Le
vent est décidément trop fort. Les moniteurs attendent un
moment puis se décident : il faut annuler le vol de 13 heures, de
même que ceux de l'après-midi (qui concernent d'autres groupes).
Nous faisons confiance dans leur diagnostic. Nous ne tenons pas à
prendre de risque. Pour le groupe qui n'a pas encore volé (5 personnes),
il y a trois options : annuler purement et simplement, reporter au samedi
matin 9 heures, ou bien, selon ma suggestion, attendre la fin de l'après-midi
et, si le vent se calme, voler à 19 heures. Bien sûr, nous
préférons la dernière alternative. La route est longue
et mauvaise, cela ne nous réjouit pas d'avoir à la refaire
une nouvelle fois, en partant à une seule voiture et nous séparant
du reste du groupe qui ferait une balade ailleurs avant de rentrer au Pays
Basque.
Bref,
nous décidons de visiter un peu la vallée en attendant. Tout
le monde remonte dans les voitures, nous passons par Bénasque et
poursuivons jusqu'au deuxième petit lac de retenue, dans lequel un
large torrent se jette en bouillonnant autour de gros rochers. Une forêt
mixte de conifères et de feuillus l'entoure d'un écrin de
verdure. Je regrette que les montagnes soient si raides et la vallée
si encaissée qu'il n'est pas possible d'apercevoir d'en bas les points
culminants des Pyrénées. Il faudrait prendre un peu de hauteur,
et grimper à la station de ski voisine. Personne n'en a envie. Nous
préférons nous garer à l'entrée du camping installé
à l'orée du lac et partons en exploration.
Une
partie du groupe reste près du premier torrent, tandis que l'autre
essaie de longer les rives du lac pour rejoindre l'autre torrent que nous
avons admiré de la route. Le problème, c'est qu'il s'agit
d'un lac de retenue, au niveau d'eau variable, dont les abords sont très
marécageux. Après avoir pataugé un moment, nous sortons
du bourbier un peu nauséabond où les chaussures s'enfoncent
sans prévenir dans une vase noire cachée par des bouquets
de plantes trompeuses qui prennent racine dans un sol spongieux au milieu
d'un réseau d'infimes ruisselets cachés. Revenus sur la terre
ferme, nous contournons l'obstacle en passant par la forêt et dépassons
notre objectif.
Cette
fois, les abords ont un aspect qui évoque une terre volcanique noire
à la végétation clairsemée. Il s'agit en fait
d'un sable très fin mêlé au limon noir, dans lequel
le pied n'enfonce pas.
Yann
nous désigne des orchidées sauvages et ensuite fait un festival
de plongeons dans l'eau fraîche du lac, accompagné dans ses
ébats par Florian et Xavier. John traverse un bras d'eau malgré
les protestations de son père qui craint la congestion. Pour tuer
le temps, Max envoie une branche dans l'eau et toute la gens masculine s'évertue
à l'atteindre à coups de pierre. C'est le grand jeu où
chacun rivalise d'adresse. Il s'arrête net lorsque nous voyons rôder
une voiture de gardes du parc national sur la rive en face. Elle s'arrête,
les deux gardes descendent et nous observent un moment dans leurs jumelles.
Ils font mine de partir et vont se garer un peu plus loin, à l'abri
des regards, puis se planquent dans la forêt.
Dans
le doute, nous préférons cesser le jeu. Un grand panneau indiquait
toutes les activités interdites (cueillir des plantes, faire un feu,
chasser, laisser les chiens errer en liberté...), et nous nous doutons
que, bien que ce ne soit pas expressément mentionné, notre
activité perturbe quelque peu le calme de cette zone protégée.
Vers
les 18 heures, nous reprenons contact, comme convenu, avec l'école
de parapente. C'est bon, nous allons pouvoir voler. Une dernière
formalité reste à accomplir : le règlement des vols.
Durant l'après-midi, les événements de la matinée
m'ont trotté dans la tête, et j'ai pris un peu de recul. Réflexion
faite, j'ai nettement l'impression de m'être fait avoir, et je n'apprécie
pas du tout les augmentations successives de prix imposées par rapport
à un tarif de départ déterminé depuis plus d'un
mois en fonction des informations qui m'avaient été données.
Je me sens responsable, d'autant que nous sommes tous chargés d'enfants
et que le prix, multiplié par tous les membres de chaque famille,
devient franchement conséquent. Je me prends donc de bec avec la
secrétaire, qui est là avec une autre jeune femme qui me paraît
être la femme du patron.
Je
lui dis carrément qu'il n'est pas question de payer toutes ces augmentations
et je m'explique longuement avec elle, en faisant appel à toutes
mes ressources linguistiques en espagnol. Moi qui n'aime pas parler argent
ni discuter les prix, je suis servie. Il faut dire que je suis très
motivée car je parle au nom de la communauté qui m'a fait
confiance. Nous finissons par trouver un terrain d'entente et chacun se
met à payer l'un après l'autre. Lorsque le patron sera de
nouveau là, à notre retour de vol en parapente, il faudra
de nouveau que je discute un bon moment avant d'obtenir le remboursement
pour le pauvre Fereydoun qui, après deux essais malheureux, n'a pas
pu s'envoler.
Nous
gardons la voiture de Jeannot et les autres retournent au gîte sans
nous attendre. Caroline accepte de conduire ma voiture (puisque ni Jean-Louis
ni moi n'avons encore volé), mais avec un minimum d'enfants dedans
pour réduire la responsabilité en cas de problème,
Isabelle conduit la sienne tandis que Yann prend celle de Xavier. Nous restons
donc seuls, Fereydoun, Xavier, Jeannot, Jean-Louis et moi, à attendre
le retour des guides pour monter au sommet de la montagne dans leur grosse
fourgonnette. Après avoir attendu près d'une demi-heure à
l'ombre sur un banc, les quatre hommes s'en vont, et je reste à attendre
une voiture supplémentaire, avec mon guide et un chauffeur. Dix minutes
plus tard, c'est mon tour.
N'ayant
pas la barrière de la langue, je discute tout le long du trajet et,
distraite par la conversation, j'oublie d'être incommodée par
les chaos (je n'aime ni les 4x4, ni les pistes caillouteuses). Je m'intéresse
au paysage, dont il me désigne un à un les sommets au fur
et à mesure de notre progression : la vue porte jusqu'au Monte Perdido
(Mont Perdu) dans le Parc National d'Ordesa, par contre, il faudrait pouvoir
s'élever avec le parapente au-dessus de notre base d'envol pour réussir
à apercevoir les neiges éternelles qui couvrent les flans
du Pic d'Aneto, de la Maladeta et du Posets. J'apprends que le parapente
se pratique toute l'année, y compris en hiver, et que les voitures
grimpent sur les quelques routes qui restent praticables (sans chasse-neige,
qui ne dégage que les routes goudronnées). Un nombre impressionnant
de gens vole chaque jour par l'intermédiaire de ces associations,
qui ne voient leur activité ralentie qu'en raison des perturbations
atmosphériques (ce que nous avons expérimenté cet après-midi).
Mon
guide est également moniteur de ski, si j'ai bien compris, et il
a fait la connaissance d'une dame âgée de 85 ans, très
à l'aise en ski, qu'il a initiée au parapente. Cela fait maintenant
trois ans qu'elle le pratique régulièrement. Il a également
volé avec une petite fille de 4 ans, qu'il connaissait bien et qui
le connaissait bien. Cependant, en principe, pour qu'un enfant puisse réellement
apprécier le parapente et n'aie pas peur, il conseille un âge
minimum de 6-7 ans. Tout d'un coup le chauffeur s'exclame : "Un zorro
!" (un renard). Il ralentit pour examiner des oiseaux, mais ce ne sont
pas des perdrix comme il pensait. Avec le vent qui est tombé, pas
un seul vautour à l'horizon, ils sont incapables de prendre leur
envol et de planer sans ascendances.
Nous
voyons la voiture des autres quelques lacets plus haut. Lorsque nous arrivons,
je constate avec soulagement qu'ils n'ont pas oublié le gros ballot
de mon parapente, posé en bordure de la piste. Les leurs sont déjà
étalés sur l'herbe et les moniteurs s'affairent, donnant les
dernières explications en espagnol, en anglais, ou dans un français
hésitant. Trois décollent. En contrebas, Fereydoun s'élance,
court avec son moniteur derrière lui, mais il n'y a pas assez de
portance, et il tombe sur les genoux. Mon moniteur, qui m'a également
"briefée", me dit de faire la course de ma vie, bien que
je l'aie prévenu que je m'étais fait mal à la cheville
dans l'après-midi et qu'elle me faisait souffrir. Il surveille le
ruban de plastique accroché à un piquet. Dès que le
souffle du nord s'arrête, nous nous élançons, le parapente
nous soulève, je lève les pieds, mais nous redescendons et
je trébuche sur le sol tandis que le moniteur continue sa course,
et grâce à sa persévérance, nous finissons par
nous élever pour de bon. Mon guide m'a expliqué que le décollage
(comme pour les avions) est facilité par un vent de face, et que
sa présence permet d'avoir à courir moins longtemps et moins
vite que dans le cas contraire.
Aussitôt
en l'air, je me sens à l'aise et je me réjouis. Totalement
dépourvue de crainte, insensible au vertige et au mal de l'air, je
m'installe comme il faut dans le siège très confortable qui
butait contre mes mollets durant ma course et entravait mes jambes, et je
bavarde tranquillement avec le moniteur. Content de me montrer son "royaume",
nous nous tournons alternativement dans toutes les directions et il me fait
la visite du propriétaire. Il sait que je souhaite conduire moi-même
l'embarcation. Je me saisis des manettes, il me dit de me diriger à
ma guise, et que je devrai le réveiller quand nous arriverons ! Pas
de problème, je vais sur la gauche, explorer le paysage, puis, afin
de ne pas trop nous éloigner, il me demande de me diriger vers un
des villages que nous apercevons loin au-dessous de nous. Je tourne vers
la droite. Il me rappelle que l'on peut tourner sans tirer sur les manettes
(et donc sans réduire la voile ni augmenter la vitesse de descente)
simplement en se penchant sur le côté, comme en moto ou en
vélo.
Pour
corser un peu la descente, il me fait aller vers l'autre village, plus à
droite, et après, nous suivons les circonvolutions du canyon qui
les sépare, où coule un torrent qui s'écoule en plusieurs
cascades très jolies paraît-il. De si haut, je ne vois pas
grand chose. En plus, nous sommes juste au-dessus, ce qui n'est pas pratique
pour regarder, avec les deux bras en l'air qui tiennent les manettes au
même niveau. Il me fait aller un peu sur le côté, pour
mieux revenir face aux cascades. Enfin, j'en vois une ! La vallée
commence à s'assombrir progressivement. L'air est tiède, bien
plus agréable qu'à 10 heures où les enfants descendaient
avec des gants et une combinaison doublée. Les rayons obliques s'introduisent
en faisceaux entre deux montagnes. Les roches se parent de couleurs chaudes,
de même que la végétation mise en relief par l'ombre
plus intense et plus longue.
Je
ne le sens pas, mais il paraît que nous descendons d'un mètre
par seconde (il a un altimètre qu'il surveille régulièrement,
mais que je ne vois pas, il est dans mon dos). Il va déjà
falloir nous diriger vers le champ. Il reprend les commandes et vient presque
se frotter contre la paroi en face, j'ai l'impression que nous allons atterrir
sur la cime des arbres qui me paraissent tous petits avec cette perspective
plongeante. Pour clore en beauté, il me propose de faire quelques
figures. Je suis d'accord. Il commence à se balancer de gauche et
de droite, je crie un peu, de plaisir et de frayeur mélangées,
avec l'estomac qui fait le yoyo sans m'incommoder, heureusement. C'est beaucoup
mieux qu'à la foire, j'ai le sentiment que nous allons faire un tour
complet, c'est super impressionnant : une fois, deux fois, trois fois. Il
s'arrête. Je crois que ça suffit, je n'ai pas envie d'être
malade.
Il
me dépose en douceur, je n'ai presque pas mal à la cheville
tant l'atterrissage est souple. Nous nous remercions mutuellement : "Ha
sido un placer volar con usted" (c'était un plaisir de voler
avec vous). Je cherche mes compagnons. Fereydoun manque à l'appel.
Je préviens le moniteur qui va à la voiture. Un appel radio
signale qu'il n'a pas pu s'envoler en raison du manque de vent. On lui envoie
une voiture pour aller le récupérer avec son moniteur, le
pauvre, il doit être très déçu. On nous ramène
au local où j'obtiens le remboursement de son vol (mais pas du trajet
pour l'amener à l'aire d'envol) et nous allons manger des tapas dans
un bar-restaurant tout au bout du village. Nous pensons avoir le temps,
trois quart d'heure de montée, presqu'autant de descente. C'est sans
compter sur le dynamisme de Fereydoun.
Ce
qui s'est passé, en réalité, (il nous le raconte dans
la voiture pendant le retour), c'est qu'il s'est vu attribuer un moniteur
très stressé, peut-être débutant, en tout cas
qui respirait très fort et paraissait très inquiet de devoir
voler avec Fereydoun. Il avait dû juger qu'il n'y avait pas assez
d'air pour décoller, que Fereydoun n'allait peut-être pas courir
assez vite ni longtemps en raison de son âge et de son physique. Bref,
cela s'est mal passé. Tombé une première fois sur les
genoux, Fereydoun commençait à être passablement refroidi
dans son enthousiasme.
Au
deuxième essai, lorsqu'il tombe de tout son long sur son ventre,
il déclare tout de go au moniteur que c'est assez. Pourtant, hésitant
au départ, il avait fini par se faire une bonne préparation
psychologique et il était franchement décidé à
voler, mais là, décidément, il ne se sentait pas bien
engagé et ne faisait pas confiance dans son mentor. Dommage ! Il
prend donc ses cliques et ses claques et redescend à pied, en coupant
tout droit, suivi par le moniteur qui porte le bardas. La voiture les trouvera
bien plus bas, une heure et demie après. Résultat, il nous
attend depuis dix minutes près de la voiture lorsque nous remontons
la rue après notre repas en le cherchant dans les restaurants car
le guide que nous venons de croiser nous dit qu'il est allé manger.
Nous serons de retour à minuit passé au gîte. Quelle
journée !
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Aragon 15 au 19 juillet 2003 Parapente : 20 participants : Yann, Isabelle et Florian P., Michèle, Jonathan D., Julien et Jérémy, Jano et Mikel, Jean-Louis C., Cathy, Nicolas et Jonathan C., Anna, Marie-Charlotte, Lucie, Alix et Florian B., Xavier, Fereydoun |