le lamier (surnommé ortie jaune, bien qu'il ne soit pas urticant et n'appartienne pas à la même famille), le sceau de Salomon que Dimitri nous avait fait découvrir dans le cirque de Lescun et qui se trouvait alors sous la neige, en plein mois de mai ! L'ail des ours en pleine floraison illumine le sous-bois de ses ombelles blanches. C'est une plante 'sociale' qui forme de vastes colonies le long du chemin et entre les arbres. Outre ses qualités alimentaires (elle n'est pas que pour les ours), c'est une plante médicinale très ancienne connue des Celtes et des Germains et dont on a retrouvé des restes dans des habitations du Néolithique. Depuis quelques années, il a regagné une certaine popularité du fait de sa haute teneur en vitamine C et de ses propriétés amaigrissantes. Il est aussi très riche en une huile essentielle sulfurée. Sa floraison a pris le relais de la scille lis-jacinthe qui arbore maintenant le long de ses hampes des fruits en capsules emplies de fines graines et dont il faut savoir que toutes les parties de la plante sont toxiques. - Photos : Sceau de Salomon. Ail des ours. -

Ici même justement, nous rapporte Dimitri, un ours a été vu en plein jour, mais les gens de Sainte-Engrâce et de Larrau n'en conviennent pas et disent qu'il n'y en a pas. Une brebis a été trouvée éviscérée et désarticulée. En réalité, il reste deux à trois mâles autochtones. Autrefois, les ours des Pyrénées françaises étaient répartis en deux noyaux. En Béarn il y en a toujours eu, contrairement à la Haute Garonne, d'où il avait disparu. Selon l'avis de Dimitri, il n'est pas utile de l'y réintroduire. Le seul intérêt que l'on pourrait y trouver, c'est que c'est une espèce 'parapluie', qui impose la restauration de tout le biotope pour préserver son existence. Dans le monde, il y a huit espèces d'ours et l'ours brun est le moins menacé (au contraire du panda). Les craves et les chocards, reconnaissables de loin à leur silhouette noire différente en vol, franchissent d'un coup d'aile la gorge, d'une cime à l'autre. Nous parvenons à l'étage de la prairie au-dessus du bois et nous nous regroupons dans une grotte, ou plus précisément un abri sous roche qui domine la faille. - Photos : Orchis. Primevère farineuse. -

Même si nous n'observons pas la luxuriance des fleurs rencontrées le mois dernier, plusieurs espèces continuent d'agrémenter le parcours : l'horminelle bleue, une orchis rose, le populage des marais qui ressemble à un gros bouton d'or, bien mis en valeur par d'abondantes feuilles arrondies à la base des tiges, peut-être de l'armérie, de petites fleurs roses regroupées en boule à l'extrémité de fines tiges, appelées la primevère farineuse. Dans le ruisseau qui serpente plus tranquillement sur le doux vallonnement, nous apercevons trop brièvement une silhouette beige qui est peut-être celle de l'euprocte, un amphibien de la famille des salamandres, endémique des Pyrénées.

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Randonnée naturaliste guidée par Dimitri Marguerat
Ehujarre
19 mai 2011