Dimitri explique que l'hémolymphe fait office de sang chez les insectes. Elle est de couleur variable (jaune, brun, rouge, vert) en fonction de sa composition et ne sert pas à respirer (elle ne transporte pas l'oxygène dans le corps), mais véhicule seulement les nutriments aux cellules du corps. Par ailleurs, les insectes sont très faiblement vascularisés, pratiquement tout le corps étant rempli d'hémolymphe dans laquelle baignent les organes. Un couple de timarques mange du gaillet. Appelé aussi crache-sang ou chrysomèle noire, cet insecte présente la particularité, en cas de dérangement, de faire le mort puis d'émettre par la bouche mais aussi par les articulations, un liquide rouge-orangé qui aurait un très mauvais goût pour les prédateurs. Ce phénomène de « saignée réflexe » existe chez d'autres insectes aptères (sans ailes). - Photo : Couple de timarques. -

Dimitri nous rapporte une autre particularité à propos d'un papillon, l'azuré du serpolet. La biologie de ce Maculinea arion est assez compliquée. On le voit voler sur des pelouses rases où fleurit sa plante hôte, le thym serpolet (parfois l’origan), d’où son nom vernaculaire. Les papillons pondent sur le thym où les chenilles se développent jusqu’au moment où elles tentent de se faire adopter par des fourmis du genre Myrmica en leur offrant des sécrétions très attractives (du miellat). En cas de réussite, la chenille passera l’hiver dans les meilleures conditions car les fourmis l'emportent à l'intérieur de la fourmilière, bien à l'abri des intempéries. Parmi les cinq espèces de Maculinea, deux d'entre elles, dont Maculinea arion, sont carnivores et dévorent les larves des fourmis sans que les ouvrières s'en offusquent ni réagissent ; les autres se contentent de la nourriture normalement destinée à ces larves, ce qui n'est guère mieux et les conduit à mourir de faim, sans doute. Elle hiverne donc chez ses hôtesses, cessant son activité en même temps qu'elles pour la reprendre au printemps, en parfaite symbiose. La nymphose a lieu dans la fourmilière, et le papillon s'en extrait pour aller s'accoupler à la surface, où le cycle recommence avec sa descendance.

Cette exploitation du confort des nids d’insectes sociaux n’est pas rare, avec parfois des formules compliquées. Ainsi, les larves du Coléoptère Atemeles pubicollis se font adopter au printemps par des fourmis rousses des bois du genre Formica. Elles offrent des sécrétions irrésistibles et imitent le comportement de demande de nourriture des larves de fourmis. Mais la situation se complique car le développement larvaire d’Atemeles pubicollis n’est pas terminé lorsque la fourmilière suspend ses activités et particulièrement l’élevage des larves. Le staphylin quitte alors les Formica et le milieu forestier pour chercher une espèce de prairie, du genre Myrmica, chez qui se termine le développement. Nous marchons parmi des touffes d'alchemille à la floraison discrète dans les jaunes pâles qui font ressortir le polygale du calcaire aux petites fleurs dont la première corolle d'un bleu intense entoure une corolle centrale blanche. Une fois de plus, Dimitri abat les idées reçues : les buissons que nous voyons dans les Pyrénées basques ne sont pas du rhododendron (dont le dessous des feuilles est rouge), mais du daphné lauréolé (à feuille de laurier) au dessous des feuilles vert. Nous dominons désormais la profonde échancrure de la gorge d'Ehujarre. - Photo : Gentiane de Koch. -

Selon Emmanuel Amar, les pelouses calcaires constituent des milieux dont l’entomofaune comporte de nombreuses espèces d’origine méridionale qui atteignent dans ces biotopes chauds et secs leur limite de répartition en Europe nord occidentale. Les insectes vivant dans ces biotopes se caractérisent par leur adaptation aux contraintes engendrées par un milieu xérique (sec). Il en résulte que la plupart sont strictement inféodés à ces écosystèmes et représentent de par leur étroite localisation, une valeur patrimoniale importante, notamment dans les régions les plus septentrionales. Les pelouses calcaires sont malheureusement menacées par le mitage, voire la destruction pure et simple, par l’urbanisation mais aussi par la déprise agricole : anciennes terres de parcours, l’abandon du pâturage entraîne la reconquête de la forêt et, par là même, la banalisation de la faune. Riches d’une forte biodiversité, la pérennité des pelouses calcaires nécessite non seulement leur préservation mais aussi une gestion raisonnée. - Photo : Myrtilles en train de mûrir. -

Alors que le temps est en train de tourner définitivement à la pluie, Dimitri nous montre les légères fleurs blanches de saxifrage granulée, des tapis, blancs aussi, d'aspérule, des bouquets de lathrée clandestine violette parasitant les racines de hêtres, la néottie nid d'oiseau à l'air sempiternellement fané et l'orchis laxiflora, d'un rose soutenu. Dans la boue, il reconnaît une empreinte de chevreuil. C'est aussi ici le seul endroit du Pays basque où les isards se sont sédentarisés. Ils se déplacent jusqu'à Holzarte où nous étions le mois dernier. Une mésange charbonnière chante dans le fourré. Les couches géologiques s'entremêlent. Je crois d'abord, en voyant une surface au sol sans végétation, que l'endroit a subi du surpâturage. En réalité, il s'agit d'une roche grise en éboulis de gros cailloux anguleux instables, peut-être du schiste remontant à l'ère primaire, qui occupe de larges portions de la pente et qui est entrecoupée du flysch qui recouvre sur les cimes le calcaire qui est à nu dans les falaises du canyon. Un amadouvier attaque un arbre par une blessure et infecte rapidement les tissus. Du moment qu'apparaissent ses fructifications, l'arbre est condamné à court terme. Cette espèce de champignon est pérenne. Elle se rencontre toute l'année sur les troncs de hêtre, aussi bien morts que vivants, plus rarement sur d'autres feuillus (peuplier, saule, marronnier, platane) et exceptionnellement sur résineux. Chez cette espèce, les vieux champignons âgés de plusieurs années abritent des colonies d'insectes (familles des Ciidae, des Tenebrionidae...), mais je ne trouve pas d'information s'ils le consomment ou simplement y logent. La dégradation du bois par le mycélium est très rapide, produisant un décollement des cernes et une fragilisation de la structure. A terme, il décompose le bois en pourriture blanche. Rien ne peut entraver la dégradation mécanique d'un arbre parasité. - Photos : Eboulis de roches de l'ère primaire ? - Empreinte de chevreuil. -

D'un point de vue environnemental, l'abondance de l'Amadouvier dans une hêtraie traduit sa naturalité. De récentes études indiquent que cette espèce est indicatrice d'une bonne diversité en champignons. L'amadouvier est doué de géotropisme, c'est à dire qu'il oriente ses couches successives de façon à présenter son hyménium fertile toujours vers le bas afin de le protéger des intempéries et de permettre une meilleure diffusion des spores. Ainsi, sur certains arbres à terre, on peut distinguer la partie qui a poussé lorsque l'arbre était debout, de celle qui croît depuis qu'il est au sol. L'Amadouvier a connu de nombreuses utilisations en médecine au cours des siècles en raison notamment de ses vertus cicatrisantes.

Il était employé comme hémostatique en raison de sa texture très absorbante et de sa forte concentration en tanins. Un homme du chalcolithique (ou âge du cuivre) trouvé dans un glacier autrichien portait sur lui un morceau de pyrite, un silex et un champignon. Il s'en servait pour faire du feu. En frappant le silex contre le morceau de pyrite ou de marcassite (sulfures de fer), il obtenait une étincelle qui enflammait l'amadouvier réduit en poudre par raclement avec un outil de pierre. Près de l'arrivée, je découvre un pauvre papillon de nuit suspendu sous une brindille au sol dont les pattes qui l'enserrent sont écrasées par une grosse limace qui se réjouit de la pluie qui tombe dru et n'a cure de ce qui se passe sous elle. Nous tentons de le libérer, mais ses pattes demeurent engluées dans un épais mucus, je doute que notre opération de sauvetage soit utile. Handicapé comme çà, il est condamné inexorablement à être mangé par un prédateur quelconque, d'autant qu'il attire l'attention sur lui par des battements d'ailes souffreteux. - Photo : Une plante d'éboulis. -

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Randonnée naturaliste guidée par Dimitri Marguerat
Ehujarre
19 mai 2011