Je
ne me suis pas beaucoup étendue sur notre gîte. Dès
le premier soir, les enfants ont entrepris une grande partie de cache-trappe
dans le village aux ruelles étroites et passages couverts pendant
que nous effectuions par petits groupes ou individuellement une visite plus
posée des environs immédiats. Comme partout en Espagne, des
travaux étaient en cours, la route creusée recouverte de larges
planches, un va et vient de camions et d'engins nous empêchait de
stationner sur la place de l'église où se trouvait l'entrée
du gîte.
Nous
nous y sommes rendus uniquement pour décharger les bagages et avons
dû garer les voitures un peu plus loin près du pont sur un
ruisseau presque à sec aux abords assez sales. Le seul bâtiment
véritablement neuf, en pierres de taille grise, un peu m'as-tu vu,
est la mairie. L'église vétuste et mal entretenue montre que
les priorités ont changé dans l'Espagne moderne, bien que
les cloches sonnent ce mardi soir à 19 heures pour appeler les fidèles
à la messe qui a lieu à tour de rôle dans les villages
de la région : ici aussi, les vocations religieuses se font rares.
Quelques
vieilles maisons sont également en pleine rénovation tandis
qu'un quartier neuf est construit de toutes pièces en dehors du village.
En face, une superbe maison de pierre avec dépendances et jardin
soigné étale avec suffisance les fantasmes de son propriétaire
: sur le mur d'enceinte sont dressés en alternance des effigies de
personnages de Walt Disney et d'anciens outils agricoles enchaînés
et scellés.
Des
champs cultivés et des jardins emplis d'arbres fruitiers montrent
la fertilité de la plaine à l'horizon barré de hautes
montagnes éclairées par le soleil couchant.
Max et Jean-Louis B. font chaque soir un
footing autour du gîte, quelle qu'ait été l'activité
(toujours sportive) de la journée. Quels hommes ! Les autres préfèrent
s'installer à la terrasse après une bonne douche et commander
des rafraîchissements accompagnés de cacahuettes grillées
à l'enveloppe entourée de gros sel. Nous
sommes trop nombreux pour la quantité de chaises disponibles et chacun
s'installe comme il peut, sur le petit muret ou bien carrément debout,
et nous devisons et plaisantons tout en observant le manège des hirondelles
qui tournent et virent en poussant des trilles aiguës.
Après l'activité effrénée
des trois premiers jours, je n'ai pas donné de consigne d'heure pour
le réveil du vendredi matin. Les enfants cependant craignent que
le petit déjeuner ne soit plus servi après 8 heures 30 et
apparaissent les uns après les autres. Seuls
les grands adolescents traînent : ils n'ont pas envie de marcher et
ne tiennent pas à y être obligés. Je fais usage de toute
ma force de persuasion pour les inciter à nous accompagner dans le
Parc National d'Ordesa. Je sais qu'ils aimeront, le problème, c'est
de réussir à ce qu'ils me fassent confiance. Au bout d'un
moment de longues descriptions de ce qui les attend, et d'assurances répétées
qu'une fois sur place, ils feront ce qu'ils veulent, j'obtiens leur assentiment.
Ouf, c'était dur !
Je
sais bien que, normalement, pour bien profiter d'Ordesa, il vaudrait mieux
partir de bonne heure. En effet, le Parc National est interdit à
la circulation automobile. Nous devons obligatoirement nous garer dans un
vaste parking payant au bas du village très pittoresque de Torla
et prendre un autobus qui fait la navette toutes les demi-heures à
peu près jusqu'au centre d'accueil, et qui propose une halte intermédiaire
dans un musée, très mal situé à mon avis (il
serait plus fréquenté s'il était au terminus). Ensuite,
de nombreuses balades s'offrent aux visiteurs du parc, dont la difficulté
est indiquée par une jeune femme qui fournit une carte d'orientation
avec la durée approximative et le dénivelé.
Pour
cette première journée de découverte, nous nous dirigeons
vers le cirque de Cotatuero et sa belle cascade qui se jette du sommet de
la falaise. Ensuite, nous nous proposons de faire le tour de la vallée
en longeant les crêtes. Pour plus de facilité dans l'organisation
(et pour obliger les jeunes à voir un peu plus loin que le bout de
leur nez), j'impose
(gentiment,
aux jeunes qui avaient déjà commencé à s'allonger
sur la prairie à l'entrée du parc, et parce que je suis sûre
qu'ils apprécieront) une marche commune du groupe tout entier jusqu'à
l'heure du pique-nique près de la cascade. Ensuite, quartier libre.
Ordesa, c'est toujours un enchantement.
Parc National depuis le début du XXème siècle, il s'agit
du plus haut massif calcaire des Pyrénées. Très irrigué
par une multitude de torrents et de ruisseaux, le fond des vallées
est boisé de grands arbres, conifères (pin sylvestre) et feuillus
(hêtre) mélangés, tandis que la montagne s'élève
en de très hautes falaises spectaculaires aux couleurs chaudes du
blanc à l'ocre, avec des nuances de jaune ou de gris. Il
abrite une flore et une faune très variée dans un cadre bien
plus riant à mon goût que le cirque de Gavarnie situé
sur le versant nord et français. Sa disposition permet aux visiteurs
de se disperser et de profiter pleinement de la nature sans avoir l'impression
d'être dans un zoo surpeuplé.
Le
sentier serpente doucement à travers la forêt jusqu'à
la fameuse cascade du cirque de Cotatuero. Là, je vois bien que ma
cause est entendue. John part en exploration de rocher en rocher vers l'amont
de la cascade, revenant au bout d'un long moment pour nous dire qu'il a
trouvé un super endroit pour pique-niquer. Trop tard, nous sommes
déjà installés près de la cabane. Les plus jeunes
mettent déjà un pied dans l'eau dans les vasques près
de la petite passerelle qui enjambe le torrent et mène à d'autres
sentiers.
Chacun
profite du lieu à sa manière. Ensuite, nous nous séparons.
Les hommes partent les premiers à l'assaut de la cascade, vers les
grandes hauteurs. John a disparu pour s'adonner à sa passion, l'escalade,
Nico, Marie-Ch' et Mikel restent un moment avant de redescendre en s'amusant
à escalader aussi un peu les rochers le long du torrent.
Les
jeunes dévalent le sentier, Caroline à leur suite, heureusement,
qui récupère les 7-10 ans lâchement abandonnés
par les 13-15 ans. Ces derniers trouvent un "spot" de toboggan
aquatique naturel, se mettent en maillot et pratiquent la descente sportive
comme ils ont appris en canyoning : ils "s'éclatent" et
en reparleront le soir avec enthousiasme. Inutile de préciser que
la baignade est parfaitement interdite dans un parc naturel, mais avec la
chaleur qui fait, il aurait été difficile de le faire comprendre
aux enfants.
Je
m'inquiétais pour les plus jeunes, et c'est finalement Nico qui se
fait mal, en cherchant à escalader les rochers de la cascade. Il
perd prise, retombe contre un rocher puis dans une vasque d'eau, bain forcé
tout habillé dont il rira après coup, mais rétrospectivement,
il réalise qu'il aurait pu se faire bien plus mal. Dans l'aventure,
il perd une chaussure. La dame du bus au retour refusera qu'il y monte pied
nu et l'obligera à enfiler ses chaussettes trempées, faute
de chaussures.
Anna
raconte aussi que Jonath' et Lucie lui ont "sauvé la vie"
parce qu'elle a glissé sur le sentier et s'est retrouvé suspendue
par les mains au bord d'un petit ravin de trois mètres de profondeur.
Le groupe le plus calme est sans conteste
celui constitué en majorité de mères de famille. Plutôt
que de faire un simple aller-retour, je propose d'accomplir une boucle qui
nous fait passer sur une mince corniche au pied des hautes falaises, à
une altitude de 500 mètres par rapport au fond de la vallée.
Le
panorama est somptueux, et je suis heureuse de voir l'enthousiasme de mes
compagnons. J'ai dit que nous marcherions tout le temps à niveau,
en fait, il y a un petit dénivelé supplémentaire de
200 mètres par rapport à notre lieu de pique-nique. Nous avançons
très tranquillement, rien ne nous presse, et faisons de nombreuses
haltes pour admirer le paysage. Nous sommes dans un jardin odorant, des
coussinets d'ajoncs fleuris aux courbes douces mais au contact piquant tapissent
le pied des falaises. Des ombellifères aux fleurettes blanchâtres
couvertes de mouches aux reflets d'acier verts ou bleus qui les butinent
envahissent l'air de lourds effluves miellés. Des pins en contrebas
montent des senteurs de résine surchauffée. Un parterre d'iris
au bleu intense se dresse au milieu des ajoncs.
Au
détour du sentier, je m'arrête brusquement, et les autres derrière
moi font de même. Sur une pente couleur rouille où s'écoule
une eau à la source invisible s'abreuve un jeune isard solitaire.
Il lèche une pierre grise, sans doute légèrement salée,
et, bien qu'il nous ait vus et entendus, reste tranquillement à sa
place. Il sait qu'il n'a rien à craindre de notre part. Les bons
marcheurs nous ont rejoints entre temps, et tout le monde peut profiter
de ce joli spectacle. Nous le mitraillons de photos, Fereydoun le filme,
et nous nous résignons au bout d'un long moment à le déranger
car il est tout près du chemin où nous devons passer. Il dévale
en quelques bonds la pente, avec une facilité déconcertante,
et s'arrête quelques mètres plus bas pour nous jeter de nouveau
un coup d'oeil avant de disparaître dans la forêt. Isabelle,
Elisabeth, Michèle et Christine marchent très bien. Fereydoun,
qui a un ménisque en moins, souffre un peu dans la longue descente
très bien aménagée en larges lacets aux tronçons
parfois horizontaux pour reposer les tendons, qui nous ramène à
la maison d'accueil. Au fur et à mesure que nous progressons vers
le bas, la végétation se transforme et croît en hauteur
; notre balade se termine en marchant à l'ombre des grands arbres.
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Aragon 15 au 19 juillet 2003 Ordesa |
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